Les attaques récentes contre la liberté éducative, qu’elles émanent des députés ou du gouvernement, ne sont pas nées de la dernière pluie : elles se situent au contraire dans la droite ligne de la politique éducative menée par le gouvernement durant ces dernières décennies, révélant une impossibilité structurelle de la République à libérer l’éducation.
Un simple regard sur la chronologie de ces dernières années permet de se rendre à l’évidence : aujourd’hui en France, la liberté éducative des parents est loin d’être un principe acquis. Si la ministre de l’éducation nationale s’est voulue rassurante lors de sa conférence de presse, donnée le 9 juin 2016, proclamant à qui voulait l’entendre que la liberté éducative faisait partie des libertés fondamentales garanties par la République, la réflexion et l’analyse des faits nous portent à conclure le contraire. Les mesures actuellement discutées sont un petit pas de plus vers la mort de la liberté éducative.
La liberté éducative pleine et entière des parents est déjà morte sur le principe, niée par la loi de 1998 qui proclame la priorité des établissements d’enseignement sur toute autre forme d’éducation, en particulier l’Instruction en famille – un jugement de valeur posé comme définitif et sans appel. L’école de la République est désormais la norme de référence. La circulaire d’application de 1999, faisant l’amalgame entre IEF, déscolarisation et sectarisation, souligne que « chaque année, plusieurs milliers d’enfants échappent à l’École de la République », tel un sujet échappant à l’autorité de son maître et seigneur. L’IEF doit demeurer une réalité marginale, correspondant à « des situations sociales, familiales ou médicales particulières » non précisées par le texte. La circulaire explique sans sourciller :
« Il serait, en effet, incompréhensible, en cette fin de XXème siècle où l’obligation scolaire est une conquête, de ne pas affirmer la prééminence de l’école. La liberté des choix ne signifie pas pour autant que tous les choix sont équivalents ou indifférents à l’épanouissement de l’enfant. »
Nous sommes donc libres, à ceci près que la valeur de nos choix est jugée a priori par la loi : notre liberté est tolérée. Si effectivement, tous les choix éducatifs ne se valent pas, l’Etat français, juge et partie en la matière, est-il le mieux placé pour se prononcer sur leur valeur respective ?
En 2007, la Loi sur la protection de l’enfance tire à nouveau prétexte de la menace sectaire pour restreindre l’IEF aux enfants d’une seule famille : adieu entraide et solidarité, adieu liberté des femmes. Si Madame souhaite éduquer ses enfants en dehors de la structure scolaire, elle devra être mère au foyer et ne pourra même pas se permettre un petit mi-temps, puisqu’elle sera désormais seule face à l’immense responsabilité d’éduquer sa progéniture. Un tête-à-tête permanent avec l’enfant qui peut devenir très enfermant, et apporte de l’eau au moulin de ceux qui font de l’IEF une cause de désocialisation.
En 2009, c’est le contenu de l’éducation qui est désormais étroitement contrôlé par la loi – adieu choix pédagogiques, adieu liberté intellectuelle, puisque tous les enfants d’âge scolaire, qu’ils soient scolarisés dans les écoles hors contrat ou instruits en famille, devront désormais acquérir le même socle commun de connaissances et de compétences, ce qui s’apparente à une forme de programme unique.
En 2013, l’école se donne pour mission de donner des leçons de morale républicaine à nos enfants, avec l’instauration des cours d’enseignement moral et civique à l’initiative de Vincent Peillon, grand défenseur de nos libertés devant l’Eternel. On se rappelle les affirmations délirantes de ce dernier concernant la mission éducative de l’école publique : « Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ».
En 2015, les attentats sont l’occasion d’une « grande mobilisation pour les valeurs de la République », proclamant un monopole idéologique en faveur de la structure sociale et politique dominante. Les « valeurs de la République » sont désormais omniprésentes dans tous les discours relatifs à l’éducation. En avril 2016, Eric Ciotti va plus loin dans ce sens : il propose d’ajouter aux critères de contrôle des établissements hors contrat et de l’IEF la notion dangereuse autant que floue d’ « atteinte aux valeurs de la République ». La remise en cause de l’idéologie dominante devient un délit puni par la loi :
« Les lieux d’enseignement doivent rester des sanctuaires vierges de toute influence idéologique ou politique contraire aux valeurs républicaines et doivent poursuivre un projet commun : celui de la construction d’une communauté nationale. Les écoles doivent demeurer des lieux où se transmettent les savoirs et non les idéologies. »
(Puisque bien évidemment, les valeurs républicaines ne véhiculent aucune idéologie).
Le 9 juin 2016, le gouvernement, en la personne de Najat Vallaud-Belkacem, annonce les nouvelles mesures prévues pour renforcer le contrôle de l’Etat sur l’éducation des enfants : pour les écoles hors contrat, passage d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation préalable ; pour l’IEF, modification des modalités de contrôle, dans un sens unilatéral privilégiant l’autorité de l’inspecteur au détriment des choix pédagogiques des familles. Une nouveauté de taille est à souligner : l’inspecteur pourra se référer aux attendus de fin de cycle pour contrôler l’instruction en famille – ce qui revient entre les lignes à imposer aux familles le programme de l’éducation nationale. Cette disposition a été adoptée par le Décret n° 2016-1452 du 28 octobre 2016 relatif au contrôle de l’instruction dans la famille ou des établissements d’enseignement privés hors contrat : adieu liberté éducative !
Nous allons donc tout droit vers la mort de la liberté éducative en France, progression parfaitement cohérente et prévisible puisque, structurellement, la société française ne peut pas encourager une liberté éducative pleine et entière : le contrôle de l’éducation des enfants est pour elle une question de vie ou de mort. Dans une société atomisée et individualiste, c’est l’école qui crée le ciment social nécessaire à la survie de la société : alors que l’éducation avait autrefois pour mission d’élever l’individu, de former des hommes dignes de leur humanité, elle assume aujourd’hui une fonction de cohésion sociale – sa mission a donc fondamentalement changé. L’école est devenue la fabrique de la volonté générale nécessaire à la réalisation de l’idéologie démocratique. Nous pouvons lire ainsi, sur le site de l’éducation nationale, dans la rubrique « Onze mesures pour une grande mobilisation de l’école en faveur des valeurs de la République » :
« La République « a fait » l’École dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Puis l’École « a fait » la République en construisant un savoir-être, une capacité d’argumentation, une culture de la raison et du jugement, en transmettant les valeurs républicaines et humanistes et en favorisant l’adhésion à ces valeurs. »
Si l’école fait la République, alors la République ne peut pas libérer l’école : elle doit au contraire, pour sa survie, s’assurer d’un monopole éducatif sur l’ensemble de la population d’âge scolaire. C’est aussi simple que cela.
Allons-nous laisser l’Etat nous confisquer la liberté d’éduquer nos enfants ? Pour notre liberté, pour celle de nos enfants, pour le monde qui sera demain entre leurs mains, l’heure est venue d’entrer en résistance !