Une interview d’Anne Trewby publiée sur Breizh Info le 13 mai 2023 suite à la publication de l’ouvrage Femmes, réveillez-vous ! Pour en finir avec les mensonges du féminisme, ed. La Nouvelle Librairie, 2023
Après le néo féminisme à l’assaut d’Internet, vous en remettez une couche avec un manifeste appelant au réveil des femmes. Qu’est-ce qui vous a motivé à l’écrire avec Iseul Turan ?
Après plusieurs années à alerter, projet de loi après projet de loi, sur les dérives liberticides de notre modèle de gouvernement actuel, nous avons voulu mieux comprendre cette dynamique. Nous étions frappées de constater que le discours ambiant, la manière dont nous nous racontons nous-mêmes, que ce soit par rapport à l’Histoire, par rapport à la loi, par rapport à la science et à technique, est celui d’une conquête de liberté. Pourtant, dans les faits, nous avons basculé il y a longtemps déjà d’un régime où la liberté est la règle et sa privation l’exception, à un régime où toute forme d’action individuelle nécessite une autorisation préalable validée et certifiée par autant d’experts. Il y avait là un fossé, un grand écart que nous voulions comprendre pour ensuite inviter nos lecteurs à l’action.
Ce que nous appelons de nos vœux dans cet essai, c’est une société dans laquelle nous pourrions tous poser nos choix en toute liberté. Cette liberté ne peut pas être une sorte de fantasme de toute-puissance ou un éventail de choix de consommation. Elle est la capacité de chaque personne là où elle est, en fonction de sa place, de son état et de ses devoirs propres, à poser des actes responsables et légitimes. Elle n’est pas garantie par des listes à la Prévert de « droits à », mais par un cadre et une organisation politiques justes.
Notre travail sur les rapports entre hommes et femmes, et plus spécifiquement sur les questions féminines avait déjà mis à jour comment le féminisme à travers son histoire a pu se rendre – parfois bien malgré lui, parfois tout à fait consciemment – le complice d’une emprise croissante de l’Etat et du marché sur nos familles, nos enfants, nos choix personnels. Cette dynamique est directement en rapport avec cette question des libertés publiques que nous souhaitions traiter, puisqu’elle participe de leur disparition accélérée.
Dans votre livre, vous vous attaquez aux mensonges du féminisme actuel. Pouvez-vous nous en citez quelques-uns sans spoiler votre livre auprès de nos lecteurs ?
Certains de ces mensonges apparaîtront comme une évidence au lecteur, comme les effets néfastes sur la santé des femmes de la pilule, les effets délétères de l’avortement sur le couple, ou encore la complicité des féministes qui sous couvert de libérer les femmes ont permis qu’elles servent d’armée de réserve du Capital et de victimes sacrificielles de l’immigration de masse.
D’autres seront peut-être une découverte, comme les dangers de la PMA, l’importance des questions d’éducation et d’accouchement pour assurer le poids politique des hommes comme des femmes, ou encore la manière dont même les défenseurs de la complémentarité des sexes, d’une féminité pleinement vécue ou encore des lois naturelles arrivent à se tirer des balles dans le pied en adoptant la rhétorique féministe dans leurs combats politiques pourtant profondément justes.
Je crois surtout que tout l’intérêt de notre ouvrage est de tirer plus loin les fils de la critique. Nous ne nous sommes pas contentées de faire un constat d’échec, nous avons voulu comprendre les dynamiques à l’œuvre. C’est à ce titre d’ailleurs que notre ouvrage est fondamentalement radical. Il s’agit non seulement de mettre le doigt sur tous ces mensonges, mais surtout de comprendre comment ils sont liés, et comment renouer avec une dynamique saine sur ces questions.
Nous ne sommes pas là pour mettre dos à dos préservatif et pilule, GPA et adoption, femme au foyer et femme qui travaille, violences conjugales et viols de rue, malheurs des hommes et malheurs des femmes, mais au contraire pour sortir de ce manichéisme réducteur et proposer des solutions politiques qui permettent à chaque sexe de trouver sa place non pas au détriment mais en collaboration avec l’autre dans une dynamique de complémentarité et de liberté justement comprise.
En quelques décennies, le féminisme semble être passé d’une revendication visant à libérer les femmes d’une société dite patriarcale…à une idéologie aux relents totalitaires. Comment en-est on arrivé là ?
Tout l’enjeu de notre ouvrage, sur cette question du féminisme, est comme nous venons de l’évoquer de permettre au lecteur de sortir de cette dynamique dans laquelle il y aurait un bon et un mauvais féminisme. Nous remettons ce mouvement de pensée dans un cadre historique et politique plus global, celui des dynamiques politiques de fond qui nous ont menées à la situation politique catastrophique que nous connaissons aujourd’hui.
Le féminisme a été à l’origine de certaines nouveautés historiques comme la mise à disposition du corps des femmes sur le marché de la séduction et de la procréation, avec la légalisation et la démocratisation de la contraception et de l’avortement. Il s’est aussi fait le complice d’une mainmise croissante de l’Etat sur les familles qui était déjà à l’œuvre bien avant qu’elles ne l’appellent de leurs vœux. Elles n’ont été là qu’un accélérateur, comme elles le sont lorsqu’elles prônent la libération des femmes par le travail salarié au détriment de celles qui espèrent dédier leur énergie à leur famille. C’est ici qu’il faut prendre un peu de hauteur avec cette nécessaire critique du féminisme et la replacer dans un contexte historique et politique.
La clef de compréhension à retenir, je pense, pour tirer le meilleur de la lecture de notre ouvrage, c’est notre volonté d’apporter des solutions concrètes et fonctionnelles aux problèmes bien réels des femmes. Si le féminisme a pris racine et qu’il a aujourd’hui une telle ampleur, c’est qu’il surfe sur des malheurs bien réels, qu’il ne fait malheureusement que nourrir jusque dans ses combats les plus légitimes. C’est ainsi que même les combats justifiés des premières féministes pour l’égalité en droit ou la défense des femmes victimes de violence ont participé des dérives idéologues et totalitaires que nous connaissons aujourd’hui. Le ver était déjà dans le fruit à plusieurs titres que nous développons dans notre essai – et le fil directeur qui lie directement les revendications d’égalité des premiers mouvements féministes aux militantes woke ou transgenre, c’est justement cette question de la libération qui est le centre de Femmes, réveillez-vous !
Comment peut-on à la fois vouloir « mettre à mort son père » tout en restant une jeune fille éternelle – qui par définition a besoin d’un repère paternel ? Quel est le prix à payer pour la « libération » de la femme ?
Être une jeune fille sans n’avoir jamais été autre chose, le rester éternellement sans jamais vieillir, sont autant de fantasmes nourris par le refus et la peur ontologiques de la mort qui existe chez tout être humain. La réalisation du fantasme relève du rituel magique dont parlent toutes les mythologies, les contes et les légendes. A ce titre, il nécessite un sacrifice. Sacrifice de l’enfant, sacrifice du père, de la mère… tout refus des limites de la nature, de notre nature, exige un sacrifice. C’est l’ancienne légende de cette femme stérile qui demande un enfant à la lune, enfant dont cette dernière exigera ensuite le don. C’est le bain de sang, le sacrifice de vierges, la consommation de chair humaine qu’exigent toutes les créatures qui désirent échapper à la mort.
La différence historique fondamentale, c’est que le fantasme a été érigé en fondation de notre civilisation. Les sociétés qui nous ont précédées connaissaient suffisamment les dangers de la nature humaine blessée et imparfaite pour lui donner un cadre et nommer le danger. Tout l’objectif de la tragédie grecque est d’alerter le spectateur contre son propre orgueil, son hubris. Tout l’enjeu des rites de passage qu’ont instituées, chacune à leur manière, toutes les civilisations sous toutes les latitudes et à toutes les époques, c’est de forcer chacun à sortir de ce fantasme et grandir. Faire le deuil d’une toute-puissance fantasmée et voir sa force dans ses limites, celles de son corps, de sa fin, de son impuissance à maîtriser l’espace et le temps. Accepter les responsabilités qui incombent à chacun selon sa place, son sexe, son âge et ainsi porter du fruit.
Avec les progrès techniques de la Révolution Industrielle en Europe, nous avons cru que le fantasme pouvait devenir réalité. Nous avons espéré enfin maîtriser l’espace et le temps parce que nous étions capables d’organiser à grande échelle des mensonges à son égard, comme l’éclairage artificiel, le changement d’heure, les transports à grande vitesse qui paraissent réduire l’espace et le temps alors qu’ils ne font que modifier la perception que nous en avons. Nous pensons aujourd’hui être capables de changer la nature humaine parce que nous fabriquons des bébés en laboratoire et que nous greffons des vagins à des hommes et des pénis à des femmes. C’est illusoire évidemment, mais ces mensonges sont d’une telle ampleur qu’ils ont pu laisser croire à certains que le fantasme pouvait devenir réalité. C’est ainsi que toute l’ère européenne contemporaine s’est construite autour de cet idéal de la jeune fille éternelle dont nous détaillons les dangers dans l’ouvrage.
Le féminisme historique a été – ses égéries n’hésitent d’ailleurs plus à le dire – totalement dépassé par une autre vague, transhumaniste (LGBT, genre, ….) qui ringardiserait presque ce féminisme. Mais qui semble bien plus dangereuse, s’appuyant d’ailleurs sur la féminisation de nos sociétés occidentales pour diffuser un venin qui pourrait bien être mortel pour notre civilisation. Comment est-ce que vous, en tant que femme, vivez vous ce qui s’apparente réellement à un virus en mutation permanente ? Quelles sont les limites de ce virus ?
Le ver était déjà dans le fruit. Les dérives transhumanistes, transgenre, mais aussi intersectionnelles et woke étaient déjà en germe dans les précédentes vagues féministes. C’est un enjeu central de notre ouvrage. Lorsque Simone de Beauvoir dit que « la maternité est un asservissement à l’espèce », il y a déjà là quelque chose de l’utérus artificiel de Peggy Sastre. Lorsque qu’Olympe de Gouges propose de renverser tout un ordre social parce qu’elle s’émeut du sort effectivement peu enviable des bâtards, elle est woke avant l’heure. Alors oui, en apparence, il y a une différence entre Catherine Deneuve et les partisanes de la « liberté d’importuner » et les acharnées de #metoo, mais ce n’est qu’une question de style et d’intensité. Nous l’expliquions déjà à l’époque, nous le détaillons dans notre ouvrage : ces deux générations obéissent en réalité à des dynamiques similaires. Les woke et les transgenre aussi.
Vous appelez le lecteur à se réveiller, à grandir. Quel est le mode d’emploi ? Finalement, peut-on dire que la Femme ne s’est pas libérée du tout, mais qu’au contraire, elle s’est détachée de sa cellule naturelle pour venir s’enchainer ici à un Etat nounou, là à un capitalisme qui sait parfaitement comment exploiter jusqu’à la moelle ce mirage de la libération ?
Les femmes, et avec eux les hommes, non seulement ne sont pas libres, mais sont de surcroit effectivement aux prises avec des esclavages nouveaux. Nous montrons dans l’ouvrage à ceux qui en douteraient la réalité de l’emprise de l’Etat sur nos décisions personnelles et familiales, nous dénonçons cette minorité politique qui nous est imposée à tous.
Evidemment, cet appel à « grandir » fait immédiatement penser à certains de nos contemporains qui préfèrent vivre d’amour, de joints, d’antifascisme et d’eau fraiche que de prendre leurs responsabilités. Il est vrai que notre société pullule de « petits jeunes » – catégorie moderne s’il en est, de quadras, de retraités, de « boomers » qui refusent toute forme de devoir qu’il soit professionnel, politique ou personnel. Ils exigent de l’Etat des subventions et allocations diverses et variées, attendent du marché qu’il règle par de nouveaux outils techniques toutes les dimensions du quotidien, et s’insurgent à l’idée que d’autres puissent vouloir faire des choix différents des leurs – ou pire, faire des enfants. Ce n’est pourtant pas à eux que notre appel s’adresse ; ils ne liront probablement jamais notre ouvrage.
C’est plutôt, au risque de surprendre, à tous les hommes et les femmes de bonne volonté que nous proposons de « grandir ». Ceux qui ne veulent plus assurer chaque dimension de leur vie « au cas où », faire vivre leurs enfants dans du coton pour éviter qu’ils se cassent, ou avoir à demander à tel ou tel expert sa validation avant de faire le moindre choix sont malheureusement eux aussi maintenus dans une forme de minorité politique imposée. La dynamique dans laquelle nous sommes entrés et à laquelle les féministes ont participé est l’abandon systématique de toutes nos prérogatives politiques à un Etat dont nous espérons qu’il va nous sauver de la toute-puissance du marché. Malheureusement, comme nous avions au préalable liquidé toutes les communautés traditionnelles et les corps intermédiaires qui nous garantissaient des dangers de l’Etat, celui-ci devient non seulement un Etat-nounou, mais aussi un Etat-flic, Etat-médecin, Etat-juge et Etat-assistante sociale.
Il ne faut pas se méprendre sur les exemples que nous donnons dans l’ouvrage ou cet appel à grandir. Ce ne sont pas les choix personnels des lecteurs qui nous importent mais la manière dont ils sont faits. C’est cette dynamique d’abandon de nos prérogatives politiques et de nos responsabilités qui est délétère bien plus que les choix des uns et des autres in fine. Qu’un tel choisisse l’école communale quant un autre opte pour l’école à la maison n’a pas d’importance. De même, il paraît tout à fait légitime qu’une femme préfère donner naissance à l’hôpital plutôt qu’à la maison si elle s’y sent en sécurité. Le problème vient du fait que nos contemporains se laissent majoritairement imposer ces décisions par des tiers sans exercer leur discernement personnel ou en délibérer avec leurs pairs. Le problème, c’est que la multiplication de lois liberticides, notamment en matière de responsabilité parentale, nous privent tous, quels que soient nos choix, et d’ailleurs que nous soyons parents ou pas, de nos prérogatives politiques. Nous sommes tous, collectivement, privés de nos libertés publiques et entrainés dans une dynamique d’irresponsabilité. Nos choix ne sont la manifestation de notre responsabilité d’adultes que s’ils ont été posés en toute liberté, c’est-à-dire face à toutes les possibilités existantes. Sinon ils sont réduits à des choix de consommation. Derrière notre dénonciation des mensonges du féminisme, il y a notre combat en faveur des libertés publiques et d’une subsidiarité politique authentique, et notre réflexion sur la richesse et la nécessité politique d’une complémentarité des sexes bien comprise. L’enjeu est politique et l’enjeu est grave.