Black Friday, la grande communion Capitaliste

Le présent article est la transcription de la chronique d’Anne Trewby pour le Café des Antigones en novembre 2018 que vous pouvez retrouver en version audio ici ou ici

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Depuis quelques années, le « Black Friday » a débarqué en France. D’abord discret, il est désormais considéré comme un évènement commercial à ne pas manquer, ni pour les marques, ni pour les consommateurs. Sauf qu’il est bien plus qu’un simple évènement commercial. Il est devenu une fête à part entière.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la société capitaliste décrite par Michéa dans l’Enseignement de l’Ignorance. Plus qu’un simple système économique, le capitalisme est devenu un modèle de société. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les élites en place ont adhéré à l’utopie selon laquelle renforcer les liens commerciaux entre les particuliers comme entre les états allait garantir la paix.

Malgré l’échec patent de cette hypothèse de départ – il reste pour les plus forts beaucoup plus facile d’aller extorquer de force leurs richesses aux plus faibles tant à l’échelle des individus que des états, l’utopie capitaliste est progressivement devenu le nouveau modèle de la société idéale hors duquel il semble impossible de penser la politique. Cette utopie s’accompagne de son propre système de valeurs, désormais érigé en quasi-religion.

Le Black Friday en est sans doute l’incarnation la plus parfaite. Symbole de notre société de consommation ? Certainement. Du matérialisme croissant des masses ? Evidemment. Surtout, il est l’incarnation parfaite d’une religion capitaliste dans laquelle le salut passe par le triple culte du travail, de la marchandise et de l’argent. Dans ce moment ultime de communion des consommateurs, on vient dépenser son argent durement accumulé pour acquérir dans un des nouveau temples de la consommation que sont devenus les centres commerciaux les marchandises susceptibles de nous donner accès au bonheur sur terre.

L’hypothèse de l’existence d’une religion capitaliste n’est pas nouvelle puisque c’est Walter Benjamin lui-même qui l’a développée dans un fragment inédit daté de 1921 et publié dans le volume VI des Gesammelte Schriften publiés en 1985 par Ralph Tiedemann et Hermann Schweppenhäuser. L’analyse des manifestations actuelles du capitalisme corroborent cette hypothèse : comme toute religion, le capitalisme propose sa propose vision du monde – de l’espace et du temps et de la place de l’être humain dans ceux-ci, mais aussi de ses cultes et ses rituels, qui vont de la promenade familiale dans un centre commercial à l’ouverture de la Bourse en passant par l’obtention d’un prêt bancaire pensé comme nouveau rituel d’entrée dans la vie adulte.

C’est à la lumière de ce nouveau culte et du calendrier qui l’accompagne qu’on peut prendre la mesure symbolique de ce que représente le Black Friday – et désormais la « Black Friday Week » qui le précède dans cette nouvelle religion. Le rituel quotidien de la consommation auquel nous sommes tous appelés pour soutenir à l’échelle communautaire le dogme de la croissance y trouve un point d’acmé dans cette grande communion des consommateurs.

Au lieu d’ancrer comme le faisaient nos fêtes païennes ancestrales et le calendrier catholique l’être humain dans le cycle des saisons et le rappeler à sa condition mortelle, le Black Friday le met au centre du cycle éternellement recommencé de la consommation avec comme horizon de salut la course individuelle à la possession des richesses – accumulées pour son bonheur personnel sans perspective aucune de transmission. La participation de chacun au culte assure par ailleurs au groupe l’accès au nouvel Eden de la religion capitaliste : l’abondance matérielle.

Notons pour l’anecdote que le jour choisi pour cette débauche matérialiste est celui traditionnellement associé au jeûne dans l’ancienne Europe chrétienne. La Messe est dite.

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