Le présent article est la transcription de la chronique d’Anne Trewby et Iseul Turan pour le Café des Antigones en avril 2018 que vous pouvez retrouver en version audio ici ou ici
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La famille est désormais attaquée autant sur le plan anthropologique qu’économique et social. Elle est pourtant une cellule pré-politique nécessaire à la construction de la société. Lieu de la transmission de la vie et des premières interactions, elle prépare l’établissement du politique en faisant de l’homme un « animal social ». Critique à multiples reprises de ces attaques, Antigones, mesure le poids de leurs conséquences politiques et sociales.
Lieu de l’acquisition de l’autonomie, la famille n’est pas pour autant nécessairement source de bonheur et d’émancipation. La famille est une donnée du réel, tout simplement. C’est une donnée naturelle, qu’on ne choisit pas. Egalement fait social, elle est soumise aux lois. Or, force est de constater que les dernières lois qui portent sur la famille ou l’impactent sont lourdes de conséquences sur le corps social et politique. Au-delà des évidentes pénalités financières qui se multiplient à l’égard des familles, c’est une crise de confiance qu’entretiennent ces nouvelles mesures.
Les attaques administratives et fiscales portées à la famille sont source de division des sexes. La volonté récurrente de faire disparaitre de la notion de foyer fiscal vise à l’élimination de la possibilité de la communauté de biens. Or, ce régime a un sens dans le mariage ; il est la conséquence de la communauté humaine que sont censés former les époux. L’individualisation de l’impôt, à contrario, met en concurrence les membres du couple. Au lieu de considérer son époux ou son épouse comme un soutien, chacun cherche à se prémunir contre son éventuelle trahison. Dans la ligne de cette crise de confiance, la loi dite du « Mariage pour Tous » a fait disparaître la présomption de paternité. Elle était pourtant la marque de la confiance de l’homme dans son épouse, et une garantie pour la mère de sa sécurité comme de celle de l’enfant.
Les attaques portées à la famille favorisent l’éloignement des générations. La transmission du patrimoine physique et matériel rendue de plus en plus difficile libère chacun des responsabilités traditionnelles des uns vis-à-vis des autres ; les ascendants de constituer un patrimoine, et les descendants d’entretenir celui qui leur a été transmis. Chacun est désormais libre s’adonner à son intérêt égoïste bien compris, isolé dans une société capitaliste déracinée. Plus grave encore est la difficulté croissante pour les familles de transmettre un patrimoine symbolique. Les attaques récentes contre les écoles hors contrat comme l’obligation d’instruction dès 3 ans annoncée par M.Macron relèvent de ces tentatives d’arracher l’enfant à ses déterminismes culturels et familiaux. Ce n’est pas aux parents de gérer l’éducation de leurs enfants, c’est à l’Etat.
Le dernier coup porté à la famille, c’est la disparition de l’autorité parentale. Elle est pourtant la première source de responsabilité et la marque de la confiance présumée entre membres d’une société libre. Au-delà des choix de chacun, les polémiques sur la fessée traduisent une défiance croissante envers les parents, considérés comme potentiellement violents et inconstants. Rappelons que si les violences sur les enfants sont un fait extrêmement grave, elle restent un cas limite et non une généralité. Il n’est pourtant plus question pour la loi de démontrer d’éventuelles violences dans une famille isolée, mais de dénoncer une culture de la violence face à laquelle chaque parent est mis en demeure de se positionner. Les parents – et plus généralement les proches – sont a priori jugés indignes de confiance.
Le résultat de ces attaques administratives et juridiques répétées à l’égard de la famille, c’est que les relations familiales sont désormais considérées non plus comme une source de responsabilité et de devoirs, mais comme le lieu de dominations injustes, des ascendants sur les descendants, des hommes sur les femmes. Une famille ainsi déstructurée, décomposée, n’est plus en mesure de faire des enfants des hommes libres et responsables, mais seulement des esclaves à administrer. Et de cette atomisation résulte surtout la disparition du politique c’est-à-dire de la possibilité du commun. Le préalable à tout engagement politique semble donc être le respect de sa propre famille. A nous de réinvestir dans la mesure du possible nos familles. Commençons par respecter nos aînés et nos fratries malgré les dissensions parfois graves qui peuvent nous en éloigner. Malgré ces dissensions, le sang qui coule dans nos veines nous est propre et commun et mérite notre attention. C’est au nom de ces liens qu’Antigone a bravé Créon pour enterrer Polynice, pas au nom de l’amour qu’elle pouvait ou non lui porter.