Une tribune d’Anne Trewby et Iseul Turan parue sur le site internet de Valeurs Actuelles paru le 5 juillet 2019, à retrouver ici.
Le 2 juillet, la « loi anti-fessée » a été définitivement adoptée. Les réactions se focalisent assez logiquement sur les pratiques éducatives épinglées par le texte. L’enjeu central de ce dernier n’est pourtant pas une question de choix éducatif, mais de rapport des parents à l’Etat.
La loi évoque dans son préambule les « violences éducatives ordinaires », sans mettre en cause explicitement telle ou telle pratique, malgré quelques exemples égrenés çà et là dans son introduction. Le texte prévoit tout simplement l’inscription au code civil du principe selon lequel « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ».
Le texte entretien d’ailleurs le flou sur la nature des violences visées, avec des chiffres génériques empruntés au travail de la Fondation pour l’enfance. Selon celle-ci, plus de 85% des Français auraient recours à des pratiques éducatives violentes et plus de 50% d’entre eux auraient frappé leur enfant avant l’âge de deux ans. De quoi parle-t-on exactement ? Nous n’entrerons pas ici dans le débat, bien légitime, de l’usage de la contrainte physique dans le cadre éducatif au-delà de la question de la violence et des maltraitances.
Rappelons d’ailleurs que nous disposons déjà d’un arsenal législatif visant à mettre fin aux comportements parentaux qui relèvent de la maltraitance, les articles 222 et suivant du Code Pénal ne demandent qu’à être sévèrement appliqués, avec des peines allant de la prison au retrait de l’autorité parentale. Les témoignages choc dont ont abusé les défenseurs de la « loi anti-fessés » relèvent du domaine de la maltraitance, pas de l’éducation.
Mais alors pourquoi une nouvelle loi s’il suffisait d’appliquer les anciennes et de vérifier les modalités d’exécution ? Tout simplement pour redéfinir les contours de la relation parent – enfant. Le texte s’inscrit ainsi par glissement légal dans la volonté moderne de détruire la « famille », considérée depuis 68 comme le lieu de dominations injustes, des parents sur les enfants, des hommes sur les femmes. Elle est emblématique de la profonde crise de confiance de notre époque envers l’institution familiale.
Les relations parent – enfant étaient traditionnellement régies par le principe de l’autorité parentale, soit un ensemble de devoirs des ascendants à l’égard de leur progéniture, comprenant soins, sécurité et éducation. Ceux-ci sont déjà légalement définis dans le Code Pénal et le Code Civil. Cette autorité est à la fois une source de responsabilité et la marque de la confiance présumée entre membres d’une société libre.
C’est tout le problème de ce texte : désormais manquera la confiance. Les parents y deviennent a priori suspects. Cette loi insulte le « bon père de famille » en le soupçonnant des pires infamies. Or, ce soupçon qu’on instille envers l’exercice de l’autorité ne peut que conduire à une plus grande déresponsabilisation de parents que la société pousse déjà par ailleurs à se comporter dans tous les autres domaines de la vie comme de grands adolescents. Hannah Arendt avait analysé la disparition de l’autorité en politique ; la disparition de l’autorité parentale n’en n’est finalement que le corolaire évident.
Rendons à César ce qui est à César. L’Etat se doit de protéger les enfants victimes de violence, et de punir les parents abusant de leur autorité. C’est une responsabilité qui relève de la Justice. Le débat sur les pratiques éducatives, aussi essentiel soit-il – la marque d’une société saine est autant sa capacité à transmettre que le discernement qu’elle est capable d’exercer vis-à-vis de ce qu’elle reçoit en héritage –relève du débat politique et intellectuel général, pas de l’autorité du législateur.
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