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[troisième et dernière partie de notre conférence Femmes, écologie et transmission]
Le texte que nous proposons ici est la fin des précédents textes sur les Femmes, l’écologie et la transmission, rédigé à la suite d’une des séances d’auto-formation des Antigones Paris. Vous pouvez retrouver la première partie ici et la seconde là. Ainsi qu’une version courte, la totalité de la réflexion des Antigones – Femmes, écologie et transmission ou un résumé de nos conclusions.
Réinventer demain
« Les problèmes significatifs que nous avons à résoudre,
ne peuvent pas l’être en restant au même niveau de pensée qui était celui dans lequel
ils ont été posés. » Albert Einstein
Face à cet immense défi, quelles solutions envisager ? Le diagnostic développé ci-dessus a permis de dégager de multiples niveaux : la crise écologique ne touche pas seulement les moyens de production de l’homme et les structures économiques en tant que telles, mais l’ensemble du mode d’existence de l’homme. Transmettre un monde habitable aux générations futures demande donc de notre part un gigantesque effort de renouvellement, sur tous les plans.
Rappel : L’illusion des « énergies vertes »
Certains lecteurs seront sans doute déjà au fait de ces problématiques, mais il semble utile de le rappeler ici : attention aux fausses solutions ! Au premier rang desquelles les très publicitaires et très consensuelles « énergies vertes » et autres « énergies renouvelables ». Comme le rappelle cet article, ces énergies ne sont pas neutres d’un point de vue écologique – l’impact CO² n’étant pas le seul paramètre à prendre en compte pour évaluer la « propreté » et le caractère « durable » d’une technique de production énergétique. L’éolienne en particulier s’avère même être impliquée dans un véritable désastre environnemental…
Poussons la réflexion un peu plus loin : les « énergies vertes » ne sont, structurellement, que des dérivés des industries pétrochimiques, et reposent sur la même infrastructure économique, culturelle et idéologique. Autrement dit : on met encore et toujours des pansements sur une jambe de bois… Or la question est bien de savoir quel rôle nous voulons jouer : entendons-nous prodiguer des soins palliatifs à notre planète malade et à nos sociétés en phase terminale, ou voulons-nous être les sage-femmes qui contribuerons à l’émergence d’un monde nouveau ?
1. L’art d’habiter notre monde
Sur le plan pratique, toutes les solutions « écologiques » concrètes sont inventées : de nombreuses associations pratiquent déjà l’habitat écologique et solidaire ; les AMAP fleurissent un peu partout pour promouvoir une agriculture locale à visage humain ; des groupes de réflexion inventent de nouveaux modèles économiques – comme l’ « économie circulaire », parrainée par Coline Serrault ; les initiatives se multiplient pour sauvegarder la diversité semencière : Kokopelli, Troc des graines, la Maison de la Semence d’Agrobio au Périgord ; les mécanismes du recyclage sont parfaitement connus, et nous avons même inventé le « plastique » biodégradable à base d’algues ; nous connaissons la biodynamie et les thérapies naturelles, et réduire notre quantité de déchets quotidiens ne demande, somme toute, que de la volonté et de l’organisation. Nous savons déjà tout faire, ou peu s’en faut : il ne manque qu’une synergie d’ensemble, une sorte de gigantesque révolution sociale qui permettrait de fédérer et dynamiser tous ces efforts. Mais ces solutions toutes trouvées ne seront que des expédients pratiques sans impact véritable si elles ne s’accompagnent pas d’un renouvellement d’ensemble de la vie en communauté à même de réconcilier écologie et économie.
Ces deux mots partagent la même racine grecque : l’oikos, le foyer ou la maisonnée. L’oikos, c’est tout à la fois le lieu de la production économique, l’espace où s’organisent les relations sociales primaires au sein de la communauté naturelle pré-politique, et où grandissent les adultes de demain. L’économie, c’est l’art de gérer les ressources nécessaires à la maisonnée humaine et, par extension, à l’ensemble de la société comme famille de familles ; l’écologie, c’est l’art d’habiter le monde, qui est notre Maison, et dont nous ne sommes que les hôtes éphémères. Or, dans une maisonnée, on n’est jamais un individu isolé, livré à soi-même et à sa rationalité privée – on y est d’emblée père ou mère, fils ou fille, frère ou sœur, oncle, cousine ou grand’mère : l’homme de l’oikos est un « nœud de relations », pour reprendre une expression chère à Antoine de Saint-Exupéry. Dans la maisonnée, les choses mêmes – les murs de la maison protégeant le feu qui y brûle, le champ où pousse le blé, le soc de la charrue, les fleurs du jardin, la guitare posée au salon ou les livres de la bibliothèque – ne sont pas des objets inertes, elles participent à la vie de la famille, à l’ancrage de l’homme dans son sol, à son ouverture au monde. La révolution écologique véritable, c’est réinventer un monde où hommes et choses coexisteraient dans une unité organique, où tout individu pourrait trouver son sens et son épanouissement au sein de la communauté, où les choses du monde et les êtres vivants qui le peuplent ne seraient pas que des ressources à consommer, mais porteraient en eux-mêmes leur sens. La fin de la vie sociale n’y serait pas l’accumulation d’une « richesse » abstraite et illusoire, mais l’épanouissement de l’être – celui de l’homme aussi bien que celui de la nature.
Ce n’est pas le lieu ici de discuter des mérites comparés des différentes « alternatives » que l’on invente pour contrer les dérives du système économique actuel – le terme binaire d’alternative étant, soit dit en passant, fondamentalement inadéquat pour notre propos. Je prendrai simplement un exemple, qui manifeste précisément l’importance d’une approche globale des problématiques écologiques : celui de l’agroécologie qui, dans sa version la plus authentique, conjugue respect de la terre et souci de la communauté humaine.
2. Agriculture et lien social
Dans le monde de l’écologie, les modèles agricoles alternatifs sont nombreux : agriculture écologique ou sustainable agriculture, agriculture biologique, agriculture biodynamique, permaculture, agroforesterie, etc. Des deux premiers modèles cités, il y a peu à attendre, dans la mesure où leur succès est dû au fait qu’il s’agit de techniques agricoles dont l’organisation productive est très proche de l’agriculture conventionnelle, surtout pour ce qui est de leur degré de spécialisation, et du paradigme productiviste en vigueur. C’est sur un autre modèle que je voudrais attirer l’attention : celui de l’agroécologie qui, dans sa version originelle, semble riche de promesses. La réforme des modes de culture et de production s’y accompagne d’un effort global pour repenser la vie en société.
Qu’est-ce que l’agroécologie ?
Le concept d’agroécologie a le vent en poupe : il est très employé par le gouvernement, qui l’affiche comme une de ses priorités. Mais qu’est-ce qui se cache sous ce nouveau concept ? Sur le site de Terre et humanisme, créé autour de Pierre Rabhi, on peut lire :
« Ayant pour objet la relation harmonieuse entre l’humain et la nature, l’agroécologie est à la fois une éthique de vie et une pratique agricole.
Elle considère le respect de la terre nourricière et la souveraineté alimentaire des populations sur leurs territoires comme les bases essentielles à toute société équilibrée et durable.
Approche globale, elle inspire toutes les sphères de l’organisation sociale : agriculture, éducation, santé, économie, aménagement du territoire…
Adaptable à tous les biotopes, au Nord comme au Sud, et accessible à tous, l’agroécologie présente des avantages à tous les niveaux », écologiques, économiques, sociaux et sanitaires, avec un accent particulier mis sur le renouvellement du tissu social à l’échelle locale.
Mais dans les faits, ce terme recouvre plusieurs réalités assez différentes que nous allons explorer rapidement.
- L’agroécologie scientifique
Le terme d’ « agroécologie » a été utilisé pour la première fois par l’agronome Basil Bensin, en 1928. L’agroécologie scientifique est alors définie comme l’application de l’écologie à l’agriculture. Cette discipline se développe véritablement à partir des années 1970 grâce aux travaux de scientifiques américains travaillant dans des projets de développement en Amérique latine. Ils utilisent des approches croisant différentes disciplines scientifiques : l’agronomie, l’écologie, l’entomologie, l’ethnobotanique. Le livre de Miguel Altieri, Agroecology : The scientific basis of alternative agriculture, publié en 1987, témoigne de cette réaction universitaire au modèle agricole dominant.
- Le mouvement social brésilien
C’est au Brésil que cette nouvelle forme d’agriculture a trouvé un terrain d’expérimentation privilégié, profitant d’une forte vague de contestation paysanne : le Mouvement des Sans Terre, militant à partir des années 1970 pour la sauvegarde de l’agriculture familiale et du mode de vie paysan, forma le terreau idéal pour la mise en œuvre de ce nouveau mode d’agriculture. Ce mouvement de contestation a connu une extraordinaire ampleur, et même un début de consécration institutionnelle – ce qui n’est pas sans poser problème à un mouvement né dans la contestation.
L’exemple de Jean-Marc Van der Weid, ancien militant de l’extrême-gauche maoïste converti à la cause agroécologique au contact des petits paysans de Rio, illustre bien la nature de cette initiative qui, loin d’être née de la mode « écolo », prend sa source dans des problématiques sociales bien concrètes. Le passage à l’agro-écologie permet, selon Jean-Marc Van der Weid, des rendements agricoles jusqu’à cinq fois supérieurs aux méthodes traditionnelles (en zone tropicale) et deux à trois fois plus importants, en moyenne, que l’agriculture conventionnelle. Et ce, sans recourir aux pesticides ni aux engrais chimiques. Dans le Nordeste, les paysans qui ont accepté de se lancer dans l’aventure ont ainsi quadruplé leur production de haricots noirs. Dans le Sud, les producteurs de maïs aidés par l’AS-PTA font un peu mieux en moyenne que l’agriculture conventionnelle. Une nouvelle méthode expérimentée à Madagascar promettrait des « résultats spectaculaires » pour le riz.
De nombreuses expériences montrent en outre une forte implication des femmes dans la mise en œuvre de l’agroécologie – en Equateur, elles sont les actrices principales de la « révolution agroécologique », ainsi que l’impact positif des pratiques agroécologiques sur leurs conditions de vie, en particulier pour les femmes des quartiers populaires. Le renouvellement des formes d’agripculture va de pair avec un renforcement de la vie sociale locale, et favorise la prise en main par les femmes de leur propre destin économique et de celui de leurs familles.
L’agroécologie semble donc, par la globalité de son approche à la fois écologique, économique et sociale, être un élément de réponse satisfaisant au moins pour le domaine agricole. Toutefois, la façon dont le gouvernement socialiste en France reprend les slogans agroécologiques est souvent bien loin de cette impulsion originaire issue d’Amérique latine.
- La mise en œuvre en France
Le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 marque une étape décisive pour la mise en œuvre politique de l’agroécologie, qui entre alors dans une dynamique de proposition. Elle est alors définie comme l’application des concepts et des principes de l’écologie à l’étude, la conception et la gestion d’agroécosystèmes durables – notons tout de suite le caractère restrictif de cette définition par rapport aux expériences latino-américaines.
A partir des années 2000, l’opinion publique s’empare de plus en plus des problématiques liées à l’agriculture et à l’alimentation : les citoyens s’interrogent sur la gestion des biens communs (eau, terre…) et sur la protection des ressources. Dans ce contexte, il y a encore un élargissement du champs de l’agroécologie. Elle devient l’étude, la conception et la gestion de systèmes alimentaires durables.
En France, Olivier de Schutter, juriste belge et professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain, devenu en mai 2008 rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’hommes à l’ONU, a présenté un rapport sur l’agro-écologie, le 8 mars 2011 devant le Conseil permanent des droits de l’homme de l‘ONU, à Genève. Dans ce texte, qui fut largement commenté, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation dressait un bilan sévère du modèle agro-industriel et appelait à « changer de cap » en promouvant « l’agro-écologie partout où cela est possible ». On peut considérer cette intervention d’Olivier de Schutter comme l’impulsion première pour la mise en œuvre politique de l’agroécologie en France.
Depuis les années 2000 a été lancé en France un Plan d’Action Global « Agro-Ecologie », regroupant les efforts du Ministère des Affaires Etrangères, de l’Agence Française de Développement, du CIRAD, du Fonds Français pour l’Environnement Mondial. L’objectif principal de ce plan est de mettre au point les modes de transfert et de développement des techniques agro-écologiques dans quelques pays où intervient l’aide française, la démarche coordonnée des partenaires français favorisant les synergies et la capitalisation des expériences. L’INRA a quant à elle inscrit l’agro-écologie comme l’une des deux disciplines émergentes dans ses orientations 2010-2020.
De nombreuses déclarations de bonnes intentions ont été émises par le gouvernement français, et le ministère de l’Agriculture a déclaré vouloir mettre en place un plan ambitieux pour que les agriculteurs français adoptent les méthodes agroécologiques. Mais de nombreuses critiques dénoncent un simple « verdissement de l’économie », qui laisse intacts les paradigmes fondamentaux à l’origine de la crise écologique. En effet, les documents officiels concernant l’agroécologie sont centrés sur les aspects techniques, et mettent l’accent sur la valeur de productivité des méthodes agroécologiques. Le « projet agroécologique » entend promouvoir des « agricultures doublement performantes », à même de conjuguer compétitivité et respect de l’environnement. L’agroécologie dans le langage du gouvernement ne semble donc rien signifier de plus qu’une agriculture écologique et productive. La notion perd ainsi l’essentiel de son originalité et de sa richesse initiale, dénaturée à force d’être élargie – le rapport de Marion Guillou pour Stéphane le Foll n’est qu’une étude comparée des différentes méthodes d’agriculture écologique, suivie de recommandations diverses qui prétendent réconcilier la chèvre et le chou, sans aucune remise en question des pardigmes de la croissance et de la compétitivité. Il s’agit notamment d’augmenter les rendements et d’intensifier la production à l’hectare pour répondre à la croissance démographique.
L’agroécologie de bon ton au gouvernement est donc une technique agricole, qui n’a aucune prétention à la mise en œuvre d’un modèle social alternatif. A ce titre, l’usage du terme agroécologie dans le projet de loi d’avenir Alimentation-agriculture-forêt fut emblématique.
Toutefois, les institutions publiques ne sont pas les seules à s’intéresser à l’agroécologie en France. On trouve notamment des structures dynamiques autour de Pierre Rabhi, qui a été parmi les premiers à importer ce concept en France. Pierre Rabhi n’étant pas un théoricien, mais un homme de terrain, la meilleure façon de comprendre sa démarche est d’observer les réalisations concrètes qu’elle a fait naître. En France, deux exemples très différents peuvent illustrer sa démarche : la Ferme de la Bouzigue, qui allie les préoccupations agricoles à un intérêt très marqué pour l’intergénérationnel et le renouvellement des modèles éducatifs, et le Monastère de Solan, où les moniales orthodoxes ont choisi de mettre un accent particulier sur le caractère cosmique de la spiritualité chrétienne. Mais c’est hors de nos frontières que l’on peut trouver les projets les plus ambitieux, comme en Roumanie, où l’Eglise locale se montre très intéressée par la promotion des pratiques agroécologiques.
- Les monastères de Roumanie
Le projet roumain, réalisé en partenariat avec l’association Pamant si Umanism Romania (Terre & Humanisme Roumanie), a pour objectif de convertir à l’agroécologie les quelques 500 monastères roumains. Suite au succès de l’aménagement des terres du Monastère de Solan dans le sud de la France, Pierre Rabhi a été sollicité par le Patriarcat Roumain en 2007 pour y développer un vaste projet agroécologique sur les 500 monastères existants. Le Patriarcat Roumain est une institution dans laquelle la population roumaine a confiance – le projet agroécologique disposant d’une grande crédibilité auprès des Roumains. Dans la poursuite de cet objectif, la Fondation Pierre Rabhi soutient deux projets qui constitueront des sites exemplaires et reproductibles :
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L’aménagement en agroécologie des 2,9 ha de terre d’un jardin abritant un Centre Social pour enfants en difficulté, dans une région proche de la frontière de la Moldavie. Ce projet se développe selon plusieurs axes très complémentaires : l’expérimentation d’un modèle reproductible d’autonomie alimentaire ; la sensibilisation, la prise de conscience et l’éducation des enfants ; la culture de produits locaux diversifiés pour la cantine du Centre Social ; création d’une AMAP ; la conservation de la diversité biologique, etc.
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Le déploiement de l’agroécologie sur les 60 ha du Monastère de Pasarea, proche de Bucarest : à destination des 150 moniales, des 40 personnes âgées du centre social et des 100 filles du lycée abrités par le monastère, ce projet vise l’autonomie alimentaire du site, suivie de la transmission des savoirs et savoir-faire acquis auprès des populations paysannes proches, ainsi que d’autres monastères roumains.
Ce vaste chantier est particulièrement intéressant, une fois encore, par la globalité de son approche qui allie le souci proprement écologique à des enjeux sociaux et éducatifs, le tout fondé sur la spiritualité particulière au christianisme orthodoxe, qui a su conserver mieux que le catholicisme occidental le caractère cosmique propre à la religion des premiers pères de l’Eglise. Cette dernière dimension est essentielle, dans la mesure où nulle « révolution écologique » véritable ne saurait advenir sans un véritable cheminement de conversion intérieure. L’écologie extérieure est importante mais ne suffit pas, elle reste sur un plan d’horizontalité, sur le plan du faire, de l’ego qui cherche la solution à une impasse créée par sa propre inflation. Comme le disait Einstein, « Les problèmes significatifs que nous avons à résoudre, ne peuvent pas l’être en restant au même niveau de pensée qui était celui dans lequel ils ont été posés. » Pour être libres d’inventer de nouveaux modes de vie en société, il faut penser hors-système. Ce qui suppose en premier lieu une profonde transformation intérieure.
3. Une révolution intérieure
Cette révolution intérieure nécessaire au renouvellement de nos sociétés demande en particulier de retrouver l’unité de notre être, et passe peut-être par la revalorisation de la part féminine de l’existence humaine – Michel-Maxime Egger parle de « retrouver le féminin de l’être ».
- Retrouver l’unité de l’être.
Il est assez étonnant de remarquer que, malgré tout ce que nous « savons » de la crise écologique et de l’impact de l’économie occidentale sur la nature, cela n’entraîne pourtant que très rarement de véritables prises de conscience, débouchant sur une réforme de nos modes de vie. Ce qui nous empêche d’agir, selon M.-M. Egger, c’est que les informations restent au cerveau : nous savons, mais ne croyons pas à ce que nous savons parce que notre raison est si cloisonnée que les informations de notre cerveau n’atteignent pas notre cœur. Or toute conversion ne saurait venir que du cœur, centre de la personne. Et l’auteur souligne l’importance de la poésie et de la méditation pour retrouver une véritable intériorité, contre « l’aplatissement capitaliste de nos univers intérieurs » (Arnsperger, dans Ethique de l’existence post-capitaliste, op. cit. p. 17).
Si la raison a un fonctionnement essentiellement dualiste et objectivant, progressant par oppositions et différenciations, le cœur représente au contraire le siège de l’intériorité et de l’unité. Il est intéressant de rappeler ici combien le cœur a été associé à la féminité, qui, selon Edith Stein, se caractérise en particulier par la globalité d’une approche qui saisit les interconnexions entre les choses et les êtres, et par l’attention à tout ce qui est vivant et personnel. Cette double caractéristique est essentielle pour notre problématique. C’est cette approche « féminine » qu’il faut revaloriser si nous voulons remédier aux tendances excessivement dualistes de la culture occidentale que nous avons relevées dans la deuxième partie de ce travail, et réunir à nouveau ce qui a été artificiellement séparé – l’intérieur et l’extérieur, l’esprit et la matière, le fait et la valeur, l’individu et la communauté, l’homme et la femme…
La réceptivité, autre qualité féminine, est le commencement de l’intériorité. La développer est essentiel pour retrouver cette unité intérieure sans laquelle rien de profond ni de grand ne peut sortir de l’homme. La réceptivité n’est pas une passivité : elle est une ouverture active et attentive du cœur qui permet d’accueillir et de garder en soi-même une parole, un geste, un être, une émotion, une personne, de laisser être pleinement en soi-même ce que l’on a reçu, de l’intérioriser et de le faire sien. Ce n’est qu’en développant et en cultivant cette réceptivité active devant les richesses de la nature qui nous a été donnée, que nous pourrons accéder à une véritable connaissance de cette dernière, connaissance qui ne sera pas simplement le fait de l’intellect rationnel et calculateur, mais encore de l’esprit et du cœur. C’est cette connaissance au sens plénier du terme qui nous permettra non seulement d’adopter une attitude juste vis-à-vis de la nature, mais encore de retrouver le sens de notre propre enracinement dans le cosmos, et de respecter en nous-mêmes la nature qui nous précède.
Retrouver l’unité de notre être suppose ainsi de développer et de préserver tout ce qui contribue à faire de nous des êtres enracinés, non seulement au sens d’un contact charnel et vivant avec la Terre, mais également au sens culturel – je pense ici à L’Enracinement de Simone Weil. Car l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais encore de la tradition humaine, culturelle, artistique, spirituelle qui lui a été transmise. L’homme ne peut en effet tenir sa juste place dans l’équilibre du cosmos et retrouver le sens de ce qu’il est, sans jouer sa propre part de la grande partition de l’univers – il est zoon politikon, ou encore zoon logon ekhon, selon Aristote (animal politique, animal doué de parole). Par sa culture (culture du sol comme de l’esprit), l’homme valorise, développe et porte à leur plus haut point les potentialités de la nature – en y construisant sa demeure, il l’adoucit et la rend accueillante à la fragilité de l’homme ; par la technique, il en tire le meilleur pour lui-même, pour ses pairs, et pour la nature elle-même dont il est le gardiengardien et l’ l’et pour la nature elle-m la fois,’ucit et rend plus accueillante ature – par istique, spirituelle qui lui a ét. Il en découvre le sens par son intellect, il en révèle par l’art la beauté et les profondeurs insondables, en son cœur il en contemple et médite le mystère. Ceci n’est pas l’œuvre de l’individu, impuissant dans sa solitude à développer l’ombre d’un langage – c’est l’œuvre de la communauté dans laquelle s’inscrit l’homme dès sa naissance, communauté unique qui recèle une manière d’habiter et de penser le monde à nulle autre pareille. On ne peut ainsi prétendre à une écologie véritable, intégrale, sans respecter la diversité et l’intégrité des peuples et de leurs cultures, essentielles à l’épanouissement de l’animal humain, essentielles à la révélation plénière des richesses inscrites dans la nature.
Cet enracinement dans la nature et la culture qui nous précèdent forge l’identité de l’homme, fondement de sa liberté. Seule une conscience profonde de notre propre identité fait de nous des êtres capables de choix personnels et politiques radicaux. Dans la « société liquide » (Sigmund Baumann) dans laquelle nous vivons, société sans repères, le système de consommation devient un moyen de construire une identité qui n’est plus transmise, identité fragile et précaire dictée par le conformisme grégaire. Une transformation radicale de nos modes de consommations et de vie en société est littéralement impensable dans ces conditions, puisqu’elle remettrait en question cette identité factice dans laquelle se réfugient les individust littéralement précaire dictée par le conformisme grégaire notre propre identité fait de nous des etre. C’est la célèbre formule de George Bush Père au sommet de Rio de 1992 : « Le mode de vie américain n’est pas négociable ». dans le cosmosans l-vis de la nature, mais encore de retrouver le sens de notre propre inscription dans l’ieu une libération intérie
- Développer une philosophie véritablement sapientielle
Si la culture doit pouvoir donner à l’homme une identité, une assise humaine et spirituelle suffisante pour réaliser et ne serait-ce qu’envisager le changement radical dont nous avons besoin, elle doit proposer à l’homme une philosophie véritablement sapientielle, à même de nourrir son esprit et son cœur et de donner des pistes de réponses à ses questionnements les plus fondamentaux.
Plus que jamais, l’homme européen a besoin d’une authentique sagesse qui unifie les champs éclatés de son savoir et remédie à la crise de la rationalité occidentale décrite dans la deuxième partie de ce travail. Plus que jamais, il a besoin d’une sagesse qui donne du sens à son existence individuelle et collective, et permette de fonder une vie en société équilibrée et ordonnée, « authentique » au sens de Christian Arnsperger (voir plus haut, partie II, « Une crise existentielle »).
Une sagesse authentique implique la reconnaissance de toutes les dimensions de l’existence humaine, y compris et surtout celles que notre société actuelle refuse obstinément de prendre en compte : le transcendant, le religieux, le sacré. Tous les écologistes cohérents aboutissent tôt ou tard à la reconnaissance d’une forme de sacralité, quand ce n’est pas cette conscience qui motive leur engagement militant. Christian Arnsperger, Pierre Rabhi, Michel-Maxime Egger sont des exemples parmi tant d’autres. La reconnaissance de valeurs suprêmes d’ordre spirituel, de limites sacrées à ne pas transgresser, sont le seul remède valable au fonctionnalisme de notre société, et à la fuite en avant de la techno-science. Je pense ici au mythe d’Erysichthon… Nous avons abattu bien des arbres sacrés au nom de la Croissance – le sein maternel est peut-être le dernier d’entre eux. L’utérus artificiel signera le dernier acte de notre démence – il nous appartient de résister pour préserver ce qu’il nous reste encore d’authentiquement humain.rie parfaite de notre société…ansgresser (s parmi tant d’tuelle refuse obstinément de prendre en compte:
4. Eduquer à la liberté : la femme, levier du changement
On ne soulignera jamais assez à quel point le rôle des femmes, mères et éducatrices de la génération montante, est essentiel dans le combat que nous avons à mener. Car le changement ne s’opèrera pas à coups de grandes déclarations politiques, il ne se fera pas du jour au lendemain comme un coup d’Etat. Il ne s’agit pas d’une révolution idéologique : il s’agit de faire naître le monde de demain. Et ce n’est pas ici une métaphore : faire naître le monde de demain, c’est, très concrètement, donner le jour aux enfants qui seront le monde de demain, leur transmettre les habitudes de vie, les clés, les outils pratiques et intellectuels qui leur permettront de bâtir une société plus juste et plus respectueuse de la nature aussi bien que de l’homme, de vivre libres enfin. Ce n’est pas un hasard si la plupart des ONG humanitaires se servent des femmes comme levier du changement social : toucher les femmes, c’est agir au cœur des foyers – c’est rayonner à partir du centre vivant vers la société entière.
Changer nos modes de vie, c’est d’abord, concrètement et humblement, façonner les jeunes générations à travers les gestes quotidiens – privilégier les produits bruts et la cuisine faite maison, cultiver un potager, refuser les achats inutiles, limiter la production de déchets, bannir les produits ménagers toxiques, connaître les plantes et les aliments qui guérissent, entretenir une bibliothèque riche et instructive, découvrir la nature en famille, inventer ses propres vêtements, apprendre à faire des choses de ses mains… la liste est inépuisable. Ce sont ces habitudes de vie qui, transmises dès le plus jeune âge à l’intérieur du foyer, rendra la génération nouvelle capable d’aller plus loin encore que la génération des parents, parce qu’elle sera pleinement à l’aise avec un mode de vie qui lui semblera tout naturel, fût-il acquis de haute lutte une génération plus tôt.
Si humbles que soient ces gestes, l’éducation des adultes de demain demande pourtant une véritable audace aux parents d’aujourd’hui : voulons-nous continuer à éduquer nos enfants selon les standards éducatifs hérités des Lumières, forgés en fonction des besoins de la société industrielle ? Ou voulons-nous développer le potentiel unique qui est en chacun d’eux, conscients que nous ne savons pas à quoi ressemblera le monde de demain, et que notre mission la plus précieuse est de faire d’eux des êtres libres et autonomes, capables de poser de véritables choix à la mesure des défis qui seront les leurs ? Les mères du XXIe siècle doivent avoir l’audace de choisir l’éducation qui fera les hommes libres de demain.
Notre rôle de femmes est fondamental enfin dans la construction de l’identité profonde de nos fils et de nos filles : ce sont d’abord les femmes qui, au sein de la famille, façonnent la sensibilité morale de la nouvelle génération – Orwell le remarquait déjà lorsqu’il évoquait l’importance de la common decency dans le cadre de la vie sociale. Ce sont elles qui, de façon privilégiée, transmettent à leurs enfants le sens du sacré et de l’intériorité. Ce sont elles enfin qui tissent les liens sociaux les plus fondamentaux sur lesquels s’appuiera l’adulte de demain, qui soutiendront sa mémoire et son identité.
Il est urgent de nous émanciper du féminisme conventionnel, qui perçoit le foyer comme un lieu de relégation hors de la société, le soin de la vie quotidienne comme un déshonneur, l’éducation comme une fonction étatique, la religion comme une aberration patriarcale, l’identité comme une entrave à la liberté, la réussite professionnelle comme seul horizon de la liberté des femmes, et j’en passe. Il est urgent de nous réapproprier le cœur de notre féminité : elle est notre droit inaliénable,sse. la liberté des femmes.ansformer ce monde. Notre féminité est une arme! de la société, l’ notre levier le plus puissant pour transformer ce monde. Notre féminité est une arme !
1 l’impact environnemental fait toutefois débat : http://effetsdeterre.fr/2011/01/25/la-pilule-ne-feminise-pas-les-poissons/