Le présent article est la transcription de la chronique d’Anne Trewby et Iseul Turan pour le Café des Antigones en avril 2019 que vous pouvez retrouver en version audio ici ou ici
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Ce 21 avril, nous avons fêté l’anniversaire du droit de vote des femmes. Mythe fondateur de notre République comme de la pensée féministe, l’évènement met tout le monde d’accord. A l’examen, l’accession des femmes au vote s’avère pourtant n’être qu’une victoire à la Pyrrhus, un cache-sexe de la mort du politique.
Hommes, femmes et enfants participent à la sphère publique comme à la sphère privée au même titre non pas en vertu de leur sexe mais de leur humanité. En tant que membres d’un peuple, ils participent à une unité politique, que celle-ci soit basée sur une appartenance historique, géographique et/ou ethnique. Tous les membres d’un peuple ne disposent pas pour autant des mêmes modalités d’expression dans la sphère publique ; ces modalités étant définies par des systèmes politiques et juridiques qui diffèrent selon les lieux et les époques.
La modalité d’expression du politique des Modernes, c’est le citoyen. La citoyenneté a en effet durant les deux derniers siècles progressivement pris le pas sur tout autre mode d’expression du politique. A l’origine de cette prééminence, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, toute droit sortie des entrailles de l’esprit des Lumières et de ses philosophes adorateurs de la Raison et du Progrès. Ce fameux document instaure une confusion entre privé et public – et donc entre l’homme en et le citoyen – en associant sphère politique et espace public. Elle met par conséquent sur le même plan les droits qui régentent l’un et l’autre. Des droits privés comme la propriété et des droits publics comme la résistance à l’oppression prennent une valeur équivalente.
A la suite de cette première confusion, les non-citoyens – parmi lesquels les femmes, ont été dans le courant du XIXe siècle privés non seulement de toute expression institutionnelle, mais surtout de toute expression publique en général. Le Code civil empêche ainsi les femmes de commercer, d’exercer un droit de propriété ou encore une autorité parentale, de transmettre leur nationalité… Bref elles se retrouvent privées de toute responsabilité quelconque dans la société civile et parquées dans l’espace privé désormais étroitement compris comme étant la maison – non pas le foyer ou l’oikos des anciens, mais simplement le lieu de vie de la famille.
Toutes ces prérogatives (gestion de patrimoine, de chaires d’enseignement, d’hôpitaux ou d’abbayes…), les femmes en jouissaient pourtant dès le Moyen-âge et encore largement dans certaines régions sous l’Ancien Régime. Alors que le droit de vote du citoyen aurait pu rester à l’image du vote médiéval un vote collectif et familial, il devient dans le courant du XIXe siècle un mode d’expression individuel. Autant il était possible d’exclure les femmes ou d’autres catégories sociales du vote ou plus généralement de certains modes d’expression institutionnels tant que ces personnes conservaient la possibilité d’une expression politique quelconque ; autant le droit de vote des femmes en 1945 était devenu une nécessité politique et sociale bien au-delà des groupes féministes qui se sont approprié la question. Bien sûr, les suffragettes ont contribué à l’obtention de ce droit pour les femmes, il ne s’agit pas ici de nier l’évidence ; mais il est important de souligner qu’elles n’ont donné leurs coups de bélier que dans un mur qui était voué à s’écrouler.
Ce que nous voulons, nous, souligner, c’est que de se gargariser de cette pseudo-victoire, les féministes en oublient trop souvent l’essentiel : les femmes – et à leurs côté les hommes, ont-ils aujourd’hui la possibilité de réellement s’exprimer dans la sphère publique et politique ? Rien n’est moins sûr. A l’heure du vote pour tous et des « droits à » en pagaille, qui peut se prévaloir d’avoir un mot à dire sur les infrastructures publiques qui seront construites dans son village, sa ville ou sa région ? Les citoyens fièrement armés de leur sacro-saint droit de vote n’ont plus aucune prise sur les décisions de leur quotidien. Et ça, ni le grand débat national, ni le référendum d’initiative populaire, ni les pétitions qui se succèdent sur internet n’y changeront rien.