Vous êtes les prochains Vincent Lambert

Le présent article est la transcription de la chronique d’Anne Trewby et Iseul Turan pour la chaîne des Antigones en septembre 2019 que vous pouvez retrouver en version audio ici ou ici.

Vincent Lambert a été euthanasié. Avec lui est morte et enterrée une vision du monde. Vincent Lambert est mort parce que – c’est là où le bats blesse – des médecins ont jugé qu’il n’était pas digne de vivre. L’erreur anthropologique qui a conduit à la mort de Vincent Lambert, c’est la croyance selon laquelle la médecine serait détentrice de la vérité scientifique quant à notre devenir corporel.

Autrefois, c’était les philosophes qui jugeaient des critères d’une vie bonne, et parce qu’ils cherchaient à en définir les contours dans l’absolu, ils ne s’érigeaient pas pour autant en juges des choix de vie personnels de M. Dupont ou Mme Martin. Aujourd’hui, ce sont les détenteurs du savoir médical qu’on érige en juges de la « qualité de vie » de chacun, selon des critères arbitraires camouflés sous le sérieux de la mesure scientifique. La médecine est devenue, au-delà de la pratique individuelle de chacun – Dieu merci, il existe plus d’un bon médecin, une science qui détient la vérité, et surtout qui s’arroge des droits de plus en plus étendus sur nos corps et nos âmes.

Quelle erreur ! La médecine, si elle se base évidemment sur une base de connaissances scientifiques, est avant tout un art : elle compose avec l’existant, cherche des solutions créatrices à des problèmes individuels aussi différents et variés qu’il y a de patients. Le médecin n’est pas un technicien mais un artiste, qui s’adapte à chaque cas comme le peintre à chaque nouveau sujet, avec pour palette les ressources de la nature et pour limite le consentement du patient. C’est la conscience de cet inconnu toujours renouvelé qui force chez le praticien l’humilité face à la vie et à la mort et permet des miracles.

A l’heure où l’on fait de la médecine une science dure, où on la limite à des banques de données de symptômes, de pathologies, de médicaments à sélectionner selon des situations et des profils types, il n’y a plus de place pour la personne humaine. La santé publique étant devenue le nouveau Bien Commun et la santé individuelle une vertu et une marque de distinction, la médecine est désormais détentrice de vérités indépassables.

Il y a une différence de grande importance entre s’accorder sur la crédibilité des hypothèses scientifiques en vigueur sur lesquelles se base la médecine quant à telle ou telle pathologie ou tel ou tel organe, et considérer qu’il y a une vérité médicale unique et indépassable. La science avance de conjectures en réfutations. Faire de la médecine et du diagnostic médical une recherche de vérités absolues, c’est lui accorder la possibilité de trancher des dilemmes d’ordre moral.

Si la médecine est Vérité, alors qui pourra la contredire, la remettre en question, la bousculer ?  Quel intérêt à un double avis médical ? Quelle place pour le consentement du patient autre qu’une politesse ou une formalité administrative ? C’est bien ce qui s’est passé pour Vincent Lambert : l’avis de la famille – celui des parents qui souhaitaient le prendre à leur charge, pas celui de son épouse remariée, n’avait que peu de poids face aux médecins qui souhaitaient le condamner, et les instances médicales qui avaient osé remettre en question leur avis n’avaient pas non plus droit de cité. Parce que le corps de Vincent Lambert était du point de vue de la norme biologique largement dysfonctionnel, il ne pouvait être considéré comme autre chose qu’un simple « légume », encombrant et coûteux.

Considérer le corps comme une ressource, c’est la porte ouverte aux dérives de la médecine que nous commençons à peine à entrevoir : commerce de gamètes, location d’utérus, mais aussi puçage, prothèses mélioratives et autres fantasmes transhumanistes. C’est accepter que nos corps soient à disposition du plus offrant. C’est accepter aussi qu’à la suite des médecins, l’Etat s’arroge lui aussi un droit de regard sur les corps de chacun pour assurer la bonne santé – et surtout la productivité – maximum du corps social de son point de vue à lui, à grand coup de campagnes de sensibilisation et de lois contraignantes en termes de choix de parcours de santé.

Les choix individuels en matière de santé deviennent dans cette perspective un danger potentiel et leurs défenseurs des « dangers publics ». Le refus de la vaccination, le choix de l’homéopathie, l’envie d’accoucher chez soi ou encore le refus d’une greffe ou d’une chirurgie quelconque ne sont plus l’expression de la liberté de chacun mais une déviance face à des diagnostics et des opinions médicales érigées au rang de vérité indépassable. Le corps médical est le premier émetteur de cette doxa. Il sait aujourd’hui mieux que Vincent Lambert et sa famille ce qui est mieux pour Vincent, il saura demain mieux que vous ce dont vous avez besoin.

Face à cette dérive totalitaire de la médecine moderne, rappelons que le corps n’est pas qu’une matière inerte, une ressource personnelle mais bien le siège de l’âme et de la conscience. A ce titre, il est impensable de voir imposer à soi-même ou à autrui une décision médicale, aussi censée qu’elle puisse paraître. Ce sont nos libertés publiques, et notamment notre liberté de conscience qui est en jeu.

 

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