Tribune d’Iseul Turan, porte-parole des Antigones, parue sur Boulevard Voltaire, voici sa version longue :
« La liberté pour quoi faire ? C’est, vous le savez, une phrase célèbre de Lénine et elle exprime, avec un éclat et comme une lucidité terrible, cette espèce de désaffection cynique pour la liberté qui a déjà corrompu tant de consciences. La pire menace pour la liberté n’est pas qu’on se la laisse prendre – car qui se l’est laissé prendre peut toujours la reconquérir – c’est qu’on désapprenne de l’aimer, ou qu’on ne la comprenne plus. » BERNANOS
Suite aux attentats de janvier et novembre 2015, la France a pris ses dispositions : l’état d’urgence est déclaré, les projets de réformes sont d’actualité et certaines lois importantes ont été adoptées sans aucun débat entre les deux épisodes meurtriers, notamment la loi santé ou la loi renseignement. Le Président remonte dans les sondages tandis que la quasi-totalité de nos concitoyens se satisfait de ces mesures alors qu’elles sont au mieux publicitaires, lorsqu’elles ne sont pas liberticides.
Les sondages donnent 92% de personnes favorables à l’état d’urgence. Seule une poignée de militants politiques crie au scandale, avant d’être eux-mêmes étouffés sous les perquisitions, les gardes-à vue et les assignations à résidence.
Jusqu’à maintenant, tout le monde jouait au jeu des libertés, sans vraiment y croire. L’esprit général se résumait déjà par : « toujours plus de garanties pour des droits de plus en plus restreints. » Pourtant jamais le sentiment de vivre librement n’a été plus répandu sur la terre de France !
Puis des hommes tirent, il y a des morts. Profitant de l’état de sidération nationale, les libertés sont bafouées, mais personne n’ose dire quoi que ce soit, pensant certainement « qu’est-ce que mes libertés alors que d’autres sont morts ? ».
Notre mouvement féminin trahirait son nom, s’il laissait passer ces épisodes sans réagir. Si l’Antigone antique a refusé que soit bafouée une seule sépulture pour obtenir la paix civile, comment réagirait-elle alors qu’aujourd’hui des mesures violent, sous prétexte de sécurité, les libertés publiques de notre peuple ?
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, la plupart des mesures légales adoptées, des derniers textes de loi et des révisions constitutionnelles à venir sont le fruit d’un travail mûrement réfléchi.
Ils avaient simplement été jugés trop sensibles ou contraires aux libertés fondamentales jusqu’alors. C’est notamment le cas de la réforme de la procédure pénale déjà proposé sous Sarkozy depuis 2008. C’est le cas également des lois de sécurité, qui faisaient l’objet de violentes controverses entre universitaires et politiques.
La révision constitutionnelle a pour objet de modifier l’état d’urgence tel qu’il existe actuellement, pour faire de l’exception la norme. Nous avions déjà l’article 16 qui confère des pouvoirs exceptionnels au Président pour trente jours ; y joindre l’article 36-1 assure un pouvoir exorbitant au gouvernement !
Ce nouvel état d’urgence pourrait être déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ; soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». C’est-à-dire qu’il peut être déclaré pour des raisons totalement vagues et innombrables, à la simple discrétion du gouvernement et sans aucune garantie ou contrôle. Rajouter à cela la déchéance de nationalité fait sourire tant la mesure est plus publicitaire qu’efficace, et ne vise qu’à faire avaler la pilule à certains droitards.
Il en va de même avec le renforcement de la police préventive via la réforme de la procédure pénale. Ce texte vise à « renforcer la lutte contre le financement du terrorisme et à donner aux services d’enquête judiciaire l’accès à de nouveaux outils techniques, notamment l’utilisation des « IMSI-catcher », qui interceptent les communications dans un périmètre donné en imitant le fonctionnement de relais téléphoniques mobiles ». Si l’utilisation de tels dispositifs était déjà effective, elle était théoriquement contrôlée. Plus grave encore, le texte prévoit également un allégement de procédure pénale, plus préjudiciable aux innocents qu’aux coupables.
Ce texte, à vocation préventive, est abordé en même temps que la révision constitutionnelle : il s’agit d’une confusion volontaire entre la police administrative (à vocation préventive) et la police judiciaire (à vocation répressive). Cette police préventive n’avait déjà de cesse de s’octroyer de nouvelles prérogatives, avec, par exemple, le dossier brûlant de l’affaire Dieudonné.
Les Français auraient voulu éviter « ça ». Cela ne signifie pas pour autant que l’on doive basculer dans un scénario à la « Minority report ». Un coupable doit être puni après son acte, pas avant. On ne peut pas embastiller de possibles auteurs, ni même priver de droits ceux qui pourraient passer à l’acte dans l’avenir.
Ces travaux juridiques n’ont pas été écrits sous le coup de la précipitation. L’évolution de cette tendance au contrôle avant l’acte se traduit par le contrôle progressif des données numériques, le contrôle des déplacements par vidéo surveillance et la mise sur écoute massive de la population. Ces données sont stockées et, pour certaines, revendues à des publicitaires, sans aucune contestation du contribuable qui, de toute façon, s’habitue même à se faire fouiller à l’entrée des centres commerciaux.
Ce n’est pas parce que nous n’avons rien à nous reprocher que nous devons nous laisser contrôler. C’est au contraire parce que nous sommes d’honnêtes personnes que nous ne devons pas être contrôlés. Bernanos rappelait justement le privilège des gentilshommes d’avancer masqué. De même, les lois ne sont respectées que par ceux qui sont dans la légalité, c’est-à-dire le citoyen lambda, et non par ceux qui sont en infraction. C’est donc nous-mêmes qui sommes restreints et non les terroristes.
« Pas de liberté, pour les ennemis de la liberté » est devenu notre devise nationale, sans honte. Il ne s’agit pas d’un retour a l’État souverain comme certains commentateurs voudraient le laisser entendre, mais d’un État policier et dictatorial digne de 1984 d’Orwell.
Les Antigones s’opposent donc résolument à ces dernières lois et réformes, car « un peuple qui sacrifie sa liberté pour un peu plus de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre et finit par perdre les deux », écrivait Benjamin Franklin.
Allons, debout, et révoltons-nous !