Anne Trewby au Xe Colloque de l’Institut Iliade

L’intervention d’Anne Trewby renvoie vers un texte plus approfondi sur la question de l’artificialisation de la vie humaine publié dans les actes du colloque et que vous pouvez retrouver ici.

Lorsqu’on parle d’artifice, de quoi parle-t-on exactement ? D’après le Larousse, l’artifice, c’est un « moyen habile visant à cacher la vérité, à tromper sur la réalité ». C’est-à-dire que l’art, l’artefact, serait aujourd’hui devenu artifice, mensonge, tromperie.

D’abord, une évidence. L’homme ne vit pas sans art ni sans artefacts. L’être humain a toujours eu cette volonté de de comprendre le monde qui l’entoure, d’obtenir sur lui une forme de maîtrise. Il a toujours cherché à soigner les défaillances du corps d’une part et à augmenter ses capacités de l’autre. Les premières trépanations remontent au Néolithique.

Ce que laisse entendre notre sujet, c’est que ce recours à la science et à la technique, aujourd’hui, sont devenus mensongers, factices, trompeurs. Il y a eu un changement – et ce changement, à mon sens, c’est avant tout un changement de projet politique.

Effectivement, lorsqu’on lit les gros titres en matière de sciences et d’innovation, et – bien plus grave,
si l’on se penche sur les dernières fictions juridiques en la matière – on pourrait croire :

  • qu’il est possible pour une femme seule ou pour deux femmes de faire un enfant ensemble – puisque la loi l’autorise désormais et reconnaît la possibilité d’inscrire sur l’état civil d’un enfant 2 mères ou 2 pères,
  • que nos enfants, s’ils ne sont pas satisfaits d’être garçons ou filles, pourraient, changer de sexe – les chirurgies génitales de transition sont désormais prises en charge par la Sécurité Sociale.

Le mensonge ne date pas d’hier puisque ça fait déjà plusieurs dizaines d’années maintenant qu’on nous explique :

  • que c’est possible pour une femme d’avoir un enfant quand elle veut
  • que c’est possible d’avoir d’un côté le sexe pour faire les bébés, et de l’autre le sexe pour se faire plaisir.

Or, de telles affirmations sont des mensonges :

  • L’humanité pour perdurer aura toujours besoin d’hommes et de femmes – et quoiqu’on en pense de procréation naturelle.
  • Aucun médecin ne pourra jamais fabriquer une femme ou un homme de toutes pièces à grands coups d’opérations et d’hormones de synthèses.

Et malheureusement, si on arrive aujourd’hui dans une certaine mesure à castrer les femmes, la réalité se rappelle encore bien souvent à nous sous la forme :

  • soit d’une grossesse non désirée,
  • soit, et on en parle trop peu, à travers l’attente longue, douloureuse, et parfois hautement médicalisée, d’un enfant qui tarde à venir.

Si vous m’écoutez, c’est sans doute que vous êtes déjà assez lucides sur cette question, et que vous avez déjà commencé à questionner cette invasion de la technique dans chaque dimension de nos vies. C’est sans doute aussi que vous vous inquiétez de la passivité de nos contemporains face à cette situation qui vous semble critique.

J’espère ce matin réussir à vous donner quelques arguments pour les réveiller un peu.

Alors d’abord, pourquoi, pourquoi nos contemporains croient encore massivement à ces mensonges ?

Pourquoi acceptent-ils passivement cette artificialisation croissante de nos vies, qu’il s’agisse de nos vies biologiques, ou de nos vies quotidiennes – elles aussi envahies par des technologies de plus en plus invasives ?

Tout simplement parce que même ceux qui ne partagent pas l’enthousiasme des promoteurs de ces techniques pensent qu’il s’agit d’une marche inéluctable. On n’arrête pas le progrès à ce qu’il paraît !

Et bien pourtant si.

On l’arrête.

Il n’y a dans la situation actuelle aucune fatalité.

L’état actuel de la technique, l’invasion des biotechnologies, le passage du capitalisme à l’ère de la bioéconomie, etc. tout cela est le résultat d’un projet et de choix politiques donnés et circonstanciels.

Ces techniques répondent à un projet politique précis, qui est porté d’abord et avant tout par les transhumanistes. Ce dont nous parlons ici, c’est de Facebook, Google, et de toute une palanquée de savants fous qui trouvent ça fabuleux d’injecter de l’ADN de vache dans des embryons humains et qui sont persuadés qu’ils vont vaincre la mort en disséquant des embryons à la chaîne en laboratoire… On pourrait également citer les militants en faveur des prothèses pour permettre à tous et à chacun d’améliorer ses performances sportives et/ou cognitives.

Le projet politique de tous ces gens, c’est celui de créer un homme nouveau, une sorte de surhomme, mais grâce à la technique cette fois. Tous ces savants fous, ces riches qui investissent des millions dans des recherches pour vaincre la mort sont persuadés d’une chose, qu’ils peuvent changer la nature humaine.

La nature, pour ces gens-là, c’est un simple matériau biologique, c’est une ressource – et pour ce qui est de notre nature humaine, une limite à notre liberté qu’il est souhaitable d’abolir.

On va rendre l’humanité meilleure,

On va la rendre plus performante, plus heureuse.

Ou alors au moins quelques hommes.

Le problème, c’est que ces croyances sont fausses, elles sont un mensonge. Et c’est ce même mensonge qui nous empêche de leur répondre, qui nous paralyse, qui nous fait peur. Nous avons peur qu’ils nous fassent perdre notre humanité.

Rassurons-nous : ce n’est pas possible !

A quoi ressemblera le dernier homme ? Comment va évoluer cette humanité qui serait descendue du singe ? Au risque de décevoir, un caméléon ne deviendra jamais un chat, ni un être humain une créature supersonique. Le dernier homme a toutes les chances de ressembler au premier.

C’est là le plus gros mensonge. L’intégralité de la promesse marketing à partir de laquelle on nous vend toutes ces technologies, c’est que demain, nous pourrions devenir des surhommes, et l’humanité meilleure.

C’est faux. Comme nous l’apprend Saint Thomas d’Aquin : « la technique humaine ne s’exerce que sur ce que la nature a déjà fait exister en acte ».  

Dans une certaine mesure, c’est aussi très rassurant.

Ça signifie qu’in fine, tous ces gens-là ont beaucoup moins de pouvoir qu’ils n’imaginent. Et surtout que dans le débat politique, à partir du moment où ce mensonge-là est démasqué, c’est d’autant plus facile ensuite d’aller mettre à jour tous les enjeux économiques, l’exploitation massive des personnes, des corps, de populations, sur lequel repose ce système techno-scientifique.

On pense tout de suite à la GPA sur ces questions – mais la PMA relève de dynamiques similaires : c’est un commerce international des gamètes, des embryons – des corps… pour des pratiques qui par ailleurs toutes techniques confondues atteignent difficilement les 17% de réussite.

Si on admet que ce n’est pas possible de changer la nature humaine, on peut pas nier pour autant que cette artificialisation de la vie l’affecte. Elle peut par contre abimer, amoindrir, corrompre cette nature et donc créer du malheur.

Il y a un éternel débat sur les enfants et les écrans.

  • D’un côté il y a ceux qui s’extasient de voir des tout petits swiper un écran et mieux gérer un ordi que leurs grands-parents.
  • De l’autre, il y a ceux qui s’affolent de la perte du vocabulaire, des capacités d’apprentissage de ces mêmes enfants, etc. Et c’est immanquablement ceux-là qui finissent caricaturés.

Ce qui est beaucoup plus révélateur, et plus alarmant, c’est le taux massif de dépression chez ces enfants surexposés aux écrans.

Plutôt que de nous inquiéter des futurs hommes-cyborgs, c’est cela que nous devrions dénoncer. Ce sont ces mensonges et c’est leur conséquence directe :  le malheur croissant de nos contemporains, entre /

  • la solitude des femmes qui congèlent leurs ovocytes pour ensuite payer des PMA des mille et des cents,
  • le mal-être de gamins qui en sont quand même à demander de changer de sexe,
  • ou encore le scandale de nos anciens qui meurent massivement seuls dans des EPADH
  • etc.

Ce malheur est avant toutes choses dues à une vision du monde, à des promesses politiques erronées, fallacieuse, et mensongères – pas juste à un vague dysfonctionnement du système.  

Ceci étant dit, il s’agit, après avoir décrit et dénoncé, de proposer ! C’est ici qu’il faut affirmer haut et fort qu’il n’y a aucune fatalité dans les orientations techniques qu’ont prises la science et la technique modernes. L’invention, puis l’utilisation et la démocratisation de ces techniques sont le fruit de choix politiques.

Quand on regarde l’histoire des civilisations, on se rend vite compte que cette fameuse marche du progrès, elle n’a rien de linéaire ni dans le temps, ni dans l’espace.

  • Certaines civilisations antiques maîtrisaient des techniques qui ont été abandonnées au Moyen-âge, comme les routes pavées.
  • Il y a des techniques qui ont été, on va dire « perdues » comme la corde à nœuds ;
  • et plus intéressant encore, certaines ont été refusées. C’est le cas des Aztèques dont on a la preuve qu’ils connaissaient la roue, mais qu’ils ont choisi de ne pas utiliser cette technique.

Tout ceci pour vous dire, encore une fois, que la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui
n’a rien d’inéluctable.
Si ce sont des choix politiques donnés qui nous ont menés dans l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui,d’autres choix politiques nous permettraient de leur opposer une direction différente de la recherche et de la technique, et donc de proposer aux souffrances de nos contemporains des solutions adéquates.

Serons-nous moins intelligents, moins courageux, moins perspicaces que les Aztèques ?
L’avenir, Mesdames et Messieurs, nous le dira. Et pour ma part, je compte bien œuvrer dans ce sens-là.

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