Simone Weil, philosophe de l’enracinement

Merci à Guillaume, soutien des Antigones, pour cette belle biographie de la philosophe Simone Weil et la présentation de ses écrits sur la question de l’enracinement. 

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Née à Paris en 1909 et décédée à Londres en 1943, Simone Weil est une philosophe française du XXe siècle disciple du philosophe Alain et proche de la mouvance dite des Non-conformistes des années 1930. Issue d’une famille juive alsacienne agnostique, elle fût proche de personnalités éminentes de la philosophie française de l’entre-deux-guerres, telles que Jacques Maritain.

Femme au parcours insolite, Simone Weil reste plus que jamais attachée au principe de justice sociale et commence à militer au sein des mouvements de gauche prolétarienne athée. Le sentiment religieux de Simone Weil naît lors d’un premier voyage au Portugal en 1935, lorsqu’elle entend chanter les cantiques. Elle finit par épouser le christianisme au cours d’un second voyage à Assise en Italie en 1937, au cours duquel elle est subjuguée par la contemplation d’une chapelle romane où venait se recueillir le mystique Saint François. Néanmoins, son parcours spirituel ne l’a jamais amenée à la conversion. Elle considérait l’Église comme une institution temporelle qui a trahi et travesti la révélation chrétienne.

Amoureuse inconditionnelle de la culture grecque et du christianisme, on doit à Simone Weil une série de traduction de passages d’Héraclite, Homère, Sophocle ou encore Platon, qu’elle affectionnait particulièrement. Ce double héritage la mena à la conclusion d’une filiation entre hellénisme et christianisme. L’hellénisme commence selon Simone Weil avec l’Iliade et s’achève avec le Nouveau Testament. Les Grecs, traumatisés par la destruction de Troie et par la démesure de la violence qui l’accompagna, créèrent la tragédie afin de témoigner de la souffrance et du regret qu’ils éprouvèrent suite à la destruction de la cité d’Ilion. Cet intérêt pour la souffrance et la condition humaine sur terre fût à l’origine du message chrétien, que Simone Weil conçoit comme le parachèvement de l’hellénisme. Intuitions pré-chrétiennes et La Source grecque, parus après sa mort au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, témoignent de la filiation entre Hellénisme et Christianisme chère à Simone Weil.

Le substrat helléno-chrétien de la pensée de Simone Weil s’oppose au judaïsme de la Torah, caractérisé par le dieu jaloux d’Israël, Yahvé, qui ordonne à son peuple un nombre considérable de massacres, de sacrifices et d’holocaustes. Certains épisodes de l’Ancien Testament à caractère universel, retiennent cependant l’attention de Simone Weil, notamment la Genèse et l’alliance de Dieu avec l’humanité par l’intermédiaire d’Adam puis de Noé. L’alliance abrahamique des Israélites avec Yahvé marque la fin de la véritable alliance de l’humanité avec le vrai Dieu universel et créateur.

Elle s’engage dans les rangs anarchistes du P.O.U.M (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) au sein de la colonne Durruti (du nom du militant anarchiste catalan Buenaventura Durruti). Elle ressort déçue de son expérience anarchiste, ce dont elle témoigne dans une correspondance avec l’écrivain monarchiste et antidreyfusard français Georges Bernanos. Elle décrit les exactions commises par les militants anarchistes du P.O.U.M et en vient à reconsidérer le bien-fondé de son engagement révolutionnaire.

Éprise de patriotisme, Simone Weil s’engage dans la France libre après la défaite de 1940 et rejoint de Gaulle à Londres, où elle entreprend la rédaction de son ouvrage intitulé L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain.

 

L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Simone Weil.

N’ayant pas pu achever complètement l’écriture de cet opus de son vivant, c’est à partir des brouillons que Simone Weil avait rédigés lorsqu’elle était hospitalisée à Londres en 1942 que son essai philosophique L’Enracinement a été composé.

Dans le contexte particulier de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation de la France, Simone Weil entreprend d’énumérer les différents besoins de l’âme humaine. Comme le corps, l’âme a besoin de “nourriture”, qui permette d’élever l’esprit de la personne humaine. Ce besoin de sustentation spirituelle passe immanquablement par la participation de l’individu à l’existence de sa collectivité. L’individu ne peut exister et se projeter en tant que personne que par son appartenance à une communauté de destin.

Éminemment patriote, Simone Weil conçoit le déracinement comme la cause première de la défaite de la France et de la politique d’expansion agressive de l’Allemagne nationale-socialiste. Les Allemands, déracinés, entreprirent selon elle une politique belliciste d’expansion après avoir subi l’humiliation de la défaite de 1918 et du Traité de Versailles (1919) afin de recouvrer leur grandeur passée, comme les Français déracinés de la période post-révolutionnaire entreprirent de le faire avec Napoléon, ainsi que les Romains, rescapés de Troie, et les premiers Hébreux fuyant l’Égypte. Simone Weil postule que le déracinement des Européens procède de la révolution industrielle, émanant de la philosophie des Lumières. L’homme européen, par le biais du progrès technique, a commis le péché prométhéen de déraciner les autres peuples d’Afrique, d’Asie et d’Océanie en étant convaincus du bien fondé du progrès sans frein, entreprenant ainsi les conquêtes coloniales du XIXe siècle.

Simone Weil énumère une série de besoins élémentaires de l’âme humaine, parmi lesquels figurent entre autres le besoin d’obéir, le besoin de vérité, le besoin de travailler, le besoin de propriété privée et le besoin de justice. Elle envisage ces besoins comme les fondements qui devront régir la société et l’État français après la libération et la victoire. Cette note sur les besoins élémentaires de l’âme humaine constituent une alternative à la Déclaration des Droits de l’Homme, qui ne prend en considération que les droits individuels sans jamais interroger la nécessité d’une prise en compte des besoins de l’esprit humain, tant sur le plan individuel que collectif.

Guillaume, indéfectible soutien des Antigones

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