Un article d’Anne Trewby publié dans les actes du Colloque de l’Institut Iliade
L’artificialisation de la vie humaine
Anne Trewby
Marie, 41 ans, vient d’avoir son premier enfant avec sa femme compagne Madeleine. Marie avait congelé ses ovocytes il y a quelques années déjà, et les deux femmes ont fait appel à une clinique de luxe pour combiner leur patrimoine génétique dans un même embryon. Le médecin leur a proposé de choisir la couleur des yeux de bébé – elles ont refusé, elles voulaient laisser faire la nature !
Pierre, 54 ans, s’inquiète pour son fils de 18 ans qui vient de lui annoncer qu’il souhaite changer de sexe. Quand sa mère a fondu en larmes, il s’est contenté de répondre « je le savais de toute façon que vous étiez transphobes ».
Ces tranches de vie fictives, ces instantanés de la maternité et de la paternité contemporaines sont malheureusement emblématiques de notre sujet. La science et la technique ont connu de telles évolutions dans les quelques dernières dizaines d’années que nous sommes aujourd’hui confrontés à des situations impensables par nos grands-parents, et qui pour certaines, posent de graves problèmes éthiques et politiques. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Comment sommes-nous passés d’une médecine qui soigne à une médecine qui vient réaliser les fantasmes des uns et des autres, des changements de sexes aux greffes de parties animales ? Face à de telles dérives, nous sommes en droit de nous inquiéter d’une forme d’artificialisation de la vie humaine, dans la mesure où l’artifice, c’est le moment où la technique, l’art, l’artefact, deviennent mensongers. Quel est – ou quels sont alors, ces mensonges qui se cachent derrière l’usage contemporain de la technique ? Quelles conséquences ont-ils, et quels remèdes leur opposer ?
Comment en sommes-nous arrivés là ?
L’homme ne vit pas sans la technique
Face aux gros titres des revues scientifiques qui applaudissent la première tentative d’implanter le patrimoine génétique de deux femmes dans un même embryon, et aux expériences extrêmes de quelques-uns qui choisissent de refaire faire l’intégralité de leur plastique ou encore de se faire greffer des parties animales, la question s’impose, immanquablement : la science et la technique seraient-elles soudain devenues folles ? Je ne le pense pas. Elles ont simplement, car elles ont leur vie propre qui n’a aucune direction morale ou éthique, suivi leur marche implacable.
La médecine n’a rien de nouveau en tant quel tel, ni non plus la volonté de l’homme de réparer, de soigner, par la science et la technique, les défaillances du corps. Les premières trépanations remontent au Néolithique. Les médecins de la Grèce antique pratiquaient des césariennes. L’être humain a cette particularité d’être animé d’un désir de savoir, d’une part, et de la capacité à améliorer, corriger, développer ses capacités à l’aide de la technique. Sous toutes les latitudes et à toutes les époques, dans des mesures évidemment variables et sous des formes différentes, l’être humain a développé des savoirs, des outils, une connaissance du monde qui l’entourent susceptibles de faciliter son quotidien et de répondre à ses difficultés.
Il est intéressant de noter que l’évolution des techniques, contrairement à une croyance largement répandue, n’est pas strictement linéaire dans le temps. Certaines civilisations antiques maîtrisaient des techniques qui furent abandonnées au Moyen-âge du fait de changements de civilisation ou de choix politiques, comme par exemple les routes pavées. De même, si des techniques comme celle de la corde à nœud s’est perdu, c’est aussi le fait de changements civilisationnels, pas d’un pur hasard. Les Aztèques connaissaient la roue mais ont choisi de ne pas utiliser cette technique. Si toutes les époques et toutes les civilisations n’ont pas atteint le même degré de perfectionnement technique au vu de nos critères contemporains, c’est que la technique est loin d’être neutre. Elle obéit nécessairement à une finalité. Cette finalité est intrinsèquement liée au contexte et à l’esprit dans lequel cette technique a été développée ; et influence nécessairement son utilisation et ses développements futurs. Internet a ainsi été créé comme un outil de surveillance. Les techniques de procréation médicalement assistées, elles, sont directement issues de l’agriculture et de l’élevage industriels.
En bref, l’homme ne vit pas sans art ni sans artefacts. Alors comment en sommes-nous arrivés au point de penser que l’art – la technique autrement dit ici – est devenu artifice, c’est-à-dire mensonge ?
Une nouveauté : l’émergence des biotechnologies
La nouveauté de la science moderne, c’est sa capacité à modifier la vie dès son commencement. L’imagerie médicale moderne avait déjà permis d’aller observer le vivant là où il restait auparavant caché : dans le ventre d’une mère, dans les cellules d’un être vivant, jusqu’au cœur de la matière. Il ne s’agissait plus que de réussir à intervenir et plus seulement observer. Voilà qui est fait. Les techniques contemporaines de procréation médicalement assistées permettent des prouesses, ou des monstruosités – tout est une question de point de vue – jamais envisagées auparavant. Nous pouvons créer un être humain sans qu’une union sexuelle soit nécessaire. Un couple peut sous-traiter la grossesse à une autre femme avec laquelle ils n’ont aucun lien, c’est la gestation pour autrui (GPA). Certains proposent d’ailleurs, pour une GPA plus éthique, d’utiliser le corps de femmes en état de mort cérébrale.
La nouveauté, c’est notre capacité à intervenir au cœur même de l’intimité humaine, en nous donnant par-là l’impression d’être nous-même devenus des dieux. Ces techniques, en séparant le moment de la conception de celui de l’union sexuelle a modifié notre imaginaire : parce que nous sommes capables d’observer la conception d’un nouvel être, parce que nous avons réussi à maîtriser artificiellement le lieu de cette conception, nous nous gargarisons d’en être les grands organisateurs. Nous pensons pouvoir créer la vie car nous arrivons désormais à reproduire dans un laboratoire la rencontre des gamètes mâles et femelles. L’orgueil humain n’a pas de limite, et il se nourrit avec appétit de demi-vérités. Parce que nous avons réussi à séparer l’union sexuelle de la procréation, nous nous autorisons à remettre en question sa raison d’être, c’est-à-dire notre nature sexuée. Si l’homme peut créer la vie en laboratoire, c’est que la rencontre féconde du masculin et du féminin n’est pas le fondement de l’espèce humaine, ni non plus, par conséquent, le couple et la famille le fondement de la société.
Les biotechnologies, ou le versant technique de la bioéconomie
Cette destruction symbolique du couple homme-femme et de la place politique de la famille s’inscrit dans une révolution politique et anthropologique plus large. La technique l’a concrétisée, et y contribue en retour.
Notre société est désormais fondée sur un nouvel ordre, une nouvelle vision du monde, en tous points opposé à celui qui a prévalu en Europe pendant des siècles et qui pensait l’homme comme un animal social et politique, en lien, enraciné, et soumis à un ordre supérieur. Ce nouvel ordre conçoit l’homme idéal comme une créature strictement rationnelle et autonome, sans affect, sans racines, sans famille, sans sexe, et soumise a priori a aucune loi supérieure. La société idéale, dans cette perspective, est une société où la complexité des liens économiques entre les uns et les autres assure à tous la paix politique et le bonheur individuel. Pour assurer l’extension de ces liens économiques et l’émergence de ce nouvel homme qui poursuit avant tout son intérêt égoïste, nous avons organisé la destruction de la cellule familiale, de l’économie locale et de l’unité nationale.
Cet idéal de société influence depuis des années nos choix politiques, économiques, et – évidemment – scientifiques et techniques. La tentative historique de le mettre en place s’est accélérée dans les années 1990 avec le passage du capitalisme à l’ère de la bioéconomie, ce nouveau stade économique dans lequel le corps n’est pas seulement considéré comme un matériau, mais comme une ressource économique nouvelle. C’est la tristement célèbre formule de Pierre Bergé « louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? ».
Les biotechnologies sont basées sur l’idée que le corps n’est qu’un matériau sans signification, une ressource potentielle. Elles sont issues d’une vision utilitariste et productiviste de la société.
Nous sommes libres de faire d’autres choix politiques
Si ces techniques sont le fruit de choix politiques et économiques circonstanciels, cela signifie bien que ces choix ne sont pas inéluctables. Nous pouvons en faire d’autres. Ces choix sont assis sur la vision politique et philosophique que nous venons de rapidement brosser, une vision erronée et mensongère.
Ces choix sont générateurs de malheur. Il serait intéressant de détailler tous les niveaux d’exploitation et de misère qu’elles engendrent. Nous nous contenterons donc de quelques exemples. La procréation médicalement assistée, pour seulement 17% de succès toutes méthodes confondues, mais des parcours médicaux extrêmement coûteux sur le plan humain pour les couples qui y ont recours. Outre leur souffrance à eux, il y a aussi désormais celle de toute une chaîne humaine derrière ce qui est devenu un commerce juteux. La découverte des bétabloquants avait permis l’essor dans des pays à la législation peu regardante de cliniques réservées aux plus riches demandeurs d’organes. Là aussi, le développement du marché de la reproduction favorise le commerce d’êtres humains, avec dans ce cas précis l’exploitation des femmes pauvres partout à travers le monde pour qu’elles vendent leurs gamètes ou qu’elles louent leurs utérus.
Ces techniques répondent néanmoins à des problématiques circonstancielles bien réelles. Elles nous offrent des bénéfices immédiats qui nous les rendent attractives et désirables, au mépris des conséquences de long terme et parce qu’elles nous sont présentées comme les seules alternatives possibles. C’est entre autres raisons aux effets nocifs de l’introduction massive de perturbateurs endocriniens et autres toxiques dans notre quotidien que viennent répondre les techniques d’assistance médicale à la procréation. Elles sont d’abord le fait d’un grand tabou, le problème de la stérilité massive dans nos sociétés modernes, un problème qui ne fait qu’empirer d’année en année dans la mesure où la PMA n’apporte aucune solution en termes de fertilité humaine. Elle se contente de proposer aux couples en difficultés d’obtenir un bébé par d’autres biais que la fécondité naturelle de leurs corps. La question des toxiques, elles, ne semble pas préoccuper beaucoup de nos décideurs politiques ni des grands acteurs économiques du secteur médical.
Ne serait-il pas temps de changer de paradigme ?
Comment discerner et discriminer entre toutes les voies possibles ?
D’abord dénoncer le mensonge philanthropique
L’homme ne vit pas sans technique ni sans recherche de connaissance. Il n’est pas question d’un retour en arrière, à un état de nature idéal face à une soi-disant corruption de la technique. Cet état de nature idéal n’existe pas, et la technique n’est pas corruptrice en tant que tel. Elle dépend directement des choix politiques et anthropologiques d’une société. C’est pour cela, nous l’avons vu, que la technique moderne va dans le mur et crée du malheur. C’est d’abord parce qu’elle est basée sur des mensonges philosophiques et politiques. C’est aussi pour cela que sa course en avant vers une forme de corruption de la nature humaine n’est pas inéluctable. Pour pouvoir changer de paradigme et remettre la science et la technique dans les rails d’un progrès bénéfique à la société dans son ensemble et à chacun en particulier, il s’agit donc de la resituer par rapport à une vision politique et anthropologique justes.
Nous avons commencé à entrevoir le mensonge en mettant en lumière le malheur qu’engendrent nombre de ces techniques. Nous avons parlé des techniques de procréation médicalement assistée. Nous pourrions aussi évoquer ici les avortements forcés en Chine, les avortements pour raisons économiques, mais aussi la pression des familles, du conjoint, et évidemment nous étendre sur les souffrances que vivent un nombre non négligeable de femmes qui ont eu recours à l’avortement. Ces techniques sont loin d’être bénéfiques à tous. Elles sont porteuses de souffrances physiques et morales, d’exploitation de l’homme par l’homme. Plus qu’à ceux qui y ont recours, c’est aux quelques-uns qui les commercialisent qu’elles profitent réellement. Car ces techniques sont la base d’un marché juteux et aux perspectives prometteuses.
Derrière la rhétorique de don, d’amour, d’entraide avec laquelle les promoteurs de ces techniques font leur publicité, se cachent d’importants enjeux économiques, politiques et financiers. Le fameux « suicide assisté » qui nous est vendu à grand coups de cas limites pour lesquels oui, la souffrance du patient paraît absolument insupportable, c’est une réponse évidente au vieillissement de nos sociétés d’une part, et à l’absence de place pour les improductifs. L’avortement pour rendre leur liberté de choix aux femmes, ce sont des embryons pour la science. De même, la PMA est une source de plus en plus importante de gamètes et d’embryons pour la recherche. Toutes ces techniques, ce sont des points de PIB supplémentaires pour des pays qui ont chacun leur tour avec bonheur pris le tournant de la bioéconomie. L’Inde ou la Chine se sont ainsi fait les champions de cette nouvelle économie, avec des cliniques internationales où les patients qui peuvent se le permettre viennent expérimenter des traitements préalablement testés sur les populations pauvres de ces pays. Ou encore des cliniques où les FIV sont non seulement l’occasion d’écarter les embryons potentiellement porteurs de maladie, mais aussi ceux qui n’auraient pas le bon sexe ou la bonne couleur d’yeux.
Nous voyons ici combien le mythe d’une société où le bonheur individuel et la paix politique seraient assurés par la poursuite par chacun de son « intérêt égoïste bien compris » est mensonger. Si la recherche offrait des espoirs de guérir une ou plusieurs des défauts et maladies de l’œil, la société toute entière n’aurait-elle pas intérêt à placer là son argent ? Il semble évident que oui. Cependant, si ce choix revenait à des acteurs strictement économiques, et non pas des acteurs politiques visant au Bien Commun, ne seraient-ils pas, eux, plus intéressés d’investir dans le développement de prothèses ultra-performantes ? Après tout, le développement de verres correctifs n’offre-t-il pas des perspectives prometteuses autant pour la médecine et la science que pour l’industrie et le commerce ? Ces prothèses ne pourraient-elles pas même représenter un nouveau marché jusque pour les bien-portants, qui pourraient ainsi obtenir des performances améliorées ?
Ensuite dénoncer le mensonge anthropologique et philosophique
L’exemple n’est pas si farfelu qu’il paraît, dans la mesure où la recherche et le marché de la prothèse sont effectivement depuis quelques dizaines d’années le lieu de spéculations philosophiques d’un nouveau genre. Les biotechnologies et plus largement le développement récent de la science et de la technique contemporaines sont en effet assises sur un mensonge bien plus grand que ces enjeux économiques ne font que servir.
Les premiers promoteurs de ces techniques, de cette forme d’artificialisation de la vie humaine, et surtout de la vision du monde qui les a rendues possibles, ce sont les transhumanistes. Ce mouvement de pensée extrêmement influent, puisque porté par les géants du numérique que sont Facebook et Google, et par tout un pan du monde médical, promeut l’idée selon laquelle le progrès scientifique va sauver l’être humain de la maladie et de la mort. La science va nous libérer des contraintes de notre condition humaine, et notamment des limites de notre nature sexuée, et va nous permettre d’améliorer nos performances – de devenir des surhommes en quelques sortes. L’utérus artificiel viendra libérer les femmes de la grossesse et réaliser ainsi enfin le rêve d’égalité parfaite des féministes. Les transhumanistes charrient en effet avec eux toutes ces idéologies qui rêvent d’un Nouvel Homme, supérieur à l’ancien. C’est-à-dire qu’ils pensent pouvoir changer la nature humaine !
Changerons-nous la nature humaine ?
C’est sans doute l’argument le plus fréquemment mis en avant dans ces débats autour de la technique moderne, tant par les promoteurs de ces nouvelles techniques que par leurs détracteurs : nous allons changer la nature humaine. Les premiers appellent ce changement de leurs vœux en nous promettant des lendemains qui changent où les contraintes de la nature ne viendront plus limiter nos choix de vie, c’est-à-dire dans leur vision politique, notre liberté. Des précurseurs comme Elisabeth Badinter saluaient déjà il y a quelques dizaines d’années cette perspective dans L’un et l’autre avec cette conclusion prophétique : « si l’humanité de demain accepte de voir naître des enfants maternés par une machine ou par un homme, il est probable qu’elle déclenchera une mutation de l’espèce […]. La fin de l’Homme ? Non, un nouvel Homme ». Ils pensent l’homme comme n’étant qu’un être de culture, un être strictement politique.
Les seconds crient au scandale, effrayés par la perspective d’un homme qui ne serait plus soumis aux contraintes de la nature. Ils limitent l’homme à sa nature animale, en limitant des problématiques politiques cruciales à leur dimension strictement biologique. C’est le cas par exemple de la question de la différence des sexes mise en question par ces technologies. Le féminisme n’a rien inventé : la gestion des rapports entre les sexes a toujours été un enjeu politique majeur, auquel les différentes civilisations ont trouvé chacune leur réponse. La nouveauté, c’est de souhaiter y répondre en liquidant cette différence. Si cette réponse semble effectivement dangereuse, la question ne peut être balayée du débat politique pour autant.
Il y a beaucoup de confusions aujourd’hui, même chez les opposants aux dernières nouveautés en matière de bioéthique, quant à cette question de la nature – de la nature humaine et de la nature tout court. Un argument fréquemment mis en avant pour justifier une opposition à toutes ces nouvelles techniques, c’est qu’elles « dénaturent » les choses, qu’elles ne respectent pas la nature pensée comme étant notre stricte part animale. Cet argument de la nature naturante fonctionne peu, parce qu’il exige en toute cohérence, soit le renoncement à toute forme de technique, soit à l’inverse que tout ce qui existe dans la nature soit reproductible par l’homme, ce qui laisserait une marge de manœuvre quasi-totale à la science dans la mesure où la nature elle-même produit des chimères.
La plus grosse erreur à dénoncer c’est cette croyance selon laquelle il serait possible de changer la nature humaine. L’être humain sera toujours corps et esprit, créature incarnée et donc mortelle. Il sera toujours un être sexué et cette sexuation sera toujours le fondement de nos sociétés humaines, quel que soit le niveau de corruption que nous aurons introduit dans cette fécondité naturelle du couple homme-femme. Saint Thomas d’Aquin l’affirme, « la technique humaine ne s’exerce que sur ce que la nature a déjà fait exister en acte ». Nous pouvons détruire, nous pouvons corrompre, nous pouvons abimer, nous pouvons créer des monstruosités diverses et variées, mais en aucun cas l’être humain n’est capable de changer la nature des choses.
Une réponse d’abord anthropologique et politique
Le seul résultat de ces tentatives de nous éloigner de notre nature, c’est plus de malheur, plus de déconvenues, plus de ressentiment, plus de déceptions. Plus nous nous sommes convaincus qu’il était possible pour les femmes d’avoir un enfant quand elles le voulaient, plus l’attente d’un enfant et l’infertilité potentielle sont devenues des perspectives insupportables. Plus nous avons annoncé être en mesure de faire reculer la maladie et la mort, plus le moindre rhume est devenu un scandale politique. Il est évident qu’il y a derrière ces situations des souffrances, des souffrances réelles et parfois difficilement soutenables, mais mentir à une personne en souffrance quant aux causes de cette dernière comme aux solutions que nous pouvons lui offrir n’est pas souhaitable.
Il s’agit pour nous de trouver des réponses à la souffrance des personnes âgées et malades, de limiter au maximum les situations de grossesse non désirée par des moyens qui préservent à la fois la santé des femmes et leur liberté réelle, de restaurer durablement la fécondité des couples touchés par l’infertilité. Il s’agit aussi de nous poser plus largement la question des techniques que nous employons au quotidien, de l’usage que nous en avons évidemment, mais aussi de leur raison d’être et de leur finalité, afin de vérifier si elles sont cohérentes avec ce que nous souhaitons pour nous et pour nos enfants en termes politiques et anthropologiques.
Une fois dénoncés les mensonges derrière les promotions de ces nouvelles technologies qui cherchent à nous couper de notre nature, une fois pointé du doigt le malheur de nos contemporains, il nous faut leur proposer des alternatives fonctionnelles. C’est ici qu’il faut affirmer haut et fort qu’il n’y a aucune fatalité dans les orientations techniques qu’ont prises la science et la technique modernes. L’invention, puis l’utilisation et la démocratisation de ces techniques sont le fruit de choix politiques. D’autres choix politiques nous permettraient de leur opposer une direction différente de la recherche et de la technique, et de proposer aux souffrances de nos contemporains des solutions adéquates. Or pour que ces alternatives soient justes et fonctionnelles, elles devront être fondées sur une vision de l’homme, de la société et de leurs finalités respectives justes. Il nous faut donc d’abord et avant tout nous mettre d’accord sur l’anthropologie que nous voulons opposer aux promoteurs de l’artificialisation de la vie humaine.
Je souhaite pour ma part pour nos enfants un avenir différent de celui que je vous ai exposé en introduction. Je souhaite un avenir basé sur une vision juste de l’homme, celle d’un homme en lien, dans lequel se mêlent intimement nature et culture. Mon éthique politique, ce sont les lois naturelles – ces lois, à distinguer des lois de la nature – qui permettent à toute société de perdurer et qui assurent sa stabilité. C’est au nom du Bien Commun et dans le respect de ces lois que nous devons orienter la recherche scientifique et les enjeux économiques qui l’accompagne. Le Bien Commun, ce n’est pas le bonheur isolé de quelques personnes qui peuvent se payer un bébé sur mesure, mais c’est la fertilité de toute une société, sa capacité à protéger les plus faibles et les plus vulnérables à tous les niveaux, à faire corps avec les souffrances des uns et des autres non pas en leur offrant des solutions faciles et mensongères, mais en acceptant de rendre cette souffrance féconde pour tous.