Marc Girard – Médicalisation et guerre des sexes

Dans le cadre de la permanence des Antigones Paris, le Dr Marc Girard, médecin, mathématicien et psychanalyste nous a présenté le 21 mai sa réflexion sur la sur-médicalisation du corps féminin. Vous pouvez retrouver ses réflexions sur son site personnel.

Cette conférence s’inscrivait dans le mois « Femmes, Médecine et Economies » de notre thème d’année 2015 « Femmes & Economies ». La conférence a été suivi d’un débat dont le Dr Girard a cherché à tenir compte dans le présent texte. 


1. Contraintes d’espèce et règles du jeu

Une première règle n’est pas propre au sujet qui m’a été proposé : il s’agit tout simplement des contraintes de temps, lesquelles imposent de se concentrer sur l’essentiel, de n’évoquer que très allusivement certaines pistes pourtant importantes, d’occulter certaines nuances, d’où parfois une certaine raideur qui pourrait en imposer pour un extrémisme militant – surtout sur un sujet polémique – et alimenter en retour une critique facile dont je n’ai que trop l’habitude (étant surtout invité à traiter de sujets polémiques…) : « vous dites des choses sans doute exactes, mais vous allez trop loin »… Lorsqu’on écoute quelqu’un, il faut toujours un minimum d’indulgence, voire de compassion, à l’endroit des mutilations que les contraintes de temps imposent à l’expression de sa pensée.

D’autres contraintes, elles, sont plus propres au sujet d’aujourd’hui.

  • Il faut d’abord prendre le risque des mots à propos d’expériences qui ne relèvent pas d’une verbalisation facile. Pour être souvent sollicité dans des affaires médico-légales impliquant un préjudice sexuel parfois extraordinairement douloureux, je sais d’expérience comme l’échange peut se trouver facilité lorsque la victime se voit autorisée à formuler l’intime avec ses mots à elle, des mots vulgaires au sens étymologique : « bander », « débander », « avoir mal quand il rentre », etc. Sachant que l’assistance comprend pas mal de catholiques – dont un certain nombre de tendance au moins « traditionaliste » – je me permets de solliciter un peu de patience, voire de charité : je n’ai jamais eu de propension à choquer par plaisir, mais je ne crois pas qu’il soit possible d’évoquer sérieusement les questions relatives à notre sujet d’aujourd’hui sans un usage serein des mots qui en permettent la verbalisation.
  • Il y a ensuite la difficulté de penser de façon tant soit peu objective ce qui nous concerne tous quoique relevant essentiellement d’une expérience individuelle et même intime.
  • D’abord le risque de la fausse expertise. Je suis récemment tombé sur un article de L’Express (15/03/15), consacré au « sexe anal », où les auteurs se targuaient d’avoir recueilli des « avis d’experts ». Outre savoir si ça payait bien, je me suis demandé si, pour se voir reconnaître le statut « d’expert » en pareil domaine, il fallait avoir beaucoup sodomisé ou, au contraire, l’avoir beaucoup été… On a là un superbe exemple du processus moderne par lequel la référence à une « expertise » – dont on ne voit vraiment pas en quoi elle pourrait consister – s’impose dès qu’il s’agit de décharger les gens de leur perplexité et, par-delà, de leur responsabilité relativement à une expérience qui, en l’espèce, relève au plus haut degré de l’intime à deux, et dont tout porte à croire qu’elle n’est guère extrapolable d’un(e) partenaire à l’autre.
  • Il y a ensuite le risque des statistiques fallacieuses, illustré par les interminables débats sur l’efficacité respective des méthodes contraceptives, comme si cette efficacité n’était pas étroitement corrélée à des facteurs éminemment individuels et fort peu reproductibles. J’adore, par exemple, entendre des « spécialistes » discutailler gravement sur le taux d’échec – forcément inacceptable – des coïts interrompu ou réservé, comme s’il était même concevable d’en comparer les résultats chez l’éjaculateur précoce moyen ou chez un maître en yoga…
  • Risque, également, des extrapolations hasardeuses ou découplées de toute contextualisation. Il y avait certes des familles nombreuses subies avant la pilule, mais il y en a toujours, tandis que, n’en déplaise aux militantes enragées, rien n’indique que le nombre d’avortements ait significativement décru depuis la loi Neuwirth (cf. plus bas). De même, il y avait autrefois des femmes qui ne jouissaient pas : mais il y en a toujours… Les exemples pourraient être multipliés. Au passage, on me permettra de qualifier comme exaspérante la propension de certaines féministes à abriter leurs médiocres fantasmes derrière l’autorité écrasante de « la » Science – ou de ce qu’elles promeuvent comme telle[1] – tout en s’autorisant à invoquer le particulier et l’anecdotique dès qu’il s’agit de réfuter quelque généralité susceptible de parasiter la toute-puissance de leur imagination : sans qu’il soit possible d’incriminer la naïveté épistémologique ou la perversité idéologique, Françoise Héritier – pour ne citer qu’elle, est passée maître dans ce petit jeu malsain (cf. note41)[2].…
  • Enfin, il sera impossible d’avancer si l’on décrédibilise par principe tout essai de compréhension ou d’appréhension relatives à l’expérience de l’autre sexe : il va de soi, par exemple, que l’homme n’a, en dernier ressort, d’autre recours que son intuition pour se représenter la jouissance d’une femme, laquelle – comme chacun sait – peut parfaitement avoir recours aux artifices de la simulation (alors que l’inverse est évidemment impossible : un homme ne peut simuler ni son érection, ni son éjaculation)… Même mutilation du réel si l’on décrédibilise par principe toute intuition sexuelle qui ne relève pas d’une prétendue objectivation scientifique[3]. Je suis par exemple frappé de l’unanimité de désapprobation entourant aujourd’hui le qualificatif de « mal baisé », qui peut s’appliquer tout autant à des hommes qu’à des femmes et qui m’apparaît au contraire souvent fort approprié : n’en déplaise à d’aucuns et surtout dans une société qui s’est débarrassée des formes traditionnelles de sociabilité (lesquelles permettaient à tout un chacun de ménager un vide sanitaire entre son moi apparent et son moi profond moyennant le respect d’un minimum de contraintes), je peine à me représenter comme « bien baisés » les gens qui ont perdu le sens de l’intime au point d’occuper durant des heures les passagers du TGV dans des conversations censément personnelles d’une déprimante nullité. Semblablement et voici bien longtemps déjà, mon professeur de yoga avait attiré mon attention sur l’évidente difficulté rencontrée par certaines femmes à adopter une position présupposant d’écarter les cuisses si peu que ce soit. Tout cela, donc, pour insinuer que les barrières de l’intime ne sont pas si étanches que cela et qu’avec un peu d’attention altruiste, il est quand même possible de passer au crible d’une certaine critique les rodomontades sur « l’émancipation sexuelle » telles qu’on les trouve si complaisamment étalées par la presse féminine ou la propagande féministe.

« L’anatomie, c’est le destin », disait Freud : il ne sert à rien de s’opposer frontalement à ceux qui sont assez fâchés avec le Réel pour ne pas craindre de défier ce destin, sans la moindre conscience de l’indigence intellectuelle qui sous-tend cette hubris. Il me paraît plus utile de proposer des concepts à ceux qui, tout en ayant gardé suffisamment de décence commune pour s’effarer d’une telle démesure, peinent à trouver les mots pour le dire… Surtout sur un sujet polémique, ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’imposer mon point de vue : mais plutôt de donner du sens en proposant un réagencement original – si possible plus harmonieux – d’éléments anciens, connus de tous.

2. Bref état des lieux

2.1. Genèse de la promotion du genre

Pour résumer à grands traits, d’où en est la doxa des promoteurs du genre ?

  1. Même si ce n’est pas tout à fait conforme à la réalité historique, les féministes contemporaines aiment bien enraciner leur mouvement dans une exigence de lutte contre « le patriarcat », entendu comme expression de la violence masculine.
  2. Vient ensuite le descriptif doloriste de la misère sexuelle où se trouvaient confinées nos aïeules, laquelle, à en croire certaines militantes (et non des moindres), égalait en horreur « l’extermination des juifs »[4]
  3. Dogme désormais aussi intangible qu’unanime du féminisme contemporain (à partir des années 1960-70) : la « libération » sexuelle, consécutive notamment à l’invention de la pilule.
  4. Cette libération permettrait une autonomisation des femmes, marquée par leur intégration dans le monde du travail d’abord, par leur « droit » à l’avortement ensuite.

À partir du moment où la sexuation[5] du monde se trouve ainsi ramenée à ces articulations, la question du « genre » peut effectivement se poser en toute impunité : quoi d’incontournable, désormais, dans la distinction mâle/femelle ?

2.2. Voix différentes

Ce sera déjà un bon début de montrer que, malgré leur fallacieuse évidence, les premières victoires historiques du féminisme (telles qu’elles viennent d’être brièvement récapitulées) pourraient être justiciables d’une interprétation nettement plus distanciée.

  1. Lutte contre le patriarcat ?

Partout où elle a conquis le pouvoir, [la bourgeoisie] a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques (…).

La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment (…) l’ensemble des rapports sociaux. (…) Ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux (…) avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané[6].

  1. Misère, voire martyre sexuel des femmes du temps jadis ? Pour l’historien Christopher Lasch, c’est là rien de moins qu’une « diffamation à l’égard de nos mères et grands-mères (…) », laquelle, ajoute-t-il, n’est pas étayée par des « documents historiques »[7] : elle n’est pas non plus étayée par les conversations que l’on peut encore avoir avec les Anciens. Il est d’ailleurs plaisant de constater que les principales porte-parole de cette diffamation, en majorité spécialistes de « sciences humaines », prétendent asseoir leur autorité intellectuelle sur la réalisation d’enquêtes de terrain concernant l’intime de populations géographiquement ou culturellement très éloignées, alors qu’elles n’ont même pas été capables d’évoquer le sujet de façon tant soit peu authentique avec leurs grands-mères[8] ou les plus âgées de leurs voisines…
  2. « Libération » sexuelle ?

À mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation. Et le dictateur fera bien d’encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l’influence des drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort[9].

  1. Autonomisation par le travail salarié ? Initialement présenté pour « séduire » (p. 276), l’aménagement du temps de travail s’est rapidement soldé par

« une nouvelle forme de mise en compétition des salariés, les employeurs s’appuyant sur la recherche de temps partiel par les femmes pour généraliser des contrats de sous-emploi qui deviennent ensuite la norme dans certains métiers » (p. 323) – dont les premières victimes ont, bien entendu, été les femmes, notamment « dans les activités de service qui ne sont pas stockables » [telles que les services domestiques (femmes de ménage, assistantes maternelles)] (p. 302).[10]

On voit bien, dès lors, que ce qui nous est présenté par le féminisme comme d’insignes victoires pourrait tout aussi bien correspondre à de grossières mystifications de la sauvagerie néocapitaliste.

2.3. La face cachée des victoires féministes

Attardons-nous un peu plus précisément sur la face cachée de ce qui nous a ainsi été présenté comme les plus belles victoires du féminisme.

2.3.1. Libération par la contraception

La natalité française n’a cessé de décroître depuis la fin du 18e siècle ; au seuil de la seconde guerre mondiale, elle était même descendue à un niveau inférieur à ce qu’elle a été après l’autorisation de la pilule[11].

Confrontées à cet argument qui contrarie significativement leur propagande, les féministes rétorquent, moyennant des estimations invraisemblables (1,2 million par an alors que la procédure était rien de moins qu’interdite), que cette apparente maîtrise était obtenue grâce à l’avortement clandestin, dont les conséquences parfois dramatiques pesaient sur les femmes : après vérification auprès de ceux qui ont étudié la question le plus sérieusement[12], il n’apparaît pas que le nombre d’avortements avant la loi Veil – ou la loi Neuwirth – ait été significativement plus élevé qu’aujourd’hui.

S’il faut donc en exclure une maîtrise de la fécondité à la portée des couples déjà bien avant, où peuvent se situer les bénéfices d’une contraception chimique ?

  • Dans une sexualité plus épanouie ? Qui le croit sérieusement, alors qu’à l’évidence, la guerre des sexes n’a jamais autant fait rage ? Il suffit d’aller sur les forums – voire, une fois encore, d’écouter les intéressées, pour entendre qu’un grand nombre d’utilisatrices se plaignent d’une altération parfois sévère de leur libido. Comment s’en étonner ? Pharmacologiquement, la contraception hormonale n’est rien d’autre qu’une castration chimique dont l’idée était tellement inconcevable qu’elle a requis une modification législative d’un cynisme bouleversant (directive CEE/65/65 : médicament « par fonction ») pour justifier qu’un sujet en parfaite santé puisse recevoir un authentique médicament sans être le moins du monde malade. Comment s’en étonner, encore, quand l’effet le plus évident d’une contraception sous-traitée à un tiers intrusif, c’est de dispenser le couple de la nécessaire complicité pour parvenir ensemble à un contrôle de leur fécondité, avec pour conséquence une « onanisation » de la sexualité (dont j’ai fourni de nombreux exemples dans mon dernier livre[13]) et qui contribue d’effrayante façon à une dés-érotisation d’une relation où l’Autre n’intervient plus que comme sex toy ? Par ce qu’elle implique de sous-traitance externalisée, la contraception médicalisée brouille la frontière qui sépare l’onanisme à deux de l’érotisme, à savoir la différence entre utiliser le corps de l’Autre pour faire plaisir au mien (éventuellement de façon réciproque) ou utiliser le mien pour faire plaisir à celui de l’Autre et, cela va de soi, tirer ma jouissance de ce plaisir offert[14]
  • Dans une sexualité plus « autonome » ? Mais quelle « autonomie » chez ces jeunes femmes qui, le premier samedi soir de leurs vacances, s’aperçoivent avec horreur qu’elles ont oublié leur plaquette de pilule ? Quelle « autonomie », surtout, chez toutes ces femmes tenues depuis un demi-siècle dans une ignorance quasi absolue des risques parfois graves, voire mortels, de cette contraception, comme récemment illustré par la fausse polémique des « 3e/4e générations » qui a servi à révéler la désinformation traditionnelle des utilisatrices relativement à un risque thrombo-embolique qui a existé depuis toujours et qui a concerné toutes les générations de pilules depuis les toute premières.

Globalement – et c’est l’aporie devant laquelle reculent toutes les féministes, incluant les plus modérées – comment tenir pour une victoire des femmes l’accès à des techniques qui, toutes (qu’il s’agisse de contraception ou d’avortement), présupposent leur soumission à une médecine dont la misogynie aussi farouche que traditionnelle saute aux yeux au point d’être admise même par les plus féministes des historiennes ? Par-delà, pourquoi les fantasmes les plus incongrus des promoteurs du genre – changement de sexe, PMA – présupposent-ils une dépendance absolue à l’endroit du complexe médico-pharmaceutique – dont la contribution au capitalisme le plus sauvage ne peut être sérieusement niée et dont la criminelle brutalité est de plus en plus voyante[15] ?

2.3.2. Libération par le travail

Il a été posé comme allant de soi que l’activité des femmes au foyer n’était qu’une « manière douce de maintenir la domination masculine »[16] et que leur accès au travail salarié correspondait à une autre libération. De façon d’autant plus choquante qu’il s’agit d’une propagande qui, répétons-le, vient d’activistes revendiquant leur dévotion aux « sciences » humaines, cet autre credo fait une curieuse impasse sur des réalités historiques et sociologiques un tantinet plus subtiles : i) le travail, même de subsistance (i.e. abstraction faite de l’éducation des enfants), est loin de se limiter au travail salarié, exécuté sur ordre d’une instance extérieure à la famille (entreprise, administration…)[17] ; ii) que ce soit dans le monde paysan, artisan ou même ouvrier, la gestion du budget et de l’argent a longtemps été le domaine réservé des épouses ; iii) l’accès massif des femmes au monde du travail salarié a coïncidé avec la croissance des besoins capitalistes en main d’œuvre peu ou déqualifiée. Ainsi, à côté d’une arrogance méprisante pour la vie sexuelle des femmes d’antan, cet insupportable dédain pour leur travail est l’une des illustrations les plus éclairantes de la misogynie compulsive qui travaille les féministes : leur dolorisme condescendant à l’endroit de nos aïeules[18] – qui n’en demandaient pas tant – recouvre un scandaleux mépris à l’endroit de tout ce qu’elles ont fait. Reste à montrer de façon convaincante que l’épouse qui tenait la ferme ou l’atelier familial, à égalité (sinon identité) de responsabilités avec son homme, avait l’échine plus souple que les contemporaines caricaturalement soumises aux diktats les plus déments de leur patron.

Quoi qu’il en soit de cet arrière-fond historique difficilement contestable, il est assez ironique que le travail salarié ait fini par concrétiser l’essentiel de la revendication féministe à « l’émancipation » juste au moment où il atteignait un degré inédit d’aliénation, de soumission et, pour tout dire, de brutalité. Comme le récapitulait récemment Frédéric Lordon, le monde du travail se caractérise aujourd’hui de la façon suivante :

« (…) minimisation forcenée des coûts salariaux, destruction méthodique de toute possibilité de revendication collective, intensification épuisante de la productivité et dégradation continue des conditions matérielles, corporelles et psychologiques du travail »[19].

Par conséquent :

  • ou bien la situation était plus ou moins comparable avant, et le féminisme s’est singulièrement trompé quant à ses indicateurs d’émancipation ;
  • ou bien la situation antérieure était meilleure, et il faut s’interroger sur le rôle de la féminisation dans la dégradation qui a suivi.

Parmi d’autres, l’observation suivante permet de comprendre pourquoi cette question pourtant centrale ne sera jamais posée : dans leur immense majorité, les porte-parole du féminisme ont été soit des bourgeoises suffisamment fortunées pour s’épargner les contraintes d’un salariat ordinaire (moyennant, le cas échéant, un certain cynisme, dont E. Badinter offre, sans le moindre complexe décelable, une sidérante illustration), soit – et plus encore – des fonctionnaires (enseignantes, chercheuses), des employées du système politicien (parlementaires ou assistantes, employées de collectivités locales) ou des professionnelles de santé pseudo-libérales (dont la rémunération est, pour l’essentiel, garantie par l’assurance-maladie), c.-à-d. des privilégiées opérant sous la protection de l’État-providence, loin des dynamiques entrepreneuriales à la sauvagerie desquelles elles ont pourtant contribué de façon tellement irresponsable.

3. Inventaire de la violence selon les sexes

Attendu, donc, que sur la base de ses résultats facilement observables, la mission « émancipatrice » du féminisme s’est soldée par un échec aussi lamentable que tragique, revenons au présupposé de violence masculine censé justifier le primat de la lutte contre le patriarcat. Pour aller à l’essentiel : y a-t-il des raisons de penser que la violence aurait un sexe ?

3.1. Violences physiques

Concentrons-nous, d’abord, sur la forme de violence qui monopolise l’attention médiatique, à savoir les coups et notamment ceux qui peuvent entraîner la mort. Selon les chiffres qui traînent un peu partout, il y aurait, chaque année en France, à peu près 125 décès de femmes contre 25 d’hommes, soit un delta d’environ 100 décès supplémentaires imputables à la violence mâle. Les quelques remarques qui suivent visent à mettre cette différence en perspective.

  • On ne sait pas très bien quel type de violence(s) recouvrent ces chiffres : incluent-ils ces drames absolus où un vieillard épuisé met fin aux jours d’une épouse incurablement malade ? Incluent-ils des mises à mort plus insidieuses, telles que celles consécutives à un empoisonnement criminel (que la surmédicalisation a tellement facilité) ?
  • Il y a indubitablement des hommes qui sont des brutes : mais il existe aussi des femmes qui ont une singulière propension à ne s’accoupler qu’avec des brutes… Il faut avoir connu des cas comme celui de cette femme arrachée par son frère au mari qui cherchait à la noyer dans la baignoire, et retournant ventre à terre chez ledit mari à peine sortie de l’hôpital… Il y a aussi de ces femmes qui adorent mettre en scène l’indignité fondamentale de l’homme en le provoquant jusqu’à l’inconcevable, si possible en présence des enfants…
  • J’entends l’objection concernant le caractère censément « anecdotique » des exemples que je viens de citer, quoique je n’en sois pas parfaitement convaincu. Mais s’il faut faire intervenir le paramètre statistique de la rareté, je me permets de remarquer qu’en référence à la mortalité globale dans notre pays, ce delta d’une centaine de décès peut-être imputables à la brutalité mâle correspond à un décès sur 5 000 environ. Par comparaison, si l’on s’en tient aux suicides dont personne ne contestera qu’ils surviennent souvent dans un contexte conjugal plus que conflictuel, l’excès de morts cette fois masculines dépasse 5000 par an, soit environ le centième des décès sur cette période (50 fois plus).

3.2. Autres formes de violence entre adultes

Même s’ils appellent une lecture circonspecte, ces chiffres bruts, à eux seuls, autorisent à douter que les hommes aient un monopole de la violence conjugale ; le précédent de Socrate avec Xanthippe atteste, de plus, que cette violence ne date pas d’hier… Dans un couple et abstraction faite des brutalités authentiquement physiques mais qui ne mettent pas directement la vie en danger (voire, qui ne laissent guère de traces à l’examen médico-légal), il y a mille façons d’exercer une violence à l’égard de l’autre, à commencer par la façon de faire la cuisine ou le ménage (quand on lui fait de préférence les petits plats qu’il ou qu’elle déteste, quand on « égare » malencontreusement ses sous-vêtements, ses chaussettes, sa crème à raser ou son parfum…) pour ne point parler – c’est devenu une mode – de la plainte à la gendarmerie dès qu’une scène a passé un certain niveau de décibels.

Et puisqu’on en est à évoquer les tâches ménagères, qu’il me soit permis de remarquer que si l’inégalité de leur répartition est un autre lieu commun de la protestation féministe, la conscience est bien moindre dès qu’il s’agit du désolant mépris de certaines femmes à l’endroit des contributions masculines au matériel[20] : je ne compte pas les couples où j’ai vu l’homme s’épuiser durant des années tous les soirs, tous les week-ends et toutes les vacances à retaper ou financer une maison, pour s’apercevoir à la fin que l’inspiratrice de tout cet engagement avait finalement préféré s’éclipser au profit d’un partenaire plus disponible – ou moins dévoué…

3.3. Violence sur les enfants

Comme je l’avais remarqué voici déjà longtemps dans mon livre sur les contes de Grimm[21], ce n’est probablement pas un hasard si la médiatisation de la violence privée tend à occulter celle qui s’exerce sur les enfants, dont les quelques échos qui nous parviennent se limitent presque exclusivement à des crimes de pédophilie qu’à tort plus qu’à raison, l’imaginaire collectif attribue à la perversité masculine.

Pour commencer, comme précédemment, par la violence meurtrière, on trouve aujourd’hui des évaluations faisant état, pour notre pays, d’au moins 800 infanticides par an, assorties de l’idée qu’elles sont probablement très sous-estimées : bien au-dessus, en tout cas, de la surmortalité conjugale imputée à la violence mâle. Or, même s’il peut paraître présomptueux de prétendre caractériser un phénomène sous-estimé, il semble peu contestable que dans cette criminalité à l’endroit des plus petits, les femmes soient au moins aussi actives que les hommes.

S’il s’agit, à présent, d’élargir l’enquête à toutes les formes de violence – physique ou psychologique – des adultes sur les enfants, il n’est pas scandaleux de remarquer que les femmes y jouent, là encore, un rôle au moins aussi actif que les hommes, et probablement bien supérieur. Il faut un minimum de cohérence : on ne peut pas – comme c’est la mode aujourd’hui – reprocher aux hommes de déserter leurs responsabilités paternelles tout en leur imputant le principal de la violence s’exerçant sur des enfants dont la garde leur est le plus souvent farouchement contestée par les mères. Il suffit, de toute façon, d’aller dans un jardin public pour s’effarer quant à l’intensité de violence verbale, voire physique, déployée par de nombreuses mères à l’endroit des petits.

Même si elle est possiblement aggravée par la déliquescence actuelle de la cellule familiale, cette dissymétrie sexuelle de violence adulte sur les enfants ne date pas d’hier : en 1812, également période de recompositions familiales fréquentes (cette fois en rapport avec une mortalité précoce), les frères Grimm pointaient déjà spécifiquement l’injustice flagrante des mères à l’égard des enfants selon qu’ils étaient d’elles ou, simplement, de leur mari… Fantasme daté d’écrivains romantiques plutôt portés sur la fiction[22] ? Écoutons, presque deux siècles plus tard, Cornelius Castoriadis, économiste à l’OCDE et psychanalyste :

Disons en passant, contre une certaine démagogie du féminisme contemporain, que nulle part cette ambivalence n’est si grande qu’entre mère et fille, qu’aucune haine entre père et fils n’atteint l’intensité, la destructivité, la morbidité et la cruauté de la haine que la clinique nous montre si souvent entre mère et fille. Constatation qui conduit à un certain scepticisme devant l’idée selon laquelle ce sont souvent les hommes qui ont introduit la haine, la violence et le mal dans l’histoire de l’humanité, les femmes ayant toujours été du côté de l’amour, de la douceur angélique, etc.[23]

3.4. Par-delà la violence sexuée

3.4.1. Exploitation de l’homme par l’homme

La violence sexuée n’est qu’une forme parmi d’autres de « l’exploitation de l’homme par l’homme » – en entendant cette fois « homme » dans le sens d’être humain, qu’il soit mâle ou femelle. Dès qu’un sujet dispose d’une quelconque supériorité sur son prochain, il tend plus fréquemment que rarement à l’exploiter pour accroître son avantage.

Statistiquement, le mâle humain a le plus souvent une supériorité de force physique sur sa partenaire (quoique la règle souffre de nombreuses exceptions, surtout aujourd’hui). Mais celle-ci peut avoir une supériorité de beauté, de fortune personnelle, de réputation, de débrouillardise, de maîtrise verbale, d’agressivité sans scrupule, dont elle peut tout autant faire usage pour dominer l’autre, tant il est vrai que le pouvoir appelle le pouvoir…

Cette propension diabolique à exploiter ses avantages au détriment de celui qui n’a pas les mêmes dépasse évidemment les seules relations de couple. Alors que je viens d’évoquer la violence des adultes à l’endroit des petits et que j’ai également fait allusion à la sauvagerie dans le monde du travail, dois-je me fatiguer à encore chercher d’autres exemples ?…

3.4.2. La question de l’ambivalence

Nous avons forcément tendance à percevoir la haine que les autres nous portent plus naturellement que celle que nous leur renvoyons : cependant, cette propension à la haine de l’autre est proprement incontournable – et ce n’est pas la surmonter que de l’ignorer.

Le vrai problème des relations humaines, en effet, ce n’est pas l’amour, mais la haine. Aimer, au fond, c’est facile – c’est à la portée du premier imbécile venu, surtout quand il y a du désir physique dans tout ça : mais que ce soit avec un conjoint, avec des enfants, avec des parents ou avec des amis, personne ne peut rester dans une continuité de sentiments positifs ou tendres. Même après une nuit d’amour, qui n’a jamais ressenti l’envie de balancer l’autre hors du lit quand il commence à ronfler ou qu’elle se met à grincer des dents en dormant ?…

Nous sommes renvoyés là à cette remarquable aptitude que la Providence nous a donnée, à savoir la capacité de maîtriser les sentiments négatifs que les aimés finissent forcément par générer en nous à un moment ou à un autre. L’ambivalence, au fond, c’est l’antidote de la schizophrénie, c’est-à-dire la capacité de tolérer des sentiments contradictoires à l’endroit d’une personne donnée (un conjoint, par exemple) tout en restant identique à soi-même.

4. Retour sur la violence sexuée

Il n’y a donc aucun moyen d’avancer si l’on se concentre unilatéralement sur la violence d’un sexe envers l’autre, si l’on se focalise exclusivement sur une forme sexuellement typée de la violence (les coups de poing), si l’on ne voit pas que cette violence est parfaitement réciproque (sinon symétrique) et qu’elle relève de tendances universelles telles que, je l’ai dit, l’exploitation de l’homme par l’homme ou les pièges de l’ambivalence… Aussi fallacieuse que la plupart des siennes, la notion de « hiérarchie » entre les sexes, développée par F. Héritier pour justifier son horreur de la sexuation, occulte que cette hiérarchie n’est pas univoque : dépendant sans doute des cultures, il y a – ou il y a eu – des domaines (la maison, l’éducation des enfants, la religion, la gestion du budget, etc.) où ce sont les femmes qui gouvernent pour l’essentiel. En réponse au grief pas forcément futé des féministes que les hommes se seraient appropriés l’espace public, on pourrait même risquer que c’était parce qu’ils n’avaient aucune assurance quant à leur statut dans l’espace privé…

Au contraire de l’idée médiatiquement dominante, il apparaît donc plus que clairement que la violence n’a pas de sexe, et les quelques exemples produits à l’appui de la démonstration pourraient être élargis et multipliés sur demande. Pour conclure sur ce point avec un auteur déjà cité, qui a lui aussi dépensé une énergie certaine à explorer « le continent noir » :

Les femmes ont tout autant de chances que les hommes de faire mauvais usage du pouvoir, de trouver du plaisir à se montrer cruelles, et de céder au goût pour la cruauté (…)[24].

Mais puisque notre objectif de ce soir est de mieux appréhender les subtilités de la sexuation, est-il possible néanmoins de caractériser une certaine dynamique de violence qui, elle, dépendrait du sexe ?

4.1. L’homme et la peur

La littérature, l’histoire des mentalités, ainsi que l’observation en attestent : ce qui caractérise le plus spécifiquement la position de l’homme par rapport aux femmes, c’est, paradoxalement, la peur – une peur dont il est facile de vérifier qu’elle n’est réciproque en rien. Je vois plusieurs circonstances susceptibles d’éclairer cet état de fait aussi frappant que mystérieux à première vue.

  1. D’une part, la réaction de l’homme au féminin intègre nécessairement son expérience d’enfant relativement au maternel – avec, notamment, sa crainte de l’envahissement, de l’étouffement et de la manipulation.
  2. D’autre part et pour se concentrer cette fois sur son corps à corps avec les femmes :
  • avant, l’homme a peur de rater l’abordage, car au-delà des vantardises d’usage, il sait très bien, dans son corps, qu’il n’est rien de plus fragile que l’érection masculine ;
  • pendant, l’homme craint la souillure (la « saleté » vaginale, qui obsède tant les médecins[25]), la mutilation (le vagin à dents) et la déperdition (Érec et Énide, Samson) ;
  • après, alors qu’il se trouve, au sens précis du terme, réduit à l’impuissance, il redoute plus que tout l’insatiabilité de la femme, puisque celle-ci peut encore quand lui ne peut plus rien…
  1. Plus tard, encore, l’angoisse l’étreint à l’idée qu’elle est seule à savoir qui est le père de l’enfant, ou plus précisément (car il est des femmes qui n’en ont pas la moindre idée…), la seule à savoir s’il existe un motif pour douter que c’est bien LUI le père : il faut être aussi survoltée que F. Héritier pour tirer de cette inquiétude banale que l’homme jalouserait l’aptitude des femmes à porter des enfants dans leur ventre…
  2. Enfin, la peur solde l’inépuisable culpabilité de l’homme relativement à une pulsion qui se présente d’abord comme une exception à une règle morale sinon intangible : nous allons revenir dans un instant sur cette question fondamentale (cf. aussi note 30).

4.2. La femme et l’illimitation

Dans la remarque de Castoriadis que j’ai citée un peu plus haut, deux choses frappent : i) la violence de la mère atteint son sommet dans ses rapports avec ses filles ; ii) elle est incontrôlable, quasiment sans limite.

Aux enseignements de la clinique déjà évoqués par le philosophe grec à l’appui de son assertion et qui pourraient être largement développés sur la base de l’observation, on peut ajouter le témoignage impressionnant des contes – et ceux d’entre vous qui connaissent un peu mes écrits savent que je tiens Blancheneige pour une représentation effroyablement actuelle d’une réalité qui ne date pourtant pas d’hier.

Puisque notre attention à cet endroit porte précisément sur la sexuation de la violence, commençons par remarquer que ce moment de la vie – évoqué quasi obsessionnellement par les contes – où la mère se représente mise en danger par la féminité bourgeonnante de sa fille correspond à celui où le père entre dans ce que, non moins traditionnellement, on appelle « la force de l’âge »…

Constatons d’autre part que les situations merveilleuses où le héros se trouve anéanti sanctionnent souvent des comportements – heureusement réparables – où, se laissant entraîner par sa volonté de puissance, il s’est impétueusement assis sur l’impératif d’auto-limitation : alors que (généralement avec l’aide d’un « auxiliaire » âgé ou animal) tout lui avait réussi jusqu’à présent, il a voulu posséder plus que ce qui lui était permis, il s’est acharné sur ses ennemis plus qu’il ne fallait pour les contrôler, etc. En conséquence, on va l’enfermer, le condamner à mort, lui crever les yeux, lui trancher la tête – bref : le réduire à l’impuissance – comme ça, juste pour lui apprendre la vie. Et, heureusement pour le happy end du conte, il va l’apprendre…

Les choses sont bien différentes quand c’est une femme qui profère le même refus de la limitation : après avoir réclamé – et obtenu – « une petite maison », puis « un grand château de pierre », puis de devenir roi, puis empereur, puis pape, la femme du pauvre pêcheur déclare vouloir « devenir comme le Bon Dieu », pour retomber aussitôt – et à jamais, cette fois – dans son immonde taudis du début : il n’y aura pas de rédemption…

Même jeu avec la belle-mère exaspérée par l’échec réitéré de ses tentatives meurtrières à l’endroit de sa belle-fille : « Blancheneige doit mourir, quand il m’en coûterait ma propre vie ». Au classique « c’est lui ou moi » qui préside aux affrontements décisifs entre deux hommes, la reine enragée substitue une alternative démente : « ce sera elle ET moi »… Dans la citation précédemment évoquée, Castoriadis parlait justement d’une « destructivité », d’une « morbidité », d’une « cruauté » incomparables chez les femmes…

N’en déplaise à Françoise Héritier et à ses paroissiennes, il se pourrait que cette démarcation entre les sexes sur la question de l’auto-limitation ait plus à voir avec la nature qu’avec la culture. Car l’homme recèle en son corps un modèle de limitation extrêmement convaincant : l’expérience de la détumescence… C’est le sens du classique « post amorem, omne animal triste » (après l’amour, tout animal est triste) indissociable du vécu masculin : aucun homme doté d’un minimum de conscience n’ignore cette épreuve qui le fait dégringoler, en quelques secondes à peine, de l’illusion sub-divine où le conduit son érection à la ridicule impuissance où il se voit réduit juste après l’éjaculation. Le Bon Dieu doit bien rire à chaque fois…

Quoi d’équivalent chez la femme ? Dans la mesure où la promotion du genre est fondamentalement un refus de la limitation, cela ne peut être un hasard que les inventeurs de cette fausse « théorie » aient été essentiellement de sexe féminin ; et pas un hasard, non plus, si sa réfutation la mieux inspirée s’organise le plus souvent autour de valeurs masculines, quitte à exposer les protestataires au reproche si convenu de « machisme » : béni soit le machiste qui connaît, d’expérience, les limites de la puissance…

Oh certes ! Dans le monde d’hier heureusement révolu – celui où les femmes étaient trop gourdes pour « travailler » et trop nunuches pour jouir –, il y avait bien une réciproque sexuée des limitations masculines : le risque d’une grossesse vraiment indésirable[26]. C’est justement cette limitation qui s’est trouvée éliminée par la pilule, mais au prix de bien d’autres qui, elles, font l’objet d’un déni forcené : des effets indésirables souvent humiliants et parfois graves, une soumission absolue à un ordre médical caricaturalement machiste, un sésame pour dévouer son corps et son âme aux pires abus de l’entreprise capitaliste[27]

5. La pulsion

5.1. Aux racines de la culpabilité masculine

Si l’inventaire des forces en présence permet aussi facilement de réfuter que la violence serait l’apanage du masculin, qu’est-ce qui peut justifier l’entretien du mythe au cours des siècles et maintenir les hommes dans un état subconscient de culpabilité qui laisse libre cours aux dénigrements féminins, aux abus de pouvoir – accessoirement à la promotion du genre malgré son indigence intellectuelle pourtant voyante ? Ceci, je crois, qui, n’en déplaise une fois encore à F. Héritier, relève bien plus – ô combien – de la nature que de la culture : la pulsion.

Le temps me manquera ce soir pour justifier que le fardeau de la pulsion génitale soit généralement plus lourd pour l’homme que pour la femme[28]. Mais il est facile de comprendre que dans ses effets immédiats, cette pulsion écartèle l’homme entre deux représentations parfaitement antagonistes : celle d’une pénétration dont il serait l’acteur – et qui correspond à son plus cher désir – assortie de l’horreur que lui cause généralement l’idée abstraite de la pénétration, laquelle le renvoie fantasmatiquement à une passivité insupportable, elle-même pressentiment de la mort (on peut même risquer que la plupart des plaisanteries ou critiques qualifiées abusivement d’homophobes trahissent l’horreur subconsciente qui s’empare le plus généralement des hommes à l’idée qu’un de leurs semblables puisse être pénétré)[29].

Cependant, et du point de vue de la relation, comment se sentir en paix avec, chevillé au ventre, un désir qui contredit magistralement la règle morale quasi universelle de ne pas infliger à autrui ce qu’on ne voudrait pas se voir infliger à soi-même[30] ? Sachant de plus et de toute façon que la pulsion de pénétration peut préexister à la relation : l’homme n’a pas besoin d’une femme précise pour ressentir, parfois impérieusement, un besoin de pénétration. D’une franchise imparable à cet égard, le langage courant évoque à ce sujet le désir de « tirer un coup » : on ne saurait être plus limpide…

Même en 1964 (c’est-à-dire aujourd’hui), chez quelqu’un comme Marc Oraison, réputé avoir contribué au renouvellement de la pensée catholique sur la sexualité, on trouve cette idée qu’un homme qui pénètre sa femme avec l’intention de ne pas la féconder prive celle-ci de la « relation » (« il se sert de sa femme pour jouir, ce qui est en fait très différent »[31]) : difficile d’exprimer avec plus d’ingénuité l’abomination d’un acte qui vise à soulager l’homme de sa tension pulsionnelle. Aux yeux de notre bon jésuite pourtant psychanalyste, il semble relever de l’évidence qu’en elle-même, la pénétration ne saurait susciter chez la femme la moindre jouissance réciproque et, à ce titre, relever effectivement d’une « relation »… C’est d’ailleurs une observation que j’ai reçue de femmes que leurs partenaires d’apparence le plus « civilisée » semblent vouloir racheter par des préliminaires parfois interminables l’insoutenable brutalité de la pénétration qui va suivre et dont ils peinent à considérer sérieusement qu’elle puisse concrétiser un échange tant soit peu équilibré – une « relation » pour parler comme Oraison…

5.2. Devenir civilisationnel de la pulsion

Alors donc qu’une gestion proprement humaine d’une impulsion aussi bestiale que la pulsion de pénétration pose un singulier problème, quelle a été la contribution des deux piliers de notre civilisation (la religion catholique[32] d’une part, la pensée des Lumières d’autre part) à sa résolution ? La réponse est assez triste : cette contribution a été nulle, pour ne pas dire franchement néfaste.

5.2.1. La religion catholique

5.2.1.1. Bref rappel historique

Pour l’essentiel, la religion catholique s’est attachée à mettre la pulsion hors-jeu, notamment en se cramponnant à un refus farouche de la contraception, au nom d’une prétendue « loi naturelle » qui n’a jamais fait le moindre effort pour intégrer cette fascinante exception : de tous les animaux, l’être humain est bien le seul à pouvoir dissocier accouplement et procréation, et à rechercher consciemment le plaisir de celui-là sans forcément s’exposer à la réalisation de celle-ci.

Cette position catholique, dans la rigidité des prescriptions qui en découlent, est d’autant plus paradoxale que l’on ne peut vraiment pas dire qu’à l’égard de la sexualité, les Évangiles aient été fort prescriptifs. Grâce au magnifique travail historico-théologique d’un autre jésuite, l’Américain JT Noonan[33], il est possible de reconstituer l’histoire de ce paradoxe. Dans les soubresauts de son inéluctable déclin, l’Empire romain fourmillait de sectes religieuses dont celle d’où est finalement sortie l’Église catholique au cours des siècles. En rivalité directe avec celle-là, il y avait d’une part les gnostiques – lesquels, faisant du monde une création de Satan vouée à l’extinction, prohibaient toute procréation ; il y avait, d’autre part et comme à toute époque de grand désordre moral, les hippies du moment qui prenaient dans un sens excessivement littéral le commandement « aimez-vous les uns les autres » et dont les célébrations rituelles tenaient plus d’une gigantesque partouze que du sacrement eucharistique tel que nous le connaissons aujourd’hui : Woodstock et mai 1968 n’ont rien inventé…

La voie des chrétiens pour se distinguer en était d’autant plus étroite que, depuis Saint Paul (et sans que l’on comprenne bien pourquoi sur la base des textes fondamentaux), les premiers fidèles avaient posé l’état de virginité ou de continence comme moralement très supérieur à celui du mariage. D’où les deux principaux mots d’ordre : halte aux désordres sexuels qui choquaient même les contemporains et contribuaient à décrédibiliser la religion naissante, mais également vivent les bébés qui, malgré l’infériorité intrinsèque du mariage, contribuaient quand même à le sacraliser – et, last but not least, à se distinguer de l’ennemi de toujours, à savoir les gnostiques.

5.2.1.2. Les principes et leur mise en application

Les problèmes posés par cette morale sexuelle étaient multiples et sérieux, comme la suite n’allait cesser de le démontrer.

  • Élaborée en réaction à un contexte historique précis bien davantage qu’en conformité avec l’esprit des Évangiles, elle n’avait aucune raison de perdurer durant des siècles alors que le contexte sectaire de sa naissance avait radicalement changé : c’est bien d’ailleurs la conscience d’une nécessaire évolution qui avait conduit, sans doute tardivement et finalement en vain, les autorités romaines à mandater – entre autres – Noonan comme expert pour la préparation de Vatican II.
  • Posé comme absolu, le primat de la continence faisait l’impasse sur les ruses de la pulsion, dès lors en quête de satisfactions détournées[34]. Ce fut en particulier le cas avec le rite de la confession, dont il n’est pas douteux qu’il a été pour certains clercs une occasion d’assouvir un voyeurisme morbide. Attendu aussi qu’il est deux façons de posséder une femme – la pénétrer d’une part, empêcher quiconque de la pénétrer d’autre part – il n’est pas besoin d’avoir lu tout son Freud pour comprendre comment la pratique de la direction spirituelle a pu donner prétexte à d’autres assouvissements non moins douteux : exhorter à la virginité une appétissante adolescente, ou conforter dans son célibat une accorte jeune veuve, c’est quand même s’approprier au moins la moitié du butin… La biographie de Saint Jérôme est assez éloquente à ces égards.
  • Comme l’ont appris à leurs dépens les autorités américaines dans les années 1920, les stratégies prohibitionnistes ont une regrettable tendance à générer un monde caché de pratiques déviantes : ce n’est pas un natif du département français le plus cléricalisé (et qui a été le lieu, en 1894, de la dernière exécution d’un prêtre en France) qu’on va affranchir sur les dérapages parfois tragiques qui peuvent survenir sous le vernis rassurant d’une prohibition trop brutale pour être crédible. Ce devrait être un motif d’interrogation douloureux pour tous les catholiques que l’atroce crime d’Uruffe (1956), pourtant imputable à un pervers de la pire espèce, ait suscité, apparemment, des centaines de lettres d’ecclésiastiques faisant état d’une forme de solidarité avec la brute, en rapport avec l’intolérable souffrance sexuelle que leur causait leur ministère. Ce devrait être un autre motif d’interrogation qu’une innovation techniquement, idéologiquement et moralement aussi lamentable que la pilule ait à ce point, et aussi rapidement, contribué à vider les églises.
  • Quoique fossilisée dans son historicité très datée, cette morale sexuelle allait féconder une vitalité de misogynie allant parfois jusqu’à la délire, via au moins deux mécanismes :
    • surtout chez des gens dispensés par fonction de réfléchir profondément à l’inconscient sexuel, il est tentant de confondre dans une même horreur la pulsion et ce qui la stimule : c’est le thème de la plupart des « tentations » (de St Antoine, de St Benoît…) qui mettent en scène la diabolique perversité du féminin pour attiser le désir (c’est pas moi, c’est elle(s)!) ;
    • plus subtilement, le primat de la continence devait forcément rassurer et, par conséquent, attirer tous ceux qui, à un titre ou à un autre, avaient un contentieux avec le corps féminin : cette dynamique de sélection naturelle – les ennemis des femmes tendant à se regrouper avec les ennemis des femmes – rend compte d’un renforcement du discours misogyne au cours du temps[35]

5.2.1.3. Vous avez dit « misogyne » ?

À cet endroit, il peut être utile (quoique pas central pour mon propos actuel) d’affronter une objection qui ne rate quasiment jamais lorsque l’on aborde ces questions devant un public catholique : il y a toujours une contradictrice qui se lève pour asséner – ès qualités de genre – qu’elle ne comprend vraiment pas d’où vient cette réputation misogyne de l’Église et pour se porter garante qu’elle n’a elle-même jamais rencontré la moindre hostilité de la part des ecclésiastiques qu’elle a connus.

Pour ce qui est de documenter la réalité historique de cette misogynie et sa continuité dans le temps, je ne peux que renvoyer , parmi mille autres preuves, au très érudit inventaire établi par Paulette L’Hermite-Leclercq – d’autant plus impressionnant que, comme je l’ai déjà souligné ailleurs, il semble émaner d’une femme qui n’entretient, à l’évidence, aucune animosité contre la religion catholique[36].

Quant aux témoignages personnels concernant la « philogynie » de l’institution, ils appellent un minimum de réserve.

  • Dans l’Église ou ailleurs, il a toujours existé des femmes dépourvues de la moindre conscience quant aux sévices qu’elles subissaient : cela se voit dans certains couples, cela se voit énormément dans le monde du travail (notamment chez celles qui vivent leur emploi comme une « émancipation »…) – et cela se voit également dans les paroisses. Psychanalytiquement, ces situations renvoient à l’épineuse question du « masochisme féminin », sur lequel on a sans doute écrit certaines imbécilités, mais qui ne peut non plus être évacuée d’un simple revers de la main.
  • À l’inverse (quoique de façon non exclusive pour qui connaît la misère des femmes de prêtres), il y a toujours eu, dans l’Église catholique, des relations privilégiées entre des clercs (certains appelés à une canonisation future…) et certaines femmes, qui, sans aller forcément jusqu’au passage à l’acte, interpellent néanmoins le freudien quant à leur dynamique inconsciente : par facilité (car ce n’est pas au centre de mes préoccupations), je cite souvent le précédent – plus qu’éloquent – de Saint Jérôme, mais il suffit de regarder autour de soi pour apercevoir bien d’autres exemples. Pour le dire autrement, et en référence aux « satisfactions détournées » que j’évoquais plus haut, la position bizarrement obstinée de l’Église catholique sur la sexuation est suffisamment névrogène pour légitimer un minimum de suspicion quant aux « amitiés particulières » entre certains clercs et certaines paroissiennes – même en toute chasteté, au moins apparente… Et quitte à opposer un témoignage également personnel à ceux qui ont inspiré la présente digression, j’ai vu des relations entre prêtres et femmes qui tenaient plus de l’esclavagisme que d’une répartition équilibrée des rôles et responsabilités : par exemple, n’éprouver aucun besoin d’aller assister religieusement une très vieille dame excessivement dévouée, mourant seule à l’hôpital après n’avoir eu aucun scrupule à la laisser nettoyer jusqu’à ses dernières forces une cathédrale immense…

À en croire certains catholiques qui admettent plus ou moins à contrecœur que les clercs n’auraient pas toujours fait le meilleur accueil au féminin, cette regrettable tendance aurait été de toute façon inversée via les reformulations récentes émanant de « grands papes »[37], chaleureusement célébrées comme marquant une réconciliation décisive du magistère avec les femmes.

Sans entrer dans la polémique pour le plaisir, mais parce qu’elle s’inscrit parfaitement dans mon sujet, la lecture du texte Mulieris dignitatem (15/08/88) – présenté comme particulièrement représentatif de la révolution copernicienne imposée par Jean-Paul II à propos des femmes et de leur émancipation – laisse pantois.

En conformité avec une audience générale de huit ans postérieure (La virginité perpétuelle de Marie, 28/08/1996), le pape y soutient que la surprise de Marie apprenant qu’elle va être enceinte (Lc 1, 31-34) montrerait « clairement » qu’elle était « fermement résolue à conserver sa virginité » – pas moins : en fait, les versets précédents (1, 27) avaient simplement annoncé qu’elle était « fiancée à un homme du nom de Joseph », et on imagine mal les contemporains interpréter ces fiançailles comme « clairement » compatibles avec un boycott durable du futur lit conjugal – sachant qu’honnête charpentier du cru, le dénommé Joseph n’était probablement pas porté sur les abstractions mystiques…

Pour mieux contextualiser « l’intelligence singulière » de Jean-Paul II « concernant le couple »[38], risquons un exemple fort actuel. Dans son numéro des 15-21 mai 2015 (exactement contemporain de la présente rédaction) et sous le titre « Délinquants sexuels à 12 ans », l’hebdomadaire Marianne consacre un article à ces gamines à peine pubères qui, sans la moindre conscience quant à la portée de leurs actes, n’ont aucune inhibition à faire une fellation (voire plusieurs fellations) pour récupérer le beau portable qui leur a été subtilisé par des camarades de classe. Quiconque a la moindre conscience quant aux dynamiques éducatives et psychologiques qui prévalent en ces occurrences n’a aucune peine à imaginer qu’apprenant soudain qu’elles seraient enceintes, les gamines en question rétorqueraient sans une once d’hésitation : « Eh, connard ! J’ai encore jamais couché avec un mec » ! Soit, mutatis mutandis, exactement la réaction d’étonnement que la jeune vierge galiléenne confrontée sans sommation à l’annonce d’une grossesse prochaine : « comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? ». En suivant pas à pas « l’intelligence singulière » de notre « grand » pape polonais, on en vient forcément à conclure – et « clairement » – que notre consommatrice décervelée d’électronique dernier cri serait, malgré le désordre objectif de ses comportements sexuels, « fermement résolue à conserver sa virginité » (puisqu’elle aurait sursauté en apprenant sa grossesse) et que, ce faisant, elle aurait significativement progressé « dans la vocation de la femme »… Et, pour élargir la contextualisation en suivant le même raisonnement pontifical, on aboutira exactement à la même conclusion à propos de ces jeunes contemporaines pieusement délurées qui s’adonnent aux délices de la sodomie pour garder intact leur hymen jusqu’au jour de leur mariage : elles aussi auraient quelques raisons de sursauter si elles venaient à se voir pronostiquer une grossesse… En suivant le même « grand » pape dans son raisonnement de huit ans postérieur, on en conclura forcement que, par cet étonnement, les jeunes femmes en question manifesteraient clairement leur « volonté de rester vierges » – et ce, d’autant plus qu’à la différence de nos collégiennes consuméristes, ces obsédées modernes de l’intégrité hyménale agissent, comme chacun sait, pour se conformer à des règles religieuses

Retenons donc qu’aux yeux du Souverain Pontife, c’est la marque pathognomonique d’une disposition forte à la virginité perpétuelle et à la chasteté qu’une gamine s’étonne ingénument qu’on puisse se retrouver enceinte sans avoir jamais reçu la moindre goutte de sperme à l’intérieur de son vagin : on est bien dans l’analyse fine de ce que Mulieris dignitatem appelle sans excès de doute cartésien « la structure psycho-physiologique de la femme »…

À l’ineptie patente du raisonnement pontifical, s’ajoutent des incohérences non moins évidentes, largement suffisantes à elles seules pour signaler ce qu’en psychanalyse, on appelle une « rationalisation ». Ainsi :

  • la désinvolture linguistique du même pontife (et de ses prédécesseurs) pour interpréter dans le sens vague de « cousins » (pourquoi pas des vieux potes ?) les passages pourtant précis et cohérents des Évangiles faisant état des « frères et sœurs » de Jésus (Mt 13, 55-56 ; Mc 6, 3) contraste avec la rigidité du magistère qui ne laisse, cette fois, aucune place à l’interprétation historico-linguistique concernant la prophétie d’ailleurs vague que la mère du Christ serait une « vierge » (Mt 1, 23) ;
  • s’il est d’autre part exact que, pour âprement déplorée qu’elle soit par certain(e)s depuis déjà longtemps, l’interdiction du sacerdoce aux femmes s’expliquerait « simplement » par le fait « que le Christ a choisi des hommes pour le sacerdoce » (La Croix, 22/05/15) – de telle sorte que la légitimité dudit sacerdoce tiendrait « simplement » à la conformité de la sélection avec LA procédure inaugurée par Jésus –, que vient faire St Paul au rang des apôtres alors qu’il n’a jamais été « choisi » par le Christ et qu’il s’est, de son propre chef, posé en rival (d’ailleurs peu accommodant) de ceux qui, au contraire de lui, l’avaient bel et bien été ?
  • il n’est pas indifférent de noter que, dans son oscillation imprévisible entre les interprétations symboliques ou métaphoriques d’une part, historiques (voire biologiques[39]) d’autre part, le magistère fait preuve du même opportunisme épistémologique[40] que les promotrices du genre, toujours promptes à dénigrer comme bêtement « naturalisante » toute considération scientifique de nature à limiter leur imagination, mais ne craignant jamais de se prévaloir d’observations prétendument scientifiques dès qu’elles confortent leur réfutation des données dont elles ne veulent pas entendre parler[41] : comme le remarque à juste titre B. Levet au sujet de ces dernières, « la nature est autorisée à faire son retour lorsqu’elle vérifie le dogme » (op. cit. p. 96).

Trêve d’exégèse. Mes lecteurs savent que je ne suis pas un inconditionnel des statistiques, sauf lorsqu’elles sont caricaturales. En l’espèce, si l’on s’intéresse d’un point de vue bêtement quantitatif au lexique de Mulieris Dignitatem, que constate-t-on dans ce texte d’environ 27 000 mots ?

  • Les radicaux mater* ou mère* se retrouvent 145 fois ;
  • vierg* ou virgin* 66 fois ;
  • enfan* 46 fois ;
  • jouissance une fois (pour rappeler que la femme ne saurait en devenir l’objet…) ;
  • sexu* zéro fois ;
  • accouplement ou coït zéro fois ;
  • orgasm* zéro fois ;
  • libido zéro fois.

Comme je le disais en introduction, il ne faut pas avoir peur des mots dès lors qu’on entend parler de ces sujets – sachant que dans la « tradition »[42] tout autant que dans la modernité[43], les clercs n’ont jamais craint de les employer, si crus qu’ils fussent, dès qu’il s’agissait d’infantiliser les croyants par la contrainte de l’aveu…

Sur la seule base du lexique employé, on voit qu’il faut un certain culot pour soutenir que la lettre apostolique de Jean-Paul II témoignerait d’un revirement décisif par rapport aux marottes traditionnelles des clercs concernant les femmes : environ une fois tous les cent mots, soit en moyenne cinq fois par page, les filles d’Ève se voient rappeler qu’elles n’ont de dignité dans l’Église et de place dans la sollicitude intellectuelle du pape qu’à la condition de rester vierges ou, à la rigueur, de se consacrer à la maternité. Leur beauté, leur attrait, leur capacité de donner du plaisir ou d’en prendre, ce n’est pas le sujet. Confrontés à une revendication séculaire et objectivement justifiée concernant une misogynie inexplicable sur la base des textes canoniques – sinon d’une « tradition » dont on connaît les aléas – les clercs, à l’instar du client borné dans l’impayable sketch « Les croissants » de Fernand Raynaud, se disent prêts à tous les compromis, mais en s’obstinant à ignorer l’essentiel : hormis les reléguer là où elles n’ont plus rien pour faire peur, les hommes font quoi avec les femmes, que ce soit au lit ou dans le gouvernement de l’Église ?…

Ce qui est effrayant, ce n’est pas que des responsables ecclésiastiques se complaisent dans un déni aussi pitoyable[44] de la sexualité et dans la défiance envers ce qui est le plus susceptible de la réveiller chez les hommes (clercs inclus) – à savoir les femmes – : c’est qu’il se trouve encore tant de gens pour s’y complaire, voire le célébrer. C’est particulièrement le cas avec Anne-Marie Pelletier (« grands papes ») dont le livre (cf. note 38), malgré sa déprimante indigence, a finalement été couronné du prix Ratzinger 2010 : on reste dans l’entre-soi de ceux qui, pour rien au monde, ne veulent entendre parler du feu de désir qui fait rage entre les hommes et les femmes…

Toutefois, ce constat d’une irréductible misogynie dans la hiérarchie catholique, pour désolé qu’il soit (car je sais tout ce qu’il peut charrier de misère chez certains croyants), n’est pas fondamental dans ma réflexion[45]. Cela ne me gêne en rien qu’il existe des personnes pour se satisfaire de la morale sexuelle catholique et, s’il m’est permis de l’avouer, j’ai toujours eu une certaine fascination pour les Pères du désert et pour leurs choix héroïques. Mais ceux-là, justement, qui se battent avec leurs tentations dans un terrible corps à corps, n’ont ni le temps, ni l’énergie, ni le goût de promouvoir à l’usage des autres une morale infantilisante dont l’histoire, même contemporaine, atteste la fragilité et, bien souvent, l’hypocrisie[46]. En tout état de cause, il est patent que cette morale n’est pas fédératrice et qu’elle ne permet pas à une proportion significative des gens de se dresser ensemble contre la menace pourtant mortelle du néocapitalisme et contre la sauvagerie effroyablement inhumaine de ses nervis[47].

5.2.2. Les Lumières

Malgré la bonne conscience de ceux qui s’en prévalent, il n’est pas certain que l’esprit des Lumières ait fait nettement mieux que celui des clercs dans l’humanisation de la pulsion. Je n’ai encore vu nulle part relevé que, dans son texte intitulé Qu’est-ce les Lumières ? (1784), Kant tient pour absolument évident que dans la catégorie de toute façon majoritaire des humains qui, par « paresse » et « lâcheté », préfèrent rester moralement et intellectuellement des « mineurs », il convient d’inclure « le beau sexe tout entier » (la phrase juste postérieure à cette incroyable stigmatisation assimilant au « bétail » les victimes naturelles de cette incapacité de penser et donc les femmes dans leur ensemble)… Il y a quand même quelque chose d’effrayant à trouver l’expression (qui n’est pas la seule chez Kant) d’un mépris des femmes aussi immature et minable dans un texte qui est pourtant tenu pour un sommet de l’émancipation moderne…

Faute de temps là encore, je me permets de renvoyer les auditeurs à mes écrits antérieurs[48] documentant :

  • l’alliance du goupillon et du caducée qui, à partir de 1560 environ, a conduit les médecins à associer leurs forces avec celles des clercs pour déloger les femmes de leur position traditionnelle dans le soin et, plus encore, dans la transmission, via une médicalisation de l’accouchement dont il est clair qu’à l’époque, elle ne pouvait correspondre qu’à une formidable escroquerie en termes de résultats alors qu’elle a ouvert à une fragilisation sans précédent du maternel et, par-delà, du féminin[49]; car s’il est exact que, traditionnellement, sans doute (et pour d’excellentes raisons « naturelles »), l’accouchement a été un moment de fragilité chez les femmes, elles avaient tout le reste du temps un quasi-monopole dans la pratique du soin des malades d’une part, des savoirs et pouvoirs sur la sexualité d’autre part ;
  • la façon dont, par pure usurpation, la médecine – qui n’a jamais, de près ou de loin, correspondu à une pratique scientifique – s’est approprié le prestige moderne de la Science pour infiltrer la société et la culture de ses fantasmes nettement infra-génitaux ;
  • « le moment 1960 », de trois siècles postérieur à la première prise de pouvoir médical, qui va consacrer, par la grâce de la pilule et de la pseudo-expertise inhérente, la mainmise des Diafoirus sur la sexualité, alors même qu’il suffit d’aller en salle de garde ou de feuilleter le trop célèbre « Bréviaire du carabin » pour prendre la mesure de la pauvreté affligeante qui préside aux représentations médicales de la sexualité : la fréquentation du milieu atteste qu’il ne s’agit pas juste d’un folklore et qu’il existe de multiples raisons – à commencer par la pseudo-science intitulée « sexologie » – pour entretenir les plus grandes réserves à l’endroit de la prétention médicale à l’expertise en matière de sexualité.

5.3. Retour à la question initiale

La question à laquelle nous en étions arrivés, rappelez-vous, c’était : est-il possible d’humaniser la pulsion mâle autrement que par des prescriptions archaïques, primaires, perverses ou névrotiques visant à dichotomiser sans discussion – « loi naturelle » oblige – le permis et le pas permis ?

Le rapide survol historique auquel nous venons de procéder autorise à penser qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir, voire à rattraper compte tenu de l’orientation régressive qui, sur ce sujet au moins, a été celle imposée par les principales instances de notre civilisation. On relèvera, en particulier, qu’en intimidant les gens par des interdits frustes visant une pulsion qui s’impose coûte que coûte, la religion et la médecine ont créé les conditions idéales pour les culpabiliser, partant pour les infantiliser et organiser leur dépendance à l’endroit d’une pseudo-expertise, qu’elle soit celle de leur confesseur ou celle de leur médecin[50]. Car, comme le rappelle à juste raison JC Michéa, « en l’absence d’adultes, on se met à faire confiance aux experts »[51] – ou du moins à ceux qui se présentent comme tels : sachant que l’expertise est d’autant moins susceptible de faire mûrir ceux qui s’y fient qu’elle est fallacieuse, ce qui est bien le cas en l’espèce.

Compte tenu de tout ce qui a été dit plus haut relativement à l’ambivalence plus ou moins horrifiée de l’homme à l’endroit de sa propre pulsion, on pourrait reformuler la question posée de la façon suivante : est-il possible de donner à la femme un goût pour la brutalité sexuelle du mâle ? La question est beaucoup moins naïve qu’il n’y paraît : par-delà les vantardises propres à une époque qui aime à se représenter libérée, un minimum d’écoute, là encore, permet d’apprécier qu’une proportion considérable de femmes n’ont jamais, ou quasiment jamais joui, et qu’en tout cas, elles sont rarement sûres que la jouissance viendra avec un minimum de régularité statistique lorsqu’elles font l’amour.

Lors d’une réunion publique avec des disciples de F. Héritier et autres promotrices du genre, un exposé banal, qui portait sur les représentations médicales du clitoris, a permis de lancer le débat sur les abrutis – Freud en premier – incapables de reconnaître l’évidente supériorité du plaisir clitoridien sur le plaisir vaginal. Dans une assistance militante et très majoritairement féminine, ce dérapage a donné lieu à une scène assez irréelle de femmes se congratulant mutuellement, et avec des airs entendus, sur leur « clitorido-centrisme », tout en ridiculisant les pauvres sous-développés qui s’obstinent à penser que quoi que ce soit de jouissif puisse passer par un vagin. Au spectacle de ces femmes d’âge mûr, certaines dotées d’une certaine notoriété, pouffant avec des gloussements de pré-adolescentes, j’avais l’hallucination visuelle de me les représenter au lit, et je ne pouvais m’empêcher de me dire qu’aucune d’entre elles n’avait jamais dû connaître le plaisir de s’arc-bouter autour d’un homme en lui criant : « vas-y, défonce-moi ! ». Quitte à passer pour un vieux con, je partage l’opinion de quelques autres (M. Schneider, B. Levet) qui tiennent la promotion du genre pour un moyen d’esquiver l’épreuve de l’ouverture et de la pénétration. À l’inverse, l’intérêt le plus évident de la promotion du clitoris comme source principale du plaisir féminin, c’est d’accréditer que, même dans l’exercice de sexualité, les femmes peuvent se passer de l’homme : sacrées veinardes !…

Ce serait jouer au cours d’éducation sexuelle que d’examiner plus précisément de quelle façon les femmes pourraient prendre goût à la véhémence sexuelle de l’homme. En revanche, il est parfaitement dans mon sujet de caractériser les circonstances qui ne peuvent que les cantonner dans un refus de cette violence mâle. Outre les effets inhibiteurs directs, déjà évoqués, de la pilule sur leur libido, je peine à me représenter comment une femme pourrait ne pas entretenir un mépris au moins subconscient à l’endroit d’un partenaire qui fait peser sur ses seules épaules le poids de l’artifice lui permettant, à lui, de réduire à l’insignifiance son propre potentiel de fécondité. Attendu aussi que le désir physique d’un homme pour une femme se cristallise sur l’accès privilégié à sa nudité d’une part, à son vagin d’autre part, je peine encore plus à comprendre comment une femme peut accepter que son partenaire cède ces prérogatives pourtant fondamentales à un tiers intrusif – un médecin, en l’espèce[52]. On l’a perdu de vue, mais il est quand même effarant que pour pouvoir réaliser son plus cher désir à l’endroit d’une femme, un homme n’ait d’autre solution de la prier d’aller, préalablement, écarter les cuisses devant un autre : quelque chose, tant de mon intuition que de mon expérience, me dit qu’au niveau subconscient, une femme ne peut vraiment pas respecter un homme qui la contraint à un tel rituel et que, en tout état de cause, il sera difficile de lui faire accepter de bon cœur que l’assouvissement d’une pulsion largement héritée de notre animalité (la pénétration) exige le renoncement finalement assez piteux à une autre pulsion forte de notre héritage animal – la possessivité du mâle en rut et sa combativité à l’endroit des autres mâles qui s’essaient à approcher sa partenaire…

5.4. De la pulsion à la civilisation

Si, aux yeux des freudiens, l’acte sexuel occupe une place aussi centrale dans le démasquement du sujet, c’est que, tandis que les deux partenaires s’y trouvent absolument nus l’un face à l’autre, l’épreuve cristallise sur elle toute l’ambivalence du désir : celui de la vierge et de la putain pour l’homme, du Prince charmant et du violeur chez la femme, avec cette complication supplémentaire qu’une grossesse est le risque le plus net de l’abandon des deux dans le plaisir.

C’est bien de cette constellation d’ambivalences, et de la nécessité de les maîtriser, que la sexualité humaine tire son pouvoir civilisateur : comment aller ensemble au bout d’une telle folie sans qu’elle se solde par une atteinte à l’intégrité de l’un ou l’autre ? Comment assouvir sa sauvagerie pulsionnelle en respectant l’Autre ? Comment se sentir soi-même plus grâce à l’Autre sans lui faire payer le prix d’un moins pour lui-même – que ce prix soit celui d’une castration médicalisée, d’une abstinence insupportable ou d’un bébé vraiment trop difficile à recevoir dignement (cf. note 26) ?

Passé une certaine limite d’excitation, le désir de fusion des amants expose au risque d’anéantissement de l’un par l’autre (ou l’un avec l’autre), en un dérapage vers le meurtre ou le suicide orgasmique. Parce que la virilité est liée à la conscience de ce risque, l’homme (qui représente indubitablement le pôle actif du couple) se pose comme guide de ce cheminement hallucinant, s’attachant à reconnaître et désigner les limites à l’intérieur desquelles il convient de rester pour ne pas se perdre dans l’immensité du plaisir. La maîtrise de sa fécondité est l’un de ces repères, et non le moindre ; elle confirme sans ambiguïté que, à tout moment, s’est conservée une perception aiguë de l’Autre dans son intégrité corporelle[53]. L’essence de la virilité, au fond, ce serait de conserver une maîtrise dans l’excitation ; celle de la féminité, ce pourrait être, au contraire, d’accepter la prise de risque dans cette même excitation : se jeter par la fenêtre, en quelque sorte.

Cependant, pour se jeter par la fenêtre si l’on n’est pas cinglée, il faut avoir une confiance éperdue en la main de l’homme qui vous tiendra dans le vide. C’est justement la maîtrise visible de sa fécondité – évidemment incompatible avec l’intervention d’un tiers – qui rend cette confiance possible : « j’ai l’air tout fou comme ça, mais je sais très bien jusqu’où aller, et tu sais très bien que je le sais. À présent et au contraire de ce qui se proclame un peu partout, montre-moi que ton ventre est à moi – et dis-moi que je l’ai mérité »…


6. Vers un essai de conclusion

Quand, après avoir reçu la présente invitation, je me suis reporté au site des Antigones, j’ai demandé à mon interlocutrice si nous avions vraiment quelque chose à nous dire. À quoi je me suis vu répondre que serait bienvenue toute contribution susceptible de « sortir [les auditeurs] de [leurs] cases » et que ces derniers seraient preneurs « d’arguments autres que le « permis/défendu », qui permettent de prendre de la hauteur, comprendre le pourquoi du comment et juger en toute liberté et intelligence ». C’était plus qu’il n’en fallait pour que je m’investisse avec sincérité dans une réflexion exténuante de par sa complexité, et dont les présentes pages sont finalement sorties[54].

Car comme je l’ai dit en commençant, on ne peut parler publiquement d’un tel sujet si l’on n’a pas l’assurance de rencontrer une écoute au moins indulgente ou, plus précisément : compatissante (au sens étymologique). Je n’ai aucune objection à m’entendre dire « casse-toi, pauv’con » de toute personne – et de toute femme, en particulier – estimant qu’il n’est simplement pas possible à un homme de parler de la sexualité féminine, ou réciproquement. Mais l’écoute que vous m’avez proposée est celle de personnes en recherche, interpelées à ce titre par une recherche réciproque et, autant que possible, désintéressée[55]. Non sans une certaine ironie, une amie qui a eu accès à un brouillon de la présente réflexion m’a répondu qu’il s’agissait d’un « point de vue très masculin » : mais LA justification de cet exposé, c’est justement de refléter un point de vue entièrement masculin… Prend qui veut, non pour s’y conformer ou s’en contenter, mais pour approfondir sa propre réflexion – qu’elle soit celle d’un homme ou d’une femme.

Ma seule prétention dans la présente communication, c’est d’avoir osé mettre des mots sur ce dont on ne parle quasiment jamais, et publiquement encore moins. Mon objectif, ce n’était certainement pas de distiller une vérité : simplement d’ouvrir des portes et de proposer à chacun des mots et des concepts pour aller au bout de son propre questionnement.

À l’exact opposé d’une tendance au machisme démagogique parfaitement illustrée par les récentes réflexions de nos « grands papes »[56] (cf. 5.2.1.3) et qui consiste à esquiver l’essentiel sous le prétexte que les femmes seraient irremplaçables, précieuses, incomparables, pures et à l’image de Dieu ou de la Vierge Marie, etc., le point de vue dont je suis parti, c’est – en gros – que les femmes sont « aussi pires » que les hommes[57] : en violence, en méchanceté, en sexualité turpide, en incompétences amoureuses ou parentales, en quête de pouvoir, en capacité de déshumaniser l’Autre… Et que, ce nonobstant, quelque chose de terriblement magnétique ramenait toujours les hommes vers les femmes et réciproquement. D’où la question qui est celle du présent exposé : on fait quoi avec ça ? L’expérience partagée d’un plaisir construit à deux n’offre-t-elle pas l’occasion unique d’une reconquête triomphante dans un actuel épuré, par la générosité physique d’un Autre, de notre héritage transférentiel le plus mutilant ?

Parce qu’elle est intrinsèquement violente et que son assouvissement impose comme moralement nécessaire l’établissement d’une « relation » entre deux êtres, la pulsion d’accouplement a toujours eu ses ennemis : ceux qui ne pouvaient gérer cette violence de façon tant soit peu civilisée d’une part, ceux qui sont incapables d’établir une relation authentique d’autre part. Parmi les ennemis de la pulsion, il y a eu, traditionnellement, des prêtres, puis des médecins[58] : il convient aujourd’hui d’y inclure les promoteurs du genre, sachant de plus que malgré des apparences trompeuses, le féminisme s’est souvent choisi des porte-parole d’une misogynie qui n’a rien à envier, en férocité, à celle des clercs tétanisés par la puissance tentatrice du corps féminin. C’est la raison pour laquelle, en l’état actuel des positions – dont certaines sont restées inchangées depuis l’Antiquité – je doute que les catholiques (et, notamment, les catholiques intégristes) aient les moyens de faire barrage aux délires des promoteurs du genre : par-delà certains antagonismes, ils ont trop en commun – à commencer par l’horreur de l’ouverture et de la pénétration…

Ce nonobstant et sur la base d’une pratique incluant, outre des incroyants, des catholiques et autres chrétiens, des juifs, des musulmans et même des Témoins de Jéhovah, il me semble qu’il est possible de réfléchir sérieusement à la sexualité d’une façon qui ne soit pas rigidement prédéterminée par des croyances religieuses ou par une idéologie politique – et c’est la voie vers laquelle j’ai essayé de vous entraîner ce soir. À l’instar de Camus soutenant que même si Dieu n’existe pas, il ne s’ensuit pas que tout serait permis, j’ai essayé de vous convaincre que l’on peut faire l’amour par plaisir sans sombrer forcément dans le stupre ou le mépris de l’Autre.

Il ne vous aura pas échappé que je suis resté très discret sur la question de la procréation. Non parce qu’elle indisposerait un père de quatre enfants issu d’une génération où c’était la mode de n’en point faire beaucoup, non parce que je la juge insignifiante, non parce que je n’ai aucune conscience quant aux terribles problèmes posés aujourd’hui par la transmission (et alors même que vous m’avez repéré grâce à un texte que j’ai consacré à l’école) : mais parce que – je m’en suis suffisamment expliqué – je crois que le débat appelle d’abord et avant tout de mieux apercevoir l’espace qui sépare la recherche du plaisir sexuel et l’expérience de la parentalité. Notez-le bien : si la donnée anthropologique fondamentale de la sexuation se voit aujourd’hui gravement menacée par les idiot(e)s utiles du néocapitalisme, qui ne voit qu’en revanche, les promoteurs du genre, comme des adolescentes paumées en quête de reconnaissance, se retrouvent hystériquement sur le mirage d’une procréation coûte que coûte ? Ceux qui tiennent la promotion du genre pour l’expression d’une toute-puissance non liquidée et pour un refus de l’altérité ne sauraient s’en étonner : il est, hélas, bien plus difficile d’affronter un Autre dans l’effrayante irréductibilité de son anatomie et dans l’exaspérante singularité de ses désirs que de cantonner un enfant à une simple extension des petits moi parentaux – il suffit de regarder autour de soi…

Le désir sexuel, c’est d’abord la reconnaissance d’un manque. On ne m’a pas demandé mon avis pour naître dans un corps d’homme, mais cette « condition initiale » – pour parler comme en mathématiques – s’impose à moi bien davantage que je ne m’impose à elle : en particulier, je n’éprouverai jamais une jouissance de femme[59], alors que je peine déjà à l’intuitionner même quand c’est moi qui la provoque chez une Autre. C’est peut-être rageant, mais c’est comme ça… Il suffit d’aller sur les forums consacrés à la chirurgie de réassignation (i.e. de changement de sexe) pour constater qu’en dépit de leur inconcevable obstination, les candidats n’atteignent jamais – ni de près, ni de loin – à la jouissance de l’autre sexe : à la place, ils semblent se satisfaire d’avoir bouleversé l’ordre du monde (notamment en imposant leur point de vue, si suspect ou si dérisoire soit-il)…

Pour que le manque inhérent à la sexuation conduise à une « relation » qui ne soit pas juste la conjonction mécanique de deux anatomies, il faut que se rencontrent deux générosités physiques : l’homme avec sa maîtrise et sa force de pénétration, la femme avec sa folie assumée et la souplesse de son ouverture. Avec, à la fin, la gratitude infinie de s’être senti soi grâce à l’Autre.

Malgré cette fascinante illusion d’extension propre à l’acte sexuel, la rencontre des corps est, elle aussi, une expérience de limitation, ne serait-ce que quand l’homme se laisse entraîner par l’intelligence corporelle parfois prodigieuse de sa partenaire, mais pas nécessairement associée à une intelligence spirituelle en rapport. Gardez-vous de penser qu’une situation aussi atrocement douloureuse (dont vous pouvez trouver témoignage dans le poème de Baudelaire intitulé L’amour du mensonge) serait nécessairement immorale : une femme fondamentalement idiote quoique immensément belle et dotée d’une intuition sexuelle insurpassable peut être parfaitement vertueuse[60]

Par-delà l’ambivalence de toutes ces expériences, il me semble apercevoir dans l’hétérosexualité une dimension épistémique, à savoir, justement, l’irréductible point aveugle de la connaissance que représente la jouissance de l’Autre, qui se concrétise par l’obsédante question, sans cesse renouvelée, des amants fourbus : « ça t’a fait QUOI ? ».

Accepter d’être la cause d’un événement fascinant – le ou les orgasmes de l’Autre, sa jouissance – sans jamais rien y comprendre, c’est tout simplement s’initier au Sacré, c’est-à-dire : admettre et respecter l’inconnaissable pourtant agissant. Et j’en viens à me demander si, chez certains auteurs qui portent (trop) haut l’étendard de leur homosexualité (dont la pertinence pour le débat intellectuel reste à démontrer), la rutilance de la pensée – qui excite tant les hétéros même si elle résiste mal à la critique – ne reflète pas un refus de principe relatif aux limites de la connaissance…

À y regarder de plus près, l’analyse de la sexualité humaine dans son équilibre prodigieusement subtil entre les forces spécifiques et les faiblesses réciproques de chaque sexe ne va pas, je l’avoue, sans évoquer par moments l’hypothèse d’un Grand Horloger : en arriver à Dieu au sortir du lit, voilà qui renouvellerait singulièrement le débat !…


[1] Cf. le commentaire de Lasch (Les femmes et la vie ordinaire, Climats, 2006 : p. 173) sur l’expérience « terne et évasive » de Kohlberg qui est pourtant la référence « scientifique » quasi exclusive du livre de Gilligan sur le « care ». Cf. aussi l’admiration béate de l’historienne Knibiehler pour l’œuvre « scientifique » de Beauvoir (Histoire des mères et de la maternité en Occident, Que sais-je ? 2000 : p. 110) ou d’Héritier (Qui gardera les enfants ? Calmann-Lévy, 2007 : p. 217 et passim).

[2] Je juge à cet égard comme éminemment significatif que la seule fois où il m’ait été donné d’exprimer en public mes doutes sur la pertinence des vues développées par Héritier, je me sois vu sèchement opposer (par quelqu’un que l’on m’a décrit comme l’une de ses assistantes au Collège de France) que je n’avais pas « lu autant » que l’éminente anthropologue. C’est parfaitement vrai, et d’autant plus que je n’ai jamais sérieusement imaginé trouver dans des livres les réponses aux questions que je posais sur la sexuation et la sexualité… Cette arrogance livresque va de pair avec une propension également très frappante des intéressées à soutenir, sur tel ou tel sujet, que tel ou tel phénomène ne se rencontre dans « aucune » société ou, qu’à l’inverse, il ne souffre « aucune » exception : alors que les anthropologues n’ont aucune réticence à monter en épingle tel ou tel comportement observé chez une tribu de 30 personnes perdue au fin fond de l’Amazonie, il faut une singulière inconscience pour s’imaginer avoir fait l’inventaire de toutes les sociétés du monde tout au cours de l’histoire. Semblable propension à l’extrapolation (surtout quand on a la moindre idée des comportements de dissimulation dans les sociétés visitées par les anthropologues ou les ethnologues) renvoie à un problème de méthode et affaiblit d’autant les prétentions « scientifiques » de ceux et celles qui s’y adonnent.

[3] Les débats actuels sur la prétendue inexistence – « scientifiquement prouvée ! » (L’Obs, 13/10/2014) – de l’orgasme vaginal illustre surtout la difficulté à passer l’expérience de l’intime à la moulinette de la « méthode »…

[4] X. Gauthier, Libération 31/01/2002.

[5] J’appelle « sexuation » le fait que les êtres humains se répartissent anatomiquement (sauf malformation) entre mâles et femelles. Cette sexuation se décline ensuite selon deux axes distincts, qui se coupent, mais ne se superposent pas : la procréation d’une part (faire des enfants), la sexualité d’autre part (s’accoupler). On remarque en passant qu’avec l’aide intéressée du complexe médico-pharmaceutique, les promoteurs du genre s’attachent à empêcher cette intersection jusqu’alors obligée entre les deux axes.

[6] Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, 1847.

[7] Lasch Ch, Les femmes et la vie ordinaire, op. cit., p. 217.

[8] Je ne veux pas dire par là qu’à lui seul, le témoignage d’une aïeule soit le dernier mot : notamment chez les féministes radicales, il est des familles où la haine de l’homme passe de mère en fille. Le soupçon porte plutôt sur la crédibilité des enquêtes « scientifiques » dès lors, justement, qu’elles portent sur l’intime, a fortiori sur des cultures fort éloignées et qu’elles sont menées par des personnes dont l’incapacité d’écouter autrui saute aux yeux à la première conversation, même banale…

[9] Aldous Huxley, Nouvelle préface pour Le meilleur des mondes, 1946.

[10] L. Boltanski, E. Chiapello. Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.

[11] H. Leridon. Deux siècles de régulation des naissances. In La seconde révolution contraceptive (H. Leridon et coll, éd.), INED-PUF 1987 : p. 16.

[12] H. Leridon. L’avortement avant et après 1975. In La seconde révolution contraceptive (H. Leridon et coll, éd.), INED-PUF 1987 : pp. 249-266. J’ai personnellement contacté l’auteur, éminent démographe, pour m’assurer que j’avais bien compris la portée de son travail.

[13] M. Girard. La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne. Édité par l’auteur, 2013.

[14] La réciprocité dans le plaisir (telle que rendue possible, par exemple, par une masturbation mutuelle), ne me paraît pas, à elle seule, un indicateur d’érotisme.

[15] À propos d’évolutions réglementaires assez attentatoires à la santé publique (procédure accélérées d’autorisation de mise sur le marché), j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer les liens qui unissent à Big Pharma certains lobbies homosexuels parmi les plus activistes.

[16] Y. Knibiehler, Qui gardera (…), p. 17. Sans en tirer la moindre conséquence sur un plan philosophique, politique ou psychologique, l’historienne admet que son cursus universitaire de professeur agrégée s’est soldé par « un sentiment abusif de supériorité » relativement à ses parents (p. 53). On doit craindre que les féministes militantes n’aient, comme elle, que trop péché par ce « sentiment abusif »… À cet aveu, il est intéressant d’opposer la confidence antagoniste (et probablement biographique également) du psychanalyste A. Mitscherlich concernant l’apprentissage du « respect » entre un père « mécanicien automobile » et un fils « dont la passion est d’avaler des livres », dans son livre prophétique intitulé Vers la société sans pères (Gallimard, 1963 : p. 149-50).

[17] M. Segalen, Mari et femme dans la société paysanne, Flammarion, 1980.

[18] Ch. Lasch relève qu’au XIXème siècle, « les femmes des classes inférieures », loin de voir les féministes comme des alliées travaillant à une amélioration effective de leur condition, tenaient plutôt ces dernières comme des ennemies de classe (Les femmes…, op. cit., pp. 228 et suiv.). Rien n’indique que la situation ait changé aujourd’hui (il peut être utile, à ce sujet, de rappeler qu’en France, jusque dans les années 1970, la principale instance laïque de résistance à la pilule et à l’avortement a été le Parti Communiste).

[19] Manière de voir, août-sept. 2014, p. 54.

[20] On retrouve cette dissymétrie de conscientisation avec d’autres marottes féministes telles que la parité : la préoccupante surreprésentation des femmes dans l’enseignement, par exemple, ne semble guère motiver les militantes. Idem pour la propension écrasante des juges à confier les enfants à la mère après séparation des parents… Certes, on en parle un peu : mais ça n’a pas l’air de gêner grand-monde.

[21] Les contes de Grimm – Lecture psychanalytique, Imago (2e édition), 1999.

[22] Quelques décennies plus tard, la comtesse de Ségur offre, presque à chaque page de ses romans « pour enfants », un état stupéfiant de la violence parentale. On peut en tirer toutes les « interprétations » pseudo-psychanalytiques qu’on veut, il reste que cette violence est le fait presque exclusif des mères et que, quelles qu’en soient ses origines culturelles présumées (l’éducation slave…), elle ne semble guère avoir choqué ses lecteurs contemporains, fussent-ils bien de chez nous. Plus méconnue que les sévices physiques, il convient d’y ajouter la brutalité psychologique exercée par les contre-modèles des marâtres, à savoir ces vertueuses châtelaines qui n’ont d’autre issue à offrir aux enfants qu’une soumission aussi démente qu’absolue à leurs desiderata (c’est pour ton bien…). Qu’elles pratiquent ainsi la torture impulsive ou le décervelage obsessionnel, il est frappant, en tout cas, que toutes ces figures maternelles, bien que littérairement conçues comme repoussoirs les unes des autres, se rejoignent dans une conscience inébranlable tant de leur impunité que de leur honorabilité (l’abominable Madame Fichini, en particulier, qui ne sait passer à côté de Sophie sans la cogner, ne craint pas de promouvoir ses principes éducatifs sans que son assertivité criminelle, d’ailleurs dépourvue du moindre cynisme qui eût accrédité une forme de second degré, ne suscite jamais la moindre contradiction tant soit peu motivée). Cela n’est pas forcément sans rapport avec notre sujet que de ce terreau de bonne conscience sur-sadique soit directement sorti un ecclésiastique aussi réactionnaire qu’éminent, Louis-Gaston de Ségur, fils de la romancière : et si la bonne conscience maternelle était notre expérience première du « droit divin » ?…

[23] C. Castoriadis, Une société à la dérive, Seuil 2005, pp. 156-7.

[24] Ch. Lasch, Les femmes (…), op. cit., p. 182

[25] Il semble également que de nombreux hommes soient facilement indisposés dès qu’une femme « mouille » de façon tant soit peu généreuse lors de l’acte sexuel.

[26] Comme je l’ai souligné dans mon dernier livre, je me garderai d’identifier grossesse « imprévue » et grossesse « indésirable ».

[27] Cela me semble répondre à une question qui m’a été posée. Je ne soutiens pas que les femmes n’aient pas leur propres limitations plus ou moins « naturelles » ; mais j’insinue que la médicalisation leur ouvre une alternative, dont le coût, en termes « d’émancipation » – et même de dignité – est bien plus lourd que celle de la Nature, voire de la culture pré-genre…

[28] Constat d’ordre au moins statistique, mais qui se complique d’un autre constat, lui aussi statistique : les femmes semblent plus soumises que les hommes aux fluctuations de leurs hormones sexuelles (syndrome prémenstruel, dépression post-puerpérale,…).

[29] Dans sa démagogie contemporaine, la pénalisation – sous prétexte « d’homophobie » – de cette incompressible horreur masculine pour la pénétration de ses semblables ne compte pas pour rien dans l’exacerbation d’un sentiment de culpabilité qui laisse les hommes littéralement sans voix devant les pires excès du féminisme. Je n’ai pas fait de sondage, mais il y a probablement plus d’hommes qui ont fait l’effort de se réconcilier avec l’image de la pénétration « à contre-courant » par amitié pour leurs amis homosexuels que d’hommes qui se sont authentiquement réconciliés avec le perçu de leur propre sauvagerie pulsionnelle à l’endroit des femmes : il y a donc plus caractérisé comme manifestation « d’homophobie »…

[30] C’est probablement dans ce dilemme que s’enracine l’inépuisable culpabilité masculine (rapidement évoquée par B. Levet [La théorie du genre ou le monde rêvé des anges, Grasset, 2014 : p. 150]). Beaucoup « d’amours » impossibles ou invraisemblables ne sont que des formations réactionnelles contre la culpabilité viscérale de l’homme à l’égard de sa partenaire : en prétendant l’aimer, il se rachète de l’avoir pénétrée avec une voracité dont il peine à se représenter la réciproque.

[31] M. Oraison. Une morale pour notre temps. Fayard, 1964 : p. 131.

[32] Faute d’en avoir une connaissance suffisante, je m’abstiendrai de parler des autres religions, et même du protestantisme.

[33] Noonan JT, Contraception – A history of its treatment by the Catholic theologians and canonists, The New America Library, 1967.

[34] Il faudrait également tenir compte de l’influence stoïcienne sur la morale chrétienne : or, on ne peut pas dire que le stoïcisme ait particulièrement brillé par l’originalité ou la force de sa doctrine en matière de sexualité (Marc Aurèle) ou d’amour humain…

[35] Il est même à craindre que la crise des vocations n’ait conduit les autorités de l’Église se montrer, à l’endroit des motivations troubles, moins regardantes qu’elles ne l’avaient été dans les années 1950-60.

[36] P. L’Hermite-Leclerq. L’Église et les femmes dans l’Occident chrétien des origines à la fin du Moyen Âge. Brepols, 1997.

[37] AM. Pelletier, La Vie, 19/06/14.

[38] AM. Pelletier. Le christianisme et les femmes. Cerf, 2001.

[39] « Cela correspond en même temps à la structure psycho-physique de la femme » proclame sans complexe la lettre apostolique d’août 1988 : on se croirait dans les délires positivistes des encyclopédies médicales publiées au XIXème siècle.

[40] Idem pour son oscillation non moins opportuniste entre les textes canoniques d’une part, la « tradition » d’autre part.

[41] Ainsi de F. Héritier qui, dans une interview sidérante, ne craint pas de mettre en avant l’exemple – qui s’impose évidemment à tout esprit raisonnable… – des gnous (j’ai bien dit : des gnous) pour contester la réalité d’un dimorphisme sexuel pourtant évoqué dans les documents disponibles sur ces espèces, et sans aucune considération pour le fait que si elle-même était chasseuse de gnous au lieu d’être rémunérée par l’État français (voire si elle était elle-même un gnou), elle reconnaîtrait probablement au premier coup d’œil ce qui distingue les mâles des femelles, et réciproquement. L’anthropologie qui consiste à se décentrer pour essayer de se mettre à la place des autres et à comprendre le plus intrinsèquement possible comment fonctionne le monde, ça n’a plus l’air d’être trop la mode chez les promotrices du genre, fussent-elles professeurs au Collège de France…

[42] Les mystères du confessionnal – Manuel secret des confesseurs. Filipacchi, 1974.

[43] N. Valentini, C. Di Meglio. Le sexe au confessionnal. Flammarion, 1973.

[44] Un jour d’embouteillages, j’avais entendu par hasard sur Radio Notre-Dame une méditation masculine consacrée à « l’amour ». Je cite de mémoire, mais la thématique était en gros la suivante : « l’amour, c’est l’amour parce que c’est l’amour, donc c’est l’amour ». Alors que je ricanais bêtement, j’eus la surprise de découvrir, à la fin, que l’auteur de cette méditation en boucle n’était autre que feu Mgr Lustiger, alors archevêque de Paris.

[45] Je n’ai ni le projet, ni la compétence pour me lancer dans une exégèse des nombreux écrits de l’Église portant sur la sexualité, et j’anticipe sans peine qu’il se trouvera de bons apôtres pour exciper de quelques lignes décontextualisées, sorties d’on ne sait où, supposées démontrer que je n’ai rien compris. D’un point de vue de simple logique, cependant, il me semble qu’une certaine force probante émane forcément d’une critique montrant qu’un texte pontifical unanimement présenté comme révolutionnaire n’a rien modifié de fondamental (sauf à se laisser berner par des allégations vides de sens).

[46] J’ai toujours été frappé par l’intensité, probablement réactionnelle, de l’animosité que suscitaient, dans les paroisses, les divorcés ou les prêtres défroqués. Par-delà les reformulations opportunistes, j’ignore si la situation a fondamentalement changé.

[47] À dire vrai et en temps réel, le catholicisme a-t-il jamais permis au plus grand nombre de se dresser contre les tyrans du moment ?…

[48] La brutalisation (…), op. cit.

[49] On notera que s’introduisant ainsi par la porte de la procréation, la médicalisation – malgré sa prétention – n’a certainement pas contribué à la clarification de la spécificité humaine à l’endroit de la sexuation.

[50] Lasch (Les femmes…, op. cit.) rappelle que les mouvements féministes ont toujours eu une « confiance sans bornes » dans l’expertise (p. 230) et qu’elles ont puissamment contribué à l’avènement du pouvoir médical contemporain, malgré même le mépris et la condescendance non dissimulés des professionnels de santé à l’endroit des savoirs et pouvoirs féminins (p. 232-3) : de telle sorte qu’elle n’ont échappé au patriarcat « que pour tomber dans une nouvelle forme de dépendance ». C’est exactement la thèse développée dès la quatrième de couverture de mon livre déjà cité (La brutalisation du corps féminin…), dont la pertinence a été encore confirmée par l’absolu dédain où l’on tenu les féministes depuis sa publication.

[51] L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Flammarion 2010 : p. 175.

[52] Concession d’autant plus infâmante au pouvoir médical que la consultation de prescription, malgré son rituel infantilisant et humiliant, est notoirement dépourvue du moindre bénéfice en terme sanitaire, au point qu’il a été plusieurs fois envisagé que les contraceptifs oraux soient disponibles en vente libre…

[53] C’est un indicateur impressionnant de la superficialité qui préside, encore aujourd’hui, aux représentations sexuelles, que la presque totalité des contemporains identifient « éjaculation » et « jouissance masculine ». Si c’était vrai, l’homme partirait avec un sacré handicap par rapport à la femme, avec sa multi-orgasmie quasi inépuisable…

[54] Diverses considérations du présent exposé ont été reprises plus ou moins à l’identique de contributions antérieures. L’effort, ici, a consisté à rechercher le fil conducteur qui permettrait de les regrouper en un ensemble raisonnablement cohérent.

[55] J’ai, à l’inverse, de multiples expériences d’invitations annulées au dernier moment, quand mes hôtes ont conscientisé que mon propos n’irait pas forcément dans le sens de leurs idées…

[56] Mais également de tous les panurgiens opportunément dispensés, par la doxa féministe, d’affronter la violence entre les sexes, au premier rang desquels les promoteurs de « la parité ». De ceux qui l’ont connue dans ses œuvres apparemment catastrophiques, « la femme qui dit non » aurait surtout été la femme à laquelle personne n’osait dire non, précisément parce que c’était une femme. On n’aurait pas de mal à trouver d’autres exemples…

[57] Du dernier chapitre de son livre déjà cité (Les femmes et la vie ordinaire), je comprends que telle était aussi la position de Ch. Lasch.

[58] L’un de mes premiers textes publiés était justement consacré à la difficulté, pour un médecin, d’établir une « relation » avec des patients (M. Girard. Technical expertise as an ethical form. Towards an ethics of distance. J Med Ethics 1988;14:25-30).

[59] La simple expérience du préservatif offre une illustration de ce qui peut distinguer le plaisir féminin du plaisir masculin.

[60] L’inégalité d’intelligence dans un couple ne joue pas systématiquement en faveur de l’homme, évidemment. Mais (sans qu’il soit possible d’établir une loi statistique à ce sujet), il semble que, confrontée à la bêtise ou à la vulgarité d’un partenaire qui lui convient sexuellement, la femme ait une capacité de déni qui dépasse souvent celle de l’homme confronté au même type de situation.

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