Une tribune d’Anne Trewby et Iseul Turan parue sur le site internet de Valeurs Actuelles le 29 avril 2019, à retrouver ici.
Les coups de gueule des uns, les propositions des autres et les projets du gouvernement suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris sont révélateurs de l’état de dislocation de la communauté nationale : attraction touristique pour les uns, œuvre de musée pour les autres, lieu de prière… Notre-Dame a autant de visages que nos concitoyens de visions du monde.
Le point commun de toutes les prises de positions sur le sujet, aussi variées et contradictoires soient-elles, c’est la projection dont fait l’objet l’édifice. Sous le coup de l’émotion, chacun plaque sur l’évènement sa propre vision du monde. Sauf que dans une société dans laquelle nous n’avons plus rien d’autre de commun que notre humanité, ces visions du monde s’opposent et se contredisent avec la même profondeur que se creuse le fossé entre les différents groupes qui composent notre soi-disant unité nationale.
Le gouvernement et les élites ne voient dans l’édifice qu’un rouage du succès touristique, et donc économique, de la capitale. En témoigne le Projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, présenté en Conseil des ministres ce mercredi, qui laisse toute latitude au gouvernement de se soustraire aux règlements en vigueur quant aux restaurations de monuments historiques à coups d’ordonnances.
Fleuron de l’art médiéval, témoignage des ouvriers d’antan… les érudits voudraient quant à eux figer la cathédrale dans le temps pour qu’elle reste le musée de l’Occident qu’elle était progressivement devenue avec le recul de la pratique religieuse. Ils ont au moins le mérite de chercher à protéger l’édifice des fantasmes des artistes contemporains et des défenseurs du Progrès. Pourtant, ça ne suffit pas : conserver c’est bien, mais pour perdurer il faut aussi transmettre.
D’autres, enfin, voient dans Notre-Dame une unité, une mémoire, un lieu de transmission. Ils ont raison ; les églises ont été longtemps le cœur battant du pays. Ce n’est pas que ses racines que la France a de chrétiennes, c’est aussi sa géographie, son urbanisme et son organisation quotidienne. Ces repères que le Catholicisme a construits, il les a enracinés dans la mémoire et la vie des peuples européens qui l’avaient adopté. Quelques-uns ont par ailleurs osé rappeler que Notre-Dame était une église, le « lieu de rassemblement des Chrétiens ». Mais ce qu’on oublie de dire, la raison pour laquelle les Catholiques s’y rassemblaient, la vocation première de l’édifice, c’est d’être la maison de Dieu, le lieu de la Présence Réelle.
Notre-Dame, c’est le lieu du sacré, l’âme d’un pays qu’on appelait jusque encore récemment « fille aînée de l’Eglise ». Mircea Eliade le rappelle : toutes les sociétés se structurent dans un rapport au sacré. L’opposition entre sacré et profane, c’est pour lui ce qui permet de mettre de l’ordre dans le chaos. C’est ce rapport au sacré qui donne son sens au monde qui nous entoure et qui fait l’unité d’une communauté. Notre identité et notre appartenance nationale se construisent ainsi nécessairement en fonction de cette donnée historique, culturelle et spirituelle qu’est le Christianisme ; et de même que le Christianisme s’est construit dans la continuité avec les paganismes des premiers habitants du pays, l’avenir ne peut se penser que dans la continuité de cet héritage. Sans cela, Notre-Dame ne sera qu’un tas de vieilles pierres que nous aurons à transmettre aux générations à venir.
La condition sine qua non d’une transmission authentique, c’est un monde structuré par des repères clairs et partagés, et ces repères se fondent nécessairement sur le rapport partagé d’une communauté au sacré, quelles que soient les façons particulières des uns et des autres de vivre ce rapport. Pour obéir avec Antigone d’abord aux lois des dieux, il faut bien remettre ceux-ci à leur place au centre de notre civilisation. Pour espérer vivre dans une cité juste, il faut redonner leur place aux lois naturelles. Pour redonner leur dignité aux hommes et aux femmes, il faut reconnaître leurs différences autant que leur humanité partagée. De même, pour redonner sa place à Notre-Dame, plus qu’une reconstruction, c’est une reconquête de notre identité culturelle et religieuse qu’il nous faut mener.
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