Article publié sur le site de Valeurs Actuelles le 28 mars 2018
Emmanuel Macron a annoncé ce mardi à l’ouverture des Assises de l’école maternelle une mesure-choc : l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire » à trois ans. La décision s’inscrit dans le cadre d’un renforcement autoritaire de l’arsenal éducatif d’Etat qu’Antigones a déjà critiqué et franchit un cap symbolique : c’est toute l’enfance qui passe sous contrôle républicain.
Les grands oubliés du débat, ce sont d’ailleurs ces parents pratiquant l’IEF. Les activités d’éveil proposées à des bambins de trois ans à la maison feront-elles donc l’objet de contrôles ? Rendons-nous compte de l’aberration que cela représente : un inspecteur de la République qui s’invite chez vous, contrôlant autoritairement l’éducation d’enfants tout juste propres, à peine sevrés pour certains. Imagine-t-on les effets de ces contrôles sur le psychisme d’un enfant de trois, quatre ou cinq ans ? Sans parler de sa relation affective à l’apprentissage ; puisque le registre affectif et émotionnel fait partie des mots-clés et des sésames utilisés à tour de bras par Emmanuel Macron pour justifier cette décision.
Parlons-en, de ces mots-clés : on reconnaît bien dans les déclarations présidentielles le style de l’oligarchie politique actuelle, qui utilise avec dextérité un vocabulaire aussi consensuel que creux, ces mots qui pensent à notre place et coupent court au débat. Là où Eric Ciotti et Najat Vallaud-Belkacem brandissaient un républicanisme militant, Françoise Gatel et Emmanuel Macron utilisent tout l’éventail de ces petits mots incontestables : des mots inoffensifs de technocrates, comme harmonisation législative, et efficacité – pour une République pragmatique et fonctionnelle ; le sésame de la prévention, car chacun sait bien que mieux vaut prévenir que guérir ; le passe-partout de l’égalité et ses acolytes – une école inclusive pour garantir une véritable égalité des chances, lutter contre les déterminismes de l’échec et de la réussite, qui se mettent en place irréversiblement dès le plus jeune âge ; le champ lexical de l’affectivité, de l’émotion, de l’ouverture pédagogique – de quoi rassurer les sectateurs de Maria Montessori et de Céline Alvarez. L’école maternelle d’Emmanuel Macron, c’est « le lieu de constitution de la sécurité émotionnelle et de l’épanouissement affectif », une « école de la bienveillance » – où l’enfant pourra intégrer dès ses premiers balbutiements cette culture du smiley qui est le parfait symbole de la culture libérale-libertaire.
Pourtant, comme Emmanuel Macron le martèle à plusieurs reprises, cette décision « n’a rien d’innocent » : c’est toute l’enfance qui passe désormais sous contrôle républicain, parce que la mission de l’école n’est plus la transmission de l’instruction, de la culture, des humanités qui élèvent l’homme par l’esprit ; l’école est le creuset du vivre-ensemble. A l’ère du vide généralisé, elle est tout ce qui reste à notre société déliquescente pour assurer sa propre survie. Il faut donc que l’école « compense par l’apprentissage les inégalités héritées de la naissance » pour produire à la chaîne l’individu de base dont notre société a besoin – « on construira une génération ». Il est alarmant de constater que les seules critiques qui ont jusqu’ici été relayées sont celles des « ultras », qui souhaiteraient voir l’âge scolaire abaissé à deux ans, car la constitution de la personnalité se joue avant trois ans ! Ici le Président se veut rassurant : des efforts seront faits pour encourager un continuum crèche-école maternelle, et pousser en cas d’insuffisance familiale à une scolarisation précoce dès deux ans. Les seules véritables objections sont toutes pragmatiques : on ne peut abaisser l’âge scolaire à deux ans, alors que certains enfants en sont encore aux couches et aux biberons… pourtant il n’y a qu’un pas. A quand la crèche obligatoire ?