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Dans le cadre de notre année consacrée à Femmes et transmission, en 2014, voici la première partie de notre réflexion sur « Femmes, écologie et transmission ».
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Introduction
Le caractère non-viable du système économique occidental est devenu évident. Les écologistes estiment que 20% de la population utilise 80% de la production planétaire – que les chiffres soient exagérés ou non, le déséquilibre est évident. Le modèle économique occidental ne peut pas être étendu à l’ensemble de la planète. Il ne peut pas même être prolongé tel quel. Il ne s’agit pas ici d’un jugement de valeur, mais d’un simple constat, dépassionné et indéniable. Dans les faits, le développement économique occidental est posé comme idéal à atteindre pour toutes les populations – c’est évident lorsqu’on analyse l’emploi de notions comme le sous-développement, voire même le développement durable (il ne s’agit pas de repenser radicalement le modèle de la croissance productive, mais simplement d’en atténuer l’impact destructeur et les effets secondaires). La question écologique est donc l’un des enjeux essentiels de notre temps – nous ne pouvions pas ne pas l’aborder, surtout au cours d’une année consacré au thème de la transmission : quel monde allons-nous transmettre à nos enfants ?
Ce thème de l’écologie sera abordé ici non pas tel quel, parce que nous n’en sommes pas spécialistes – on peut s’adresser pour cela à n’importe quel groupe écologiste un peu sérieux – et certainement pas sous tous ses aspects, parce que le thème est immense. Il sera abordé en lien avec la question de la femme, de la féminité, et celle de la transmission.
1. En lien avec la femme, parce que la façon dont on traite le corps de la femme, la vie qu’elle porte, etc. est très proche de celle dont on traite la terre et ses fruits ; parce que la terre a toujours été considérée comme un principe féminin – sans nous interroger pour l’heure sur le bien-fondé de cette assimilation ; parce qu’il est avéré que les femmes se sentent particulièrement concernées par la crise écologique, qui les touchent de plein fouet elles et leurs enfants. Cette première partie nous donnera l’occasion de faire le point sur quelques-uns des aspects de la crise écologique.
2. En lien avec la transmission, parce que, très schématiquement et en idéalisant les choses, la société moderne a remplacé les notions de transmission, d’équilibre (homme-nature-cosmos), de valorisation (de la nature et de toute forme de donné), par le triptyque innovation, croissance productive, transformation. La courbe exponentielle de ce paradigme est en grande partie responsable de la crise écologique que nous vivons. La rupture de transmission, telle que nous l’avons étudiée dans l’une de nos précédentes conférences aboutit à une société fonctionnaliste, un monde de moyens qui a perdu sa finalité, comme le dit très bien Gunther Anders. La deuxième partie de ce travail sera l’occasion de développer une vision globale des racines et des implications de la crise écologique, une vision de femmes puisqu’elle est la nôtre, en lien avec les réflexions déjà menées lors de nos précédentes séances de travail sur la transmission. Vision de femmes, mais pas nécessairement féminine et encore moins féministe – une pensée de femmes en action tout simplement.
3. Dans la dernière partie seront enfin esquissées quelques pistes positives et concrètes, spirituelles et pratiques, pour sortir de cette crise écologique. En quoi les femmes peuvent-elles être un levier particulièrement intéressant pour cette sortie de crise ?
I. Les femmes et l’écologie
1. Les femmes particulièrement concernées ?
L’un de nos premiers textes analysait, sur base de la critique sociale menée par Michel Clouscard, le lien entre la féminité et la crise du « capitalisme de la séduction » caractéristique de notre époque. La double instrumentalisation de la femme comme outil de vente, et comme acheteuse et consommatrice, fait de la féminité le carburant d’un « turbo-capitalisme » de seconde génération. L’image de la « jeune fille », jolie, légère, frivole, consommatrice, irresponsable, sexuellement attirante sans avoir l’âge d’être mère, fonctionne comme le nouveau modèle de notre société ; ce nouveau modèle est la « figure terminale » du capitalisme de la séduction : il ne concerne pas seulement les femmes, mais chaque personne, chaque consommateur est appelé à s’y identifier. A ce titre, la « part féminine » de la société occidentale est particulièrement concernée par la crise écologique, qui n’est que l’un des aspects de la crise d’ensemble de notre modèle socio-économique. Elle est encore en première ligne quant à l’impact des produits de grande consommation (des produits ménagers à la médecine, en passant par les vêtements et les ondes basse fréquence) sur la santé de ses enfants et sur la vie qu’elle porte. Quelques exemples bien concrets, dont l’approfondissement est laissé à la liberté du lecteur via les nombreux liens insérés dans ce texte, qui renvoient chacun vers une analyse approfondie, une référence, ou une information déterminée.
Industries cosmétiques. L’impact de l’industrie cosmétique est loin d’être anodin. Voir ce site consacré à ce sujet, et également celui-ci pour une synthèse de l’impact environnemental. La prétendue « cellulite », symbole de disgrâce, pseudo-maladie inventée (voir ici et là) pour le plus grand bien des marchés para-pharmaceutiques qui ne tarissent pas en produits miracles plus inutiles les uns que les autres, est un cas particulièrement intéressant.
Contraception et ménopause. La pilule est un médicament hormonal qui entraîne des effets secondaires parfois lourds sur son propre corps et sur l’environnement (même si l’impact sur l’environnement fait débat); depuis les perturbations de la vie sexuelle des crapauds jusqu’aux risques sur la santé des femmes – voir ici, là et encore là. Dans le même registre : la ménopause, qui n’est somme toute qu’une étape de la vie, a été transformée en quasi-maladie pour le bénéfice des industries pharmaceutiques, tout comme la « cellulite » (cf. supra).
Médecine. C’est souvent lorsqu’elle veulent avoir un enfant, en période de grossesse, ou pour le soin des enfants, que les femmes s’interrogent parfois radicalement sur les méthodes de la médecine agréée, les produits et les effets secondaires de notre consommation médicale. La pression des lobbies pharmaceutiques est connue et la liberté des parents parfois compromise. Le monopole d’une forme de médecine « conventionnelle » hégémonique laisse peu de place aux alternatives « naturelles », qui se veulent respectueuses de l’environnement et de la globalité de l’être humain .
Alimentation. Voir le site de Corinne Gouget, auteur d’un ouvrage sur les risques des additifs alimentaires, et cette expérience de suppression des additifs dans l’alimentation des enfants. Une liste rouge des additifs dangereux est disponible ici. Vous trouverez ici une version PDF du livre d’H. Barbier, Additifs alimentaires : ce que cachent les étiquettes.
Toxiques. Voici les statistiques en temps réel des rejets toxiques. La question des toxiques ne concerne pas que les océans : le maintien de produits ménagers hautement toxiques dans le commerce, pouvant entraîner la mort a de quoi scandaliser, lorsque l’on sait à quel point les alternatives sont simples.
Vêtements. Leur impact sanitaire (là et là) environnemental et social, est connu. Voir à ce sujet le livre des docteurs A. Maria et B. Clément, Ces vêtements qui nous tuent.
Biberons et jouets. Savez-vous que la plupart des jouets pour enfants commercialisés ont un degré de toxicité important ? Que certains biberons peuvent comporter des risques pour la santé des enfants ?
La toxicité de notre environnement quotidien, néfaste pour la santé humaine aussi bien que pour notre environnement, est d’autant plus alarmante que les solutions éventuelles sont verrouillées d’avance par les intérêts financiers et économiques qui s’y jouent. Femmes et enfants sont indéniablement des cibles privilégiées.
Si donc les femmes peuvent se sentir particulièrement concernées dans leur quotidien par la question écologique, et symboliquement impliquées lorsqu’il s’agit de respect de la terre et du vivant sous toutes ses formes, cette question intéresse évidemment l’ensemble de la société. Nous ne chercherons pas ici à gloser sur une green attitude de bon ton, mais à dégager la portée de cette problématique à l’échelle de la société. Une focalisation sur trois problèmes concrets (l’industrie semencière, le traité transatlantique, et l’élevage intensif) servira de base à une appréhension plus globale des enjeux, touchant les femmes et donc l’ensemble de la société.
2. Focus sur : les semences, le TAFTA (TIPP), l’élevage
- Semences de vie
On estime aujourd’hui que 75% de la biodiversité a été perdue au cours du XXe siècle. Alors que la notion de patrimoine naturel est aujourd’hui reconnue comme telle, et que ce patrimoine naturel fait l’objet d’un inventaire officiel assorti de mesures de protection, la réalité socio-économique contredit ces démonstrations de bonnes intentions. On observe un clivage profond entre, d’une part, une volonté de conservation tendant à la muséification des paysages (là et là) et des espèces animales et végétales (le tout-patrimoine), et d’autre part une logique de la croissance productive fondée sur l’instrumentalisation de la nature. Cette opposition frontale de deux logiques antagonistes hermétiques l’une à l’autre ne peut que stériliser le débat et l’action publique. La notion de « bien commun », de plus en plus utilisée dans les débats portant sur la transmission du « patrimoine » naturel, pourrait devenir opérante et unificatrice, à condition d’une révision profonde de la logique économique.
A l’heure actuelle, les politiques publiques en matière économique vont à l’encontre d’une telle unification. L’obligation de ne commercialiser que des variétés végétales inscrites au catalogue officiel de l’UE soumet le marché des semences à la pression des lobbies de l’industrie semencière. Pour rappel, on estime que 75 % du marché mondial de semences est contrôlé par seulement dix multinationales, Monsanto en première position, dont la plupart sont également de grosses firmes de l’industrie chimique : Monsanto, Syngenta, BASF, Bayer, DuPont et Dow Chemical se partagent également les trois quarts du marché mondial de pesticides, estimé à 44 milliards de dollars en 2011. Cet oligopole de six entreprises agrochimiques possède également 75 % des budgets privés de recherche sur les croisements végétaux et 100 % du marché des semences transgéniques, les OGM. Vous pouvez trouver tous les détails ici. La firme Monsanto est notamment impliquée dans le scandale des semences stériles et semi-stériles surnommées « Terminator » et « Traitor ». Voir ici pour une critique nuancée de ce débat.
Les discussions récentes autour de la loi sur les contrefaçons, finalement votée avec une exception agricole laissant libre la reproduction de 21 espèces végétales et de la « Loi d’avenir Alimentation, agriculture, forêt » ont été l’occasion de débats dénonçant les monopoles de l’industrie semencière et le brevetage du vivant. Lire ici un dossier complet sur la question des semences, et ici un exemple parlant de condamnation pour « légumes clandestins » ( !).
Dans une agriculture productiviste, point de semences sans pesticides. La France est première utilisatrice de pesticides au niveau européen, et troisième au niveau mondial. De même que pour les vaccins, un agriculteur aujourd’hui peut se voir imposer l’utilisation d’un pesticide. Rappelons ici pour mémoire le scandale écologique du chlordécone aux Antilles françaises (ainsi que là et là) : les sols guadeloupéens seraient stérilisés pour 100 ou 200 ans, suite à l’utilisation sans précaution d’un pesticide chimique utilisé pour lutter contre le charançon de la banane. Voir ici la synthèse officielle publiée par l’INSERM et l’InVS. Selon certains, la pollution ne devrait disparaître totalement que dans 7000 ans. (Zut, on n’avait pas fait exprès que le chlore déconne).
Et si « productivité » rimait avec « stérilité » ?
Si la fécondité de la terre est passée sous contrôle des industries semencières et autres firmes agrochimiques, au risque d’ « accidents » stérilisateurs (cf. supra), la fécondité du corps de la femme est quant à elle étroitement contrôlée, dominée, voire franchement passée sous silence grâce aux techniques médicales et pharmaceutiques modernes, pour le plus grand bénéfice financier des laboratoires et des pharmacies. Pourquoi préférer l’ingestion d’un médicament stérilisateur à une régulation naturelle des naissances, dont les mécanismes sont pourtant parfaitement connus ? Le premier intéresse les marchés, tandis que la seconde n’engage que la liberté des couples. La mise au pas du corps féminin possède en outre l’avantage insigne de rendre les femmes parfaitement disponibles dans le monde du travail et de la production – au point que des entreprises comme Facebook et Apple proposent aujourd’hui à leurs salariées, sous couvert d’égalitarisme, une aide financière pour la vitrification de leurs ovocytes : cette technique est censée permettre aux femmes de différer leur grossesse pour favoriser la progression de leur carrière…et les profits de l’entreprise, alors que le succès de la méthode est discuté. La « vitrification ovocytaire de convenance » faisait l’objet l’an dernier d’un premier symposium international à Barcelone. Nihil novi sub sole : le lien entre la perte du sens de la fécondité de la terre, dégradée en productivité, et la mise au pas artificielle du corps de la femme était déjà remarquée, à l’époque, par Ovide.
- Le TIPP (ex-TAFTA), et la manipulation génétique du vivant
Un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne, préparé depuis une dizaine d’années, est officiellement négocié depuis l’été 2013 ; le mandat de négociations, téléchargeable ici, n’a été rendu public que cet automne, après des mois de négociations menées dans l’opacité. Il a pour but de constituer un marché commun de 820 millions de consommateurs, qui représenterait la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux : pour ses défenseurs, il pourrait faire gagner jusqu’à 0,05 points de PIB par an aux économies américaine et européenne, boostant les échanges et les créations d’emplois. Les négociations, menées par la Commission européenne de ce côté de l’Atlantique, sont censées aboutir en 2015. Le traité devra alors être validé par les Vingt-Huit États-membres de l’Union européenne, puis voté par le Parlement européen. Schématiquement, le TAFTA/TIPP vise : la suppression des tarifs douaniers, l’harmonisation progressive des règlementations de part et d’autre de l’Atlantique, et la mise en place d’un mécanisme de règlements des différends entre les entreprises et les États. Voir ici une note critique du Parlement européen adressé à la Commission européenne à propos de son étude d’impact du TIPP. L’Ile de France et la région PACAse sont prononcées contre ce traité de libre-échange, ainsi qu’un certain nombre de communes françaises.
Le débat autour des risques sanitaires porte sur des sujets phares, comme les OGM ou le traitement des volailles au chlore, quoiqu’il soit difficile de savoir à quel point les normes européennes et françaises seront sacrifiées ou non dans ce traité. Mais il est certain que l’agriculture française va en pâtir, et que nos normes devront s’adapter – notamment avec la possibilité pour les entreprises d’intenter des procès aux États, un sujet très controversé.
La législation européenne concernant les OGM est assez stricte (étiquetage obligatoire, études d’impact sanitaire, etc.). La France a suspendu sa production d’OGM (décision de 2011); L’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Grèce, le Luxembourg, la Bulgarie et l’Allemagne ont également suspendu cette culture sur leur territoire. Mais le TAFTA pourrait remettre en cause ces dispositions, d’autant que la Commission européenne a déjà annoncé sa volonté d’autoriser certaines cultures d’OGM dès 2015. En outre, les lois européennes n’interdisent pas les importations d’OGM que nous mangeons tous les jours transformés en œufs, viandes et autres produits laitiers. Elle n’interdit pas non plus les nouveaux OGM cachés et brevetés qui envahissent nos champs : tournesol, maïs et colza rendus tolérant aux herbicides. N’étant pas étiquetés, ces produits passent inaperçus auprès des consommateurs qui n’en veulent pas. En France, la FNSEA – Xavier Beulin en tête – est fervente partisane de l’innovation et de la biotechnologie pour augmenter les performances agricoles. Les OGM ne concernent pas que les champs de céréales : à nos portes, il existe le maïs OGM de Monsanto, mais aussi les moustiques OGM, et les poissons d’aquarium OGM fluos, parce que ça fait joli dans un appartement bourgeois.
Les biotechnologies et le génie génétique mis en œuvre dans la production des OGM ne sont pas sans évoquer les manipulations médicales du vivant dans le cas des fécondations in vitro et procréations médicalement assistées. Parmi de nombreuses voix dénonçant le risque de dérives eugénistes, le philosophe allemand Jürgen Habermas parle d’une marche vers l’ « eugénisme libéral ». Si le phénomène de marchandisation de la vie humaine n’en est qu’à un (nouveau) début, la technique offre des possibilités étendues à la sélection génétique des embryons, déjà pratiquée par ailleurs.
- L’industrie animalière : poussins mâles et bouses de vache
Le 17 avril circulait une lettre ouverte de Xavier Beulin au Président François Hollande pour protester contre la modification juridique du statut de l’animal dans le Code civil, qui constituait selon lui une concession au lobby animaliste. Les inquiétudes de Xavier Beulin sont amplement justifiées, dans la mesure où une réelle modification du statut de l’animal, vers une notion de respect du vivant en tant que tel, impliquerait un renoncement au modèle agricole intensif et productiviste aujourd’hui en vigueur. Focus sur le sort des poussins mâles, et l’invention de la vache à bouse.
Dans le monde des poules pondeuses, être un mâle n’est pas franchement de bon augure. Une vidéo a circulé récemment, dénonçant le sort des poussins mâles dans les élevages de poules pondeuses. Une caméra cachée, installée dans l’usine par un groupe de militants, filme le tri entre poussins femelles, qui donneront nos surproductives poules pondeuses de batterie, et poussins mâles non rentables. Les poussins mâles, entassés sur des tapis roulants comme on manipulerait des objets sans valeur, sont envoyés tout droit à la broyeuse – et vivants.
Quant aux vaches, c’est pour leurs bouses qu’elles intéressent : Michel Ramery (magnat du BTP) a monté le projet de la ferme-usine des mille vaches dans le village de Drucat près d’Abbeville, dans la région picarde où il avait pu déjà, grâce à certaines accointances, obtenir de (très) nombreux marchés publics. Voir ici le dossier très abondant du webzine Reporterre, et ici, un article de synthèse sur les trois dernières années. Dans cette usine à vaches s’entasseront près de 1000 vaches à lait et 750 veaux, avec une moyenne de 7m² par animal. Pour rappel, le troupeau moyen en France compte un cinquantaine de vaches. Compte tenu de la crise du marché laitier, la pertinence économique de l’entreprise pourrait sembler douteuse – en réalité, c’est essentiellement pour leurs bouses que ces vaches sont intéressantes : à côté de l’élevage, la société veut implanter un méthaniseur, qui transformerait en électricité le biogaz obtenu par chauffage et fermentation des bouses. La promotion de cette technique fait l’objet d’un véritable plan d’action gouvernemental. Voir ici une description détaillée du procédé. Avec 1750 vaches, on obtient in fine beaucoup d’électricité, avec un tarif de rachat fixé à 15,2 centimes d’euros par kWh. La machine à fermenter aura une puissance de 1,5 mégawatt, alors qu’en moyenne, les 82 méthaniseurs français produisent 0,12 MW. Les pro-méthanisation vendent ce concept comme écologique, prétendant en faire un moyen de lutte contre les algues vertes – or il s’avère que la méthanisation peut même accroître la quantité finale d’azote rejetée dans la nature. La baie de la Somme sera-t-elle a son tour défigurée par la prolifération des algues ?
La dévaluation du vivant, réduit à sa valeur marchande, est un sujet à ne pas prendre à la légère : si la vie animale est ainsi traitée, qu’en est-il de la vie humaine que chaque femme peut porter en elle ? Des avortements sélectifs de convenance, motivés par le sexe du bébé, ont déjà fait scandale au niveau international, et pas seulement en Chine ou en Inde, si bien que le Canada s’interroge sur une éventuelle interdiction de dévoiler le sexe du bébé avant avortement. L’usine à bébés semble tenir encore du fantasme plus que de la réalité… et pourtant. Où est la limite ? Le traitement des embryons et fœtus avortés parmi les « déchets hospitaliers », destinés à être incinérés et « recyclés » en énergie utilisable pose également de lourdes questions quant au statut de la vie humaine.
Il est urgent de développer une analyse globale de la logique socio-économique, philosophique aussi, qui sous-tend l’ensemble de ces pratiques. Considérer isolément chaque problématique, comme s’il s’agissait d’épiphénomènes localisés qu’une mesure ad hoc pourrait guérir, conduit à l’aveuglement quant aux causes profondes et à l’envergure véritable du problème – car il s’agit de notre civilisation. Les parallèles constatés entre l’instrumentalisation de la nature et la dévaluation du féminin et de la puissance de vie que portent les femmes révèlent de façon particulièrement saisissante l’existence de cette logique d’ensemble.
3. Le féminin et la terre
L’homologie entre le féminin et la terre fait partie d’un héritage symbolique universel : les hommes ont toujours perçu des similitudes très fortes entre les rythmes de la nature et ceux du corps de la femme, cycles lunaires et féminins, entre la fécondité de la Terre, que sacralisent les religions archaïques, et la puissance de vie du corps féminin. Cette homologie peut aussi bien jouer en faveur d’une valorisation très forte du féminin, ou au contraire d’une dévaluation lorsque domine un dualisme manichéen matière/esprit fait d’une domination univoque de l’un sur l’autre. Nous suivrons ici la lecture de Michel-Maxime Egger :
« La modernité a sonné le glas en Occident de Dame Nature et de la terre mère. En même temps, elle a perpétué – mais négativement – toute une imagerie sexuelle des relations de l’homme à la nature. Celle-ci est devenue, chez un pionnier de la pensée scientifique comme le philosophe Francis Bacon (XVIe s.), l’équivalent d’une femme à « assujettir », « contraindre » ou « dominer ». Au point d’en faire une « esclave », de vouloir la « pénétrer » et la « violer » jusque dans ses moindres « coins et recoins » pour lui arracher ses secrets. Bacon voit « la science à venir comme une ‘naissance masculine’ qui déboucherait sur ‘une race bénie de héros et de surhommes’ ». Il proclame que la nature « se dévoile plus nettement sous les contraintes et les tourments que lui inflige l’art [les appareils mécaniques] que lorsqu’elle demeure livrée à elle-même ». (R. Sheldrake, L’âme de la nature, Albin Michel, 2001.) La culture patriarcale (…) a défini les femmes comme inférieures (car proches de la nature) et les hommes comme supérieurs (car liés à la culture). Autrement dit, les femmes seraient naturellement plus proches du corps, de la matière, de la terre voir du sexe (plaisir et procréation) – toutes choses vues comme des faiblesses. L’homme, au contraire, serait du côté de l’esprit et de la raison. (…) A l’instar de la nature, la femme a été soit idéalisée d’une manière romantique, soit dénigrée. D’un côté, la mère nourricière et le havre de paix ; de l’autre, la sauvage irrationnelle et chaotique qu’il faut contrôler, investir et exploiter comme un objet pour en jouir. » (La Terre comme soi-même. Repères pour une éco-spiritualité, éd. Labor et Fides, 2012, p. 55-56.)
Ce dualisme de l’esprit (agissant) et de la matière (pure passivité), s’il a structuré les représentations culturelles des relations homme/nature et homme/femme, influence également le rapport des femmes à leur propre corps : la liberté se conquiert aujourd’hui au prix de la domination de son propre corps par la technique, voire de sa négation. Ces quelques réflexions nous permettent de toucher du doigt l’une des racines les plus profondes de la crise écologique, et civilisationnelle, propre à notre époque.
Les deux prochaines parties de cette réflexion sont à suivre…