Télécharger le pdf complet : Réflexion des Antigones – Femmes, écologie et transmission
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La crise écologique, traitée dans un cycle de réflexion que vous pouvez retrouver dans son entier ATG texte écologie, n’est pas qu’une question économique. Elle questionne l’ensemble du mode d’existence de l’homme.
1. L’art d’habiter notre monde
Sur le plan pratique, toutes les solutions « écologiques » concrètes sont inventées : habitat écologique et solidaire ; AMAP ; nouveaux modèles économiques ; sauvegarde de la diversité semencière ; recyclage et réduction des déchets ; biodynamie… Mais ces solutions ne seront que des expédients pratiques sans impact véritable si elles ne s’accompagnent pas d’un renouvellement d’ensemble de la vie en communauté à même de réconcilier écologie et économie, ces deux mots qui partagent la même racine grecque, oikos.
L’oikos, c’est le lieu de la production économique, l’espace où s’organisent les relations sociales primaires au sein de la communauté naturelle prépolitique, et où grandissent les adultes de demain. L’économie, c’est l’art de gérer les ressources nécessaires à la maisonnée humaine et, par extension, à l’ensemble de la société ; l’écologie, c’est l’art d’habiter le monde, dont nous ne sommes que les hôtes éphémères.
La révolution écologique véritable, c’est donc réinventer un monde où hommes et choses coexisteraient dans une unité organique, où les choses du monde et les êtres vivants qui le peuplent ne seraient pas que des ressources à consommer, mais porteraient en eux-mêmes leur sens. La fin de la vie sociale n’y serait pas l’accumulation d’une « richesse » abstraite et illusoire, mais l’épanouissement de l’être – celui de l’homme aussi bien que celui de la nature.
2. Agriculture et lien social
Les modèles agricoles alternatifs sont nombreux : agriculture écologique, biologique, biodynamique, permaculture, agroforesterie, etc. Des deux premiers modèles cités, il y a peu à attendre, dans la mesure où il s’agit de techniques dont l’organisation productive est très proche de l’agriculture conventionnelle. Celui de l’agroécologie, dans sa version originelle, semble au contraire riche de promesses.
C’est au Brésil que cette nouvelle forme d’agriculture, citée pour la première fois par l’agronome Basil Bensin, en 1928 a trouvé un terrain d’expérimentation privilégié, profitant d’une forte vague de contestation paysanne. Le passage à l’agroécologie a permis lors de ces premières applications des rendements agricoles jusqu’à cinq fois supérieurs aux méthodes traditionnelles et deux à trois fois plus importants, en moyenne, que l’agriculture conventionnelle. De nombreuses expériences montrent une forte implication des femmes dans sa mise en œuvre. Le renouvellement des formes d’agriculture va en effet de pair avec un renforcement de la vie sociale locale, et favorise l’autonomie des familles.
Toutefois, la façon dont le gouvernement en France reprend les slogans agroécologiques est bien loin de cette impulsion originaire. Le ministère de l’Agriculture a déclaré ainsi vouloir mettre en place un plan ambitieux pour que les agriculteurs français adoptent les méthodes agroécologiques. Simple « verdissement de l’économie », qui laisse intacts les paradigmes fondamentaux à l’origine de la crise écologique. En effet, les documents officiels concernant l’agroécologie sont centrés sur les aspects techniques, et mettent l’accent sur la valeur de productivité des méthodes agroécologiques. Il s’agit notamment d’augmenter les rendements et d’intensifier la production. L’agroécologie de bon ton au gouvernement est donc une technique agricole, qui n’a aucune prétention à la mise en œuvre d’un modèle social alternatif. À ce titre, l’usage du terme agroécologie dans le projet de loi d’avenir Alimentation-agriculture-forêt fut emblématique.
Les institutions publiques ne sont pourtant pas les seules à s’intéresser à l’agroécologie en France. On trouve notamment des structures dynamiques autour de Pierre Rabhi, qui a été parmi les premiers à importer ce concept en France. Deux autres exemples très différents peuvent illustrer sa démarche : la Ferme de la Bouzigue, qui allie les préoccupations agricoles à un intérêt très marqué pour l’intergénérationnel et le renouvellement des modèles éducatifs, et le Monastère de Solan, où des moniales orthodoxes ont choisi de mettre un accent particulier sur le caractère cosmique de la spiritualité chrétienne. Mais c’est hors de nos frontières que l’on peut trouver les projets les plus ambitieux, comme en Roumanie, où l’Église locale se montre très intéressée par la promotion des pratiques agroécologiques.
Mentionnons également la permaculture. Il s’agit d’une vision holistique, constituée d’un ensemble de techniques et de modes de vie proposant des solutions concrètes pour vivre dans notre monde irrationnel. La permaculture renverse par exemple totalement les dogmes de l’agriculture telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Au lieu de tout séparer, on rassemble, on traite tous les sujets, agricoles ou autres, en synergie. Dans la nature, les pissenlits ne sont pas rangés d’un côté et les noisetiers de l’autre : chacun cohabite avec l’autre et pousse grâce à l’autre.
3. Une révolution intérieure
Une révolution écologique véritable repose sur une forme de conversion intérieure, une véritable réforme de nos modes de vie. Cette transformation radicale est littéralement impensable dans la société sans repères dans laquelle nous vivons où le système de consommation devient le moyen de construire une identité qui n’est plus transmise. Alors que c’est l’enracinement, dans la nature et la culture qui nous précède, qui forge l’identité de l’homme et fonde sa liberté.
Plus que jamais, l’homme européen a besoin d’une authentique sagesse qui unifie les champs éclatés de son savoir et remédie à la crise de la rationalité occidentale décrite dans la deuxième partie de ce travail. Plus que jamais, il a besoin d’une sagesse qui donne du sens à son existence individuelle et collective, et permette de fonder une vie en société équilibrée et ordonnée. Cette sagesse authentique implique la reconnaissance de toutes les dimensions de l’existence humaine, y compris et surtout celle que notre société actuelle refuse obstinément de prendre en compte : le transcendant, le religieux, le sacré.
4. Éduquer à la liberté : la femme, levier du changement
On ne soulignera jamais assez à quel point, le rôle des femmes, mères et éducatrices de la génération montante, est essentiel dans le combat, que nous avons à mener. Il ne s’agit pas en effet d’une révolution idéologique, mais de faire naître le monde de demain.
Changer nos modes de vie, c’est d’abord, concrètement et humblement, façonner les jeunes générations à travers les gestes quotidiens – privilégier les produits bruts et la cuisine faite maison, cultiver un potager, refuser les achats inutiles, limiter la production de déchets, bannir les produits ménagers toxiques, connaître les plantes et les aliments qui guérissent, entretenir une bibliothèque riche et instructive, découvrir la nature en famille, inventer ses propres vêtements, apprendre à faire des choses de ses mains… la liste est inépuisable. Ce sont ces habitudes de vie qui, transmises dès le plus jeune âge à l’intérieur du foyer, rendront la génération nouvelle capable d’aller plus loin.
Si humbles que soient ces gestes, l’éducation des adultes de demain demande pourtant une véritable audace aux parents d’aujourd’hui : voulons-nous continuer à éduquer nos enfants selon des standards éducatifs forgés en fonction des besoins de la société industrielle ? Ou voulons-nous développer le potentiel unique qui est en chacun d’eux, conscients que notre mission est de faire d’eux des êtres libres et autonomes, capables de poser de véritables choix à la mesure des défis qui seront les leurs ?
Notre rôle de femmes est fondamental enfin dans la construction de l’identité profonde de nos fils et de nos filles : les femmes contribuent, au sein de la famille, à façonner la sensibilité morale de la nouvelle génération. Ce sont elles qui, de façon privilégiée, transmettent à leurs enfants le sens du sacré et de l’intériorité.
Il est ainsi urgent pour nous, femmes, de nous réapproprier le cœur de cette féminité, levier si puissant pour transformer ce monde. Face aux enjeux écologiques de notre temps également, notre féminité est une arme !