Lutte contre la radicalisation : la mort programmée de la liberté éducative ?

Critique de la proposition de loi n°3704
proposée par M. Eric Ciotti

Retrouvez l’interview d’Isabelle pour Boulevard Voltaire sur ce projet de loi liberticide et sa tribune.

La dernière trouvaille du très-autoritaire député Les Républicains Eric Ciotti ? Une proposition de loi déposée le 27 avril 2016, « visant à renforcer l’encadrement des établissements privés hors contrat et à limiter les possibilités de dérogation à l’obligation scolaire. » En bref, ce petit texte au contenu fort accessible, dont l’objectif avoué est la lutte contre la radicalisation des musulmans de France, vise à durcir les conditions d’ouverture des écoles hors contrat, et à substituer une obligation de scolarité à l’obligation d’instruction actuellement en vigueur. Un texte qui sent le réchauffé, insuffisamment motivé, faisant de la France le seul pays de l’OCDE à ne permettre ni école à la maison, ni aide à la scolarisation dans des établissements privés ou hors-contrat.

 

Une impression de déjà-vu

La question de la liberté d’instruction est une question épineuse qui fait débat depuis les lois Ferry (1881). La scolarisation massive et obligatoire des enfants à l’école de la République était déjà vécue comme «une négation audacieuse et une destruction formelle de la liberté.»[1]

Depuis, les partisans de la liberté d’instruction se maintiennent dans un vide juridique pour promouvoir l’école à la maison, celle-ci n’étant pas reconnue comme un droit à part entière : la jurisprudence française interprète en effet systématiquement la liberté éducative des parents de façon extrêmement restrictive. En 2009, le député UMP Fennech, proche de Fillion, ancien président de la Miviludes, avait relancé le débat de l’école à la maison comme étant source de sectarisation. Cette loi avait déjà réduit la possibilité de faire l’école à la maison aux seuls enfants du foyer.

Il y a un peu plus de deux ans, le sénateur Hugues Portelli, UMP lui aussi, déposait une proposition de loi visant, sous prétexte de socialisation de l’enfant, à restreindre la possibilité de l’instruction à domicile aux seuls cas d’incapacité :

« À titre exceptionnel, l’instruction obligatoire peut être donnée dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix, lorsque l’enfant est dans l’impossibilité, pour des raisons liées à son incapacité physique ou mentale, de pouvoir suivre régulièrement une formation dans un établissement d’enseignement. Cette incapacité est constatée et attestée, dans chaque département, par un médecin agréé par le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN). »

Le choix de l’instruction en famille (IEF) était en effet interprété par le sénateur comme « le prétexte d’une désocialisation volontaire, destinée à soumettre l’enfant, particulièrement vulnérable, à un conditionnement psychique, idéologique ou religieux. » Hugues Portelli était à l’évidence un fin connaisseur de l’IEF et des pédagogies alternatives… Depuis qu’il avait lui-même retiré son projet de loi en mars 2014, on pouvait penser que le sujet était clos, et ce d’autant plus que la liberté éducative des parents est proclamée sans aucune ambiguïté par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1948 (Art. 26.3).

La liberté du choix de l’instruction est ainsi détournée au profit de l’accès à l’instruction qui elle seule est reconnue comme liberté fondamentale. Eric Ciotti s’inscrit de nouveau dans cette dynamique réduisant le choix parental à l’obligation de scolariser leurs enfants dans des établissements publics ou privés contrôlé par l’Etat, sous couvert de la lutte contre l’islamisme radical.

 

Des motifs inconsistants

On est en droit de réclamer, devant le sacrifice de nos libertés réelles sur l’autel de la République, des motifs sérieux, des justifications irréfutables. Or, ce qui saute aux yeux au lecteur averti, c’est au contraire le caractère péremptoire et non documenté des affirmations qui émaillent l’exposé des motifs de cette proposition de loi. M. Ciotti se permet par exemple d’affirmer, sans l’ombre d’un chiffre ou d’une justification, que « la déscolarisation » touche « un nombre croissant d’enfants, surtout des filles, pour des motifs d’ordre essentiellement religieux » – quand on connaît tant soit peu le monde de l’IEF, la diversité des profils familiaux et la variété des motivations qui poussent les parents à entreprendre une démarche d’éducation à domicile, une telle affirmation prête à rire… Il n’est pas le seul à faire l’amalgame : une enquête américaine que seulement un tiers des motivations sont religieuses, alors que 50% des parents choisissant l’école à maison le font jugeant le système scolaire incompétent[2]. Dans le même paragraphe, le député fillionniste pose un lien de cause à effet plus que discutable entre la liberté éducative garantie par la loi française et « la multiplication d’écoles privées hors contrat prônant un islam radical ». Puisque la liberté est la condition d’émergence du problème, pas besoin de chercher bien loin, supprimons ladite liberté et le problème n’existera plus. Logique imparable !

En outre, l’exposé des motifs fait preuve de bien peu de rigueur et de précision dans les chiffres avancés : le nombre des écoles musulmanes présentes sur le territoire français n’est pas indiqué, et encore moins celui des écoles jugées « radicales ». On se contente d’affirmations floues, du type :

« Or, certains de ces établissements présentent non seulement de graves faiblesses pédagogiques mais également des risques de radicalisation religieuse. Beaucoup sont en effet sous l’emprise des Frères musulmans, qui prônent un islam radical. »

« Certains », « beaucoup », voilà de la statistique rigoureuse. En guise d’avis d’experts, deux petites citations tout droit sorties…d’un article du Figaro ! (« Les écoles musulmanes inquiètent le gouvernement », article publié le 5 avril 2016, soit une vingtaine de jours avant le dépôt de la proposition Ciotti). Alors même que 3,4% des écoles hors-contrat sont de confession musulmane contre 53,9% d’écoles non-confessionnelles.[3]

Inutile de chercher une définition de l’intégrisme religieux dont il est question, et encore moins de critères permettant d’évaluer sérieusement les risques de radicalisation : le flou artistique autour de ces notions sert de toute évidence le propos de M. Ciotti, qui entend faire planer le spectre du radicalisme religieux sur l’ensemble des écoles confessionnelles hors contrat, et ranger sans nuances le monde de l’IEF dans la case « dérives sectaires ». L’imprécision entretenue autour de ces notions n’est pas nouvelle : elle est commune à toute la série de lois liberticides passées récemment sous couvert d’état d’urgence.

 

L’art de légiférer quand on n’y connaît rien

2010-5430On aurait pu s’attendre à ce que M. Ciotti soit mieux renseigné en matière de politique éducative. C’est pourtant tout l’inverse : il ne connaît manifestement rien à son sujet.

Le titre même de cette proposition de loi témoigne d’une grave méconnaissance des textes juridiques : la proposition Ciotti prétend « limiter les possibilités de dérogation à l’obligation scolaire » – mais où dans le Code de l’éducation a-t-il jamais été question de dérogation ? Comme le reconnaît M. Ciotti lui-même, parler d’ « obligation scolaire » est un abus de langage (fréquent jusque dans les textes juridiques). Il n’existe pas en France d’obligation scolaire, mais une obligation d’instruction, ce qui est sensiblement différent (Articles L 131-1 et L 131-2 du Code de l’éducation). La liberté éducative devrait revenir de plein droit aux parents, comme le rappellent de nombreux textes fondamentaux, non suivis d’effet. Selon cette lecture, il ne s’agit donc en aucun cas d’une dérogation, mais de l’exercice plein et entier d’un droit fondamental revenant aux parents de l’enfant.

Pourtant comme ses prédécesseurs acharnés, Ciotti veut remplacer l’ « obligation d’instruction » par l’ « obligation scolaire » et la « liberté d’instruction » par le « libre accès à l’instruction » républicaine, faisant ainsi de la scolarisation un droit fondamental, donc une obligation, au détriment des parents.

Ciotti méconnaît en outre la réalité de l’IEF, reprenant à son compte les préjugés les plus éculés pourtant démentis (à contre-cœur) par les rapports annuels de la MIVILUDES et par le nombre dérisoire des cas de parents mis en demeure d’inscrire leur enfant dans un établissement scolaire suite à une inspection (voir à ce propos l’Etat des lieux des contrôles pédagogiques, publié en 2010 par une délégation d’associations de parents pratiquant l’IEF). On lit ainsi dans l’exposé des motifs que, dans le cas d’une éducation hors système scolaire,

« Les enfants sont alors victimes de propagande idéologique sous couvert de programmes éducatifs alternatifs. Ils risquent d’être marginalisés et embrigadés, car ils ne disposent pas encore de l’esprit critique qui leur permettrait de conserver leur liberté de conscience. »

Pour M. Ciotti, les choix pédagogiques affichés par les parents ne seraient donc que des prétextes couvrant d’obscures dérives sectaires et idéologiques. Il est vrai que l’école publique, dont la mission première est aujourd’hui, selon le Code de l’Education (art. L 111-1), la transmission des valeurs républicaines, est un cadre d’apprentissage vierge de toute influence idéologique. Ce que défend M. Ciotti avec cette proposition, c’est en réalité un monopole idéologique en faveur du modèle politique dominant, comme en témoigne cet extrait de l’exposé des motifs :

« Les lieux d’enseignements doivent rester des sanctuaires préservés de toute influence idéologique ou politique contraire aux valeurs républicaines et doivent poursuivre un projet commun : celui de la construction d’une communauté nationale. Les écoles doivent demeurer des lieux où se transmettent les savoirs et non les idéologies. »

De toute évidence, les « valeurs républicaines » relèvent du savoir, les autres, de l’idéologie

Ciotti semble tout ignorer de ces « programmes éducatifs alternatifs» vers lesquels se porte le choix des parents optant pour l’IEF. Ces pédagogies (Montessori, Steiner, Freinet, apprentissages informels ou unschooling) sont en effet centrées sur la liberté et l’autonomie intellectuelle et manuelle de l’enfant, bien loin de l’endoctrinement dénoncé dans cette proposition de loi. Elles sont donc parfaitement à même de réaliser le septième pilier du socle commun défini par la loi, à savoir l’autonomie et l’initiative individuelle, domaine dans lequel les textes gouvernementaux eux-mêmes reconnaissent une nette insuffisance de la structure scolaire.

Autre erreur juridique, concernant cette fois-ci les établissements hors-contrat : au moment de présenter l’article 2 de sa proposition de loi, relative au contrôle des établissements hors contrats, M. Ciotti affirme que :

« Actuellement, le code de l’éducation prévoit pour l’essentiel une inspection portant sur la moralité, l’hygiène et la salubrité de ces établissements. »

Or il s’agit d’une contre-vérité manifeste, puisque le Code de l’éducation prévoit actuellement les dispositions suivantes, à l’article L 144-2 :

« Le contrôle de l’Etat sur les établissements d’enseignement privés qui ne sont pas liés à l’Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l’obligation scolaire, à l’instruction obligatoire, au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale.

L’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation peut prescrire chaque année un contrôle des classes hors contrat afin de s’assurer que l’enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l’article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l’éducation tel que celui-ci est défini par l’article L. 111-1. »

La portée du contrôle auquel sont soumis les établissements hors contrat est donc bien plus importante que ce que laisse entendre M. Ciotti, se réfugiant derrière un « pour l’essentiel » délibérément imprécis.

 

Le problème des « valeurs de la République »

Il est très intéressant de constater que l’article 2 du projet Ciotti a pour objet de mettre les « valeurs de la République » en lieu et place du terme de « Constitution » à l’article 241-4 du code de l’éducation, concernant les critères du contrôle effectué par les inspecteurs. La conformité d’un enseignement à la Constitution est un élément matériellement vérifiable, contrairement au respect des valeurs de la République dont l’interprétation relève tendanciellement de l’idéologie.

L’expression de « valeurs de la République » recouvre une notion floue, invoquée de plus en plus souvent dans le monde juridique depuis son application dans l’affaire Dieudonné. Ciotti lui donne une nouvelle utilité, celui du contrôle de l’enseignement. L’introduction de la notion d’ « atteinte aux valeurs de la République » est extrêmement dangereuse en raison de l’absence de définition de ces valeurs, qui se déduisent du bloc de constitutionnalité, mais sans être nulle part explicitées telles quelles.

L’on peut considérer par exemple que les « valeurs républicaines » consistent pour l’essentiel dans la liberté, l’égalité et la fraternité – catégories philosophiques extrêmement larges, susceptibles d’interprétations très diverses, et sur lesquelles on ne peut fonder de raisonnement juridique clair. Une pratique religieuse est-elle une atteinte à la liberté, comme le pensaient les révolutionnaires français ?  L’enseignement de la complémentarité des sexes est-il une atteinte à l’égalité, selon la vulgate féministe en vigueur dans notre pays ? On peut aussi, comme il est fréquent, y adjoindre la laïcité – mais alors l’existence d’établissements confessionnels est en tant que telle une atteinte au principe de laïcité – ou encore l’absence de discrimination – ce qui reviendrait à établir une obligation de mixité (sexuelle, sociale, confessionnelle) incompatible avec les exigences propres de certains établissements. La notion d’ « atteinte aux valeurs de la République » est donc une notion dangereuse en raison de son absence de définition, et susceptible de couvrir les mesures les plus liberticides.

Il est impensable que ces « valeurs » soient la source de contrôle et d’interdiction. C’est au juge que reviendra l’interprétation en dernier recours. Nous sommes loin de la sécurité juridique d’un Etat de droit.

 

Des mesures inutiles

Le sentiment de révolte face à cette suppression autoritaire de nos libertés parentales et éducatives est d’autant plus légitime que les mesures proposées par M. Ciotti sont parfaitement inutiles. En effet, le dispositif légal encadrant les écoles hors contrat et l’instruction à domicile a déjà fait l’objet d’un resserrement significatif par la loi de 1998, complétée par une circulaire publiée l’année suivante. Il apparaît, à la lecture conjointe de cette circulaire et des extraits correspondants du Code de l’Education, que le dispositif légal actuellement en place est suffisant pour éviter toute dérive de caractère sectaire, que ce soit dans le cadre des écoles hors contrat ou de l’IEF.

Pourquoi en effet vouloir soumettre l’ouverture des écoles hors contrat à une autorisation préalable, alors que c’est déjà le cas en pratique ? En effet, selon les articles 441-1 et 441-2 du Code de l’Education, toute personne désireuse d’ouvrir un établissement privé doit préalablement effectuer une déclaration, adressée d’abord au maire, qui peut s’opposer à l’ouverture de l’établissement en cas de non-conformité des locaux, sur des critères liés à l’hygiène et aux bonnes mœurs ; aux représentants de l’Etat ensuite, qui peuvent faire opposition à l’ouverture de l’école, également en fonction des critères d’hygiène et de bonnes mœurs. Il y a donc déjà une forme d’autorisation préalable, strictement limitée au point de vue des motifs d’opposition, mais bel et bien existante.

Les contrôles effectués par les inspecteurs de la République permettent dans un second temps de s’assurer de la parfaite légalité du fonctionnement de l’établissement et du contenu de l’enseignement dispensé, soumis à des règles précises. Les critères sur lesquels s’effectuent ces contrôles, qui peuvent donner lieu à la fermeture de l’établissement, apparaissent amplement suffisants pour éviter les dérives d’ordre sectaire, dont la « radicalisation islamiste » que prétend combattre M. Ciotti, sans qu’il soit nécessaire d’introduire la dangereuse notion d’ « atteinte aux valeurs de la République ». Les critères de contrôle incluent en effet les notions d’instruction obligatoire (dont font partie les valeurs de la République, incluses dans le socle commun sous les rubriques « Culture humaniste » et « Compétences sociales et civiques »), d’ordre public, et de prévention sociale. Appliqués avec rigueur et complétés par les exigences de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ces critères sont suffisants pour motiver la fermeture d’un établissement dont le « radicalisme » (à définir) serait avéré.

Concernant l’instruction en famille, le dispositif mis en place est amplement suffisant, comme en témoigne la circulaire de 2011, à lire dans son intégralité. Les inspecteurs faisant habituellement preuve d’un zèle excessif dans ce domaine, toute illégalité dans l’éducation donnée à l’enfant est aussitôt signalée : il n’existe donc pas de menace sectaire sérieuse dans le cadre de l’IEF, dont la surveillance a été resserrée depuis la loi de 1998.

La proposition Ciotti n’est donc qu’une mesure facile, publicitaire et démagogue, au moyen de laquelle M. Ciotti tente de faire preuve de « volonté politique » auprès de son électorat, sans se donner la peine de chercher de véritables solutions pour la France : attaquer les minorités sociales en quête d’alternatives, ça ne coûte rien.

 

La lutte contre le radicalisme, prétexte à tous les abus de pouvoir

Il semble pourtant que M. Ciotti ait omis un détail : la question de la liberté éducative des parents n’est mentionnée nulle part, le choix est purement et simplement hors de question. Ce malencontreux oubli saute aux yeux à la lecture de la circulaire de 2011 concernant l’obligation scolaire. Cette dernière mentionne en effet deux cas de figure concernant l’IEF, que nous citons intégralement :

  1. L’instruction dans la famille est un choix de la famille. L’instruction peut alors être dispensée par les parents, ou par l’un d’entre eux, ou par toute personne de leur choix. Aucun diplôme particulier n’est requis pour assurer cet enseignement. Cependant, un certain nombre de familles sont soutenues dans leur démarche par des cours d’enseignement à distance et  inscrivent leurs enfants soit au Centre national d’enseignement à distance (Cned) en inscription libre, soit dans un organisme d’enseignement à distance privé.
  2. L’enfant ne pouvant pas être scolarisé dans un établissement scolaire est inscrit au Cned en classe à inscription réglementée. L’inspecteur d’académie-directeur des services départementaux de l’éducation nationale peut donner un avis favorable pour son inscription au Centre national d’enseignement à distance (Cned) en classe à inscription réglementée (article R. 426-2-1 du code de l’éducation) en précisant les motifs de l’inscription parmi lesquels :
  • soins médicaux en famille,
  • situation de handicap en attente de scolarisation dans un établissement médico-social,
  • activités sportives ou artistiques,
  • parents itinérants,
  • éloignement géographique d’un établissement scolaire.

Dans ce cas, le Cned  assure à ces élèves un enseignement complet, avec suivi pédagogique, relevés de notes et avis de passage reconnu qui s’impose aux établissements d’enseignement publics ou privés sous contrat.

Selon que l’enfant relève du premier ou du second cas de figure, les modalités de déclarations obligatoires et les modalités de mise en œuvre des contrôles diffèrent.

On reconnaîtra mot pour mot dans les motifs d’inscription mentionnés pour le cas de figure n°2, la liste exhaustive des critères retenus par M. Ciotti pour l’autorisation d’une instruction à domicile. La proposition de loi de M. Ciotti vise donc purement et simplement à supprimer le cas de figure n°1, à savoir le choix de la famille. Les choix éducatifs des parents ne sauraient en aucun cas motiver la décision d’instruire l’enfant à domicile, en fait il n’y a même plus de décision possible : l’IEF n’est autorisé que quand on n’a pas le choix, il s’agit d’une dérogation exclusivement motivée par l’incapacité, venant soit de l’enfant (incapacité médicale), soit de la famille (impossibilité géographique), soit de la structure scolaire (inadaptation de la structure scolaire aux activités sportives et artistiques de haut niveau).

Il n’existe, aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun texte fondamental protégeant les écoles hors-contrat et l’instruction à la maison. Car la liberté éducative est en réalité interprétée comme la liberté d’accéder à l’instruction. L’école républicaine étant supposée « neutre », celle-ci ne viole donc pas a priori les opinions religieuses ou politiques des parents…

Le flou juridique profitait aux écoles hors-contrat et à l’instruction à domicile, protégée par une simple loi, inscrite dans le code. Mais cette absence de consécration, qui est volontaire, permet de faire basculer la situation très facilement.

Depuis les origines de l’école telle qu’on la connaît en France, la liberté d’instruction et l’éducation parentale sont régulièrement remises en cause. On retrouve un débat similaire au nôtre lors de la discussion de la loi Ferry en Assemblée.

La limite à l’école Républicaine était ainsi pensée par les opposants à Ferry : « Pour la famille, élever et instruire les enfants, c’est une dette, une dette sacrée. Celui qui peut acquitter cette dette doit le faire ; quant à celui, au contraire, qui, suivant l’expression très heureuse de M. le ministre de l’instruction publique, ne pourrait, sans efforts, acquitter cette dette, on doit venir à son secours et lui accorder la gratuité » Pierre Jouin

« Que faites-vous de la famille par vos lois d’enseignement ? […]Vous mutilez son droit et vous restreignez son devoir ; vous la diminuez deux fois. Le père n’est vraiment père que lorsqu’il peut remplir complètement tous les devoirs de la paternité et en exercer librement tous les droits (Très bien ! très bien ! à droite). » Pierre-Charles Chesnelong

Le droit des familles à la transmission a été considérablement mis à mal depuis. Les excuses ne manquent pas : aujourd’hui ce sont les terroristes que l’on accuse, quand on invoquait hier la liberté ou l’égalité.

La loi de 1998 rétablit donc la cohérence idéologique des textes, en proclamant que l’ « instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement », faisant de l’IEF une quasi-dérogation à la loi commune, à tout le moins une exception ne devant pas s’étendre au-delà de certaines limites. L’iniquité de cette disposition légale est évidente, étant entendu que la liberté éducative des parents peut prétendre au statut de droit fondamental.

L’usage systématisé de l’expression « obligation scolaire » dans les textes officiels avait déjà induit des réflexes faussés de la part tant des inspecteurs que des parents d’élèves, auxquels on suggère que l’école est obligatoire, alors que c’est l’instruction qui l’est. Le contenu de certains textes juridiques concernant cette prétendue « obligation scolaire » n’est guère rassurant : dans la mentalité commune, l’IEF n’est que toléré, dans un esprit de suspicion systématique, voire de franche opposition.

La circulaire de 1999 est éloquente à cet égard : le durcissement des dispositions légales encadrant l’IEF est explicitement envisagé sous le prisme de la menace sectaire, largement fantasmée. L’introduction de cette circulaire en dit long sur les visées totalisantes de l’Etat en matière éducative : « Chaque année, lit-on, plusieurs milliers d’enfants échappent à l’École de la République », comme un sujet échapperait à l’autorité de son maître et seigneur. On y trouve également des contre-vérités patentes : « Trop souvent, affirme la circulaire, ces enfants sont maintenus dans un état d’inculture, d’ignorance, ou pire encore, embrigadés, aliénés, maltraités. » La possibilité de l’instruction en famille apparaît légitime dans la mesure où elle répond à des situations particulières ; elle n’est en aucun cas envisagée comme un choix éducatif normal, à part entière :

« Sans remettre en cause l’instruction dans la famille qui peut répondre à des situations sociales, familiales ou médicales particulières, la loi affirme, pour la première fois, la priorité donnée à l’instruction dans les établissements d’enseignement. Il serait, en effet, incompréhensible, en cette fin de XXème siècle où l’obligation scolaire est une conquête, de ne pas affirmer la prééminence de l’école. La liberté des choix ne signifie pas pour autant que tous les choix sont équivalents ou indifférents à l’épanouissement de l’enfant. »

Le titre I de la circulaire confirme le caractère d’exception attribué, sans justification sérieuse, au choix de l’IEF :

« L’instruction dans la famille, qui fait l’objet d’un régime déclaratif, doit revêtir un caractère exceptionnel, répondant en particulier aux cas d’enfants malades ou handicapés ou à certaines situations particulières. »

A la lecture de ce texte, on prend donc la mesure de l’infléchissement donné à l’encadrement de l’IEF par les autorités publiques : la loi de 1998 a ainsi marqué l’entrée dans une dynamique de restriction progressive des libertés éducatives. La proposition de M. Ciotti se situe dans la continuité de ce texte inique.

Le contexte politique actuel ajoute à nos inquiétudes en matière de liberté éducative : le Plan d’Action contre la Radicalisation et le Terrorisme, mis en place et publié le 9 mai dernier par le Comité interministériel, prévoit en effet la « poursuite du plan de contrôle de l’enseignement privé hors contrat et de l’instruction à domicile » (mesure 40). Le dossier de presse fournit les détails suivants (p. 41) :

« Engagé depuis 2014, ce plan a permis la révision de l’ensemble des procédures de contrôle, l’adoption d’une circulaire de cadrage en juillet 2015 et la mise en place d’une Mission d’inspections générales dédiée à la prévention de la radicalisation. Après la priorité accordée en 2015 au contrôle des établissements privés hors contrat, son programme de travail prioritaire concernera en 2016 et 2017 l’instruction à domicile, qui a connu un quasi-doublement depuis 2007. Cette mobilisation particulière permettra de prévenir ou de stopper toute dérive, de garantir le droit des enfants à l’éducation et de vérifier qu’aucun enseignement contraire aux valeurs de la République ne puisse prospérer. »

Si les mesures à venir concernant l’IEF ne sont pas précisées, il est clair toutefois que l’état d’esprit est à la défiance. Le contexte de l’état d’urgence n’augure en outre rien de bon quant au respect de nos libertés. Des initiatives comme celles de M. Ciotti sont donc particulièrement inquiétantes, faisant partie d’une dynamique générale qui ne va pas dans le sens de la liberté des familles.

Le contexte international, européen en particulier, ne semble pas non plus favoriser l’IEF, comme en témoigne un rapport de l’OCDE de 2010[4].

Si l’on fait un point sur ce qui se passe chez nos voisins, l’OCDE note dans son rapport concernant l’éducation que l’instruction à la maison est autorisé dans 22 pays sur 30 pour le secondaire, 24 sur 30 dans le primaire. Il s’agit certes de la majorité, mais le nombre de pays dans laquelle elle reste interdite est néanmoins conséquent puisqu’il comprend l’Allemagne, le Japon, la Grèce, la Corée, l’Espagne, le Mexique, la République slovaque, la République Tchèque et un pays partenaires de l’OCDE, le Brésil.

Mais dans ces pays interdisant l’instruction à domicile, il y a une contrepartie : ces pays proposent en échange des facilités financières à l’accessibilité des familles aux établissements privés équivalent à nos hors-contrat, par le biais d’allocations aux établissements et aux familles. La France, elle, contrôlerait avec cette loi les établissements privés, sans fournir d’aide, tout en interdisant l’école à la maison. En conclusion, la France serait le seul pays à ne fournir ni aide au choix de leur école pour les familles, ni possibilité d’instruire ses enfants à la maison.

Si donc les textes internationaux et européens peuvent être interprétés dans un sens favorable à l’instruction à domicile, dans la pratique aucun secours ne sera à attendre de ces instances.

 

Conclusion

La volonté politique façon Ciotti, c’est durcir la République – deux mots qui reviennent sans cesse au fil d’une proposition de loi inique, autoritariste, inutile et manifestement rédigée à la va-vite. Cette initiative participe d’un contexte particulièrement menaçant pour nos libertés. Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de nos enfants, notre responsabilité à nous leurs mères, leurs éducatrices : voulons-nous leur donner les moyens de s’intégrer avec succès dans la société française en en intériorisant les valeurs, les codes et les règles du moment – avec tout le relativisme qui les caractérise aujourd’hui (ce qui est l’objectif poursuivi l’éducation nationale), ou voulons-nous leur offrir la liberté de renouveler notre société, les ressources pour la repenser, « l’autonomie et l’esprit d’initiative » que les structures scolaires classiques sont impuissantes à développer ? Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de notre pays : à quels enfants allons-nous laisser notre monde ?

Face au paradoxe du durcissement libéral-libertaire de notre société, il importe plus que jamais de retrouver le sens de nos libertés véritables, d’être prêts à les défendre face aux menaces institutionnelles. Femmes, il nous appartient d’incarner au cœur de nos vies cette liberté à laquelle nous tenons, pour nous, pour l’avenir de nos enfants et de notre monde. Notre féminité est une arme !

 

—–

 

[1]Baron de Ravignan au sujet de l’article 5 de la loi FERRY
[2]http://www.census.gov/population/www/documentation/twps0053/twps0053.html
[3]http://www.fondationpourlecole.org/articles/les-coles-ind-pendantes.html
[4]Regard sur l’éducation 2010, les indicateurs de l’OCDE, de l’OCDE

3 Comments

Ajoutez les vôtres
  1. 1
    Girard

    L’analyse d’Isabelle retombe sur quelques invariants de la crise politique actuelle : l’incompétence des responsables, leur dramatisation démagogique de l’anecdotique, leur propension à inventer des nouvelles lois sans aucun inventaire ni de celles qui existent déjà, ni des raisons qui rendent compte de leur inefficacité, l’impitoyabilité d’une idéologie qui ne s’assume même pas comme telle. On relève, par ailleurs, que ces dérapages autoritaires, voire totalitaires dénoncés par la conférencière, ne concernent pas seulement l’enseignement : on les retrouve par exemple en médecine, avec ces parents déchus de leur autorité pour avoir refusé certains traitements pourtant éminemment contestables.

    Reste le problème de fond, dont la solution ne va pas de soi : quoi transmettre et sous l’autorité (voire le contrôle) de qui ? Qu’enseigner en situation d’incertitude (en histoire, évidemment, mais également en sciences) ?

    Mon principal point de désaccord, ce serait la conclusion inattendue sur la féminité comme « arme ». D’abord parce que, même si je n’ai aucune illusion sur la réalité de la violence des femmes, je ne vois pas « la » féminité sous cette angle (tout en admettant que j’aie pu n’y rien comprendre – trois fois hélas…). Ensuite, parce que je ne crois pas que cette conception paramilitaire de la féminité soit de nature à apaiser l’actuelle guerre des sexes qui fait tellement les affaires de la sauvagerie néocapitaliste. Enfin et surtout parce qu’il faut bien voir que le féminisme en général porte une responsabilité écrasante dans les désordres décrits par Isabelle, à savoir la destruction d’un ordre familial ancien grâce à l’ardente promotion par les militantes d’« experts » ès familles – médecins et éducateurs en particulier (on trouve une bibliographie de départ sur le sujet dans l’article « Vivre dans l’état thérapeutique » de Ch. Lasch : « le patriarcalisme familial n’y est détruit qu’au prix d’un patriarcat d’État »).

    Il paraît que le féminisme est venu à bout de l’oppression patriarcale et qu’il conviendrait de s’en réjouir. Mais ce que le féminisme n’a manifestement pas réussi à faire, c’est débarrasser les femmes de leur étrange propension à se trouver toujours de nouveaux oppresseurs en lieu et place des précédents : ceux d’aujourd’hui ne sont plus le mari ni le curé, mais les médecins (notamment les gynécologues, les obstétriciens et les pédiatres), le patron (si minable ou si dérisoire soit-il), ainsi que cette florissante entité des « pervers narcissiques » tellement évoquée dans la presse féminine contemporaine.

    D’où la question : qu’est-ce qui pousse si irrésistiblement tant de femmes à la recherche d’un oppresseur ?
    Joli thème de réflexion pour un prochain cycle des Antigones ?…

    Marc Girard

  2. 2
    yepa

    * Connaissez-vous André Stern ?

    * Est-ce que vous nouez des relations, rencontrez d’autres milieux bien anciens dans le refus de ces écoles, pour raisons tantôt identiques tantôt différentes de vous et des milieux « cathos tradi etc » ? Ça me paraîtrait plus efficace … 🙂

    * J’ajoute qu’il y a des milieux où des femmes sont (ou tendent ) à être plutôt à la fois féministes dans le sens officiel (libre, respectée, jamais maltraitée) et en même temps féminines, Mères, spirituelles, le savez-vous, les connaissez-vous ?

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