Au cours du XXème siècle, le combat pour l’égalité entre les sexes s’est déroulé dans le champ politique (droit de vote et d’éligibilité ; indépendance vis-à-vis de l’époux, etc.) Il s’est progressivement déplacé dans le champ culturel, et jusque dans la langue.
Pour débarrasser celle-ci du sexisme, un ensemble de propositions détaillées dans le premier article de notre série dédiée au langage ont été regroupées sous l’appelation d’écriture inclusive. Celle-ci désigne d’après Raphaël Haddad[1], « l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ».
Cette démarche est encouragée au niveau européen par une recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée en 2008, et portant sur l’égalité hommes-femmes. La norme 6 vise ainsi l’ « élimination du sexisme dans le langage et [la] promotion d’un langage reflétant le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Après avoir rappelé l’importance du langage, qui « joue un rôle fondamental dans la formation de l’identité sociale de l’individu et interagit sur les attitudes sociales et la culture », les auteurs appellent les États à promouvoir – à imposer, reformule-t-on plus loin – un langage non sexiste à tous les niveaux : secteur public, enseignement et médias.
Il s’agit bien de réformes éminemment politiques, qui visent à modifier la perception du réel des individus, jugée arbitrairement fautive et néfaste par la bien-pensance du moment. Dans sa Proposition de Résolution invitant le gouvernement à empêcher l’introduction de l’écriture inclusive dans les établissements scolaires, en 2017, le député Julien Aubert rappelle que « l’objectif de l’école est selon les propres termes du ministre de l’éducation nationale, de « lire, écrire, compter et respecter autrui ». Il ne s’agit en aucun cas d’inculquer un discours politique sous couvert d’égalitarisme. » Il met en garde contre les dérives orwelliennes induites par une manipulation du langage à des fins idéologiques.
Comment en effet ne pas penser dans ce contexte à George Orwell, auteur anglo-saxon qui dépeint dans son œuvre majeure, 1984, un monde effrayant où l’État exerce un pouvoir totalitaire, contrôlant tous les aspects de la vie, y compris la pensée, grâce à une réforme du langage. Ce dernier est appauvri pour empêcher les individus de réfléchir correctement et le sens des mots est détourné. A la lumière de cet ouvrage, partisans de l’écriture inclusive et critiques se rejoindront au point sur un point : le langage est profondément politique dans la mesure où il conditionne notre capacité à penser. De quoi nous inviter à une certaine méfiance devant la volonté des élites européennes – largement suivies par nos représentants ! – de réformer le français.
A l’heure où tous s’accordent pour constater un terrible appauvrissement du langage, l’écriture inclusive vient parachever le massacre. Elle doit donc au même titre que la profusion croissante d’anglicismes, la contamination du langage parlé à tous les contextes sociaux et professionnels, ou encore le refus de « l’élitisme imposé à la langue » appliquée en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française sur près de 2400 mots, être systématiquement combattue. Si toutes les protestations publiques, pétitions, propositions de lois, et autres outils politiques sont bienvenus, ce combat implique également un effort de chacun au quotidien. Comment pouvons-nous espérer défendre notre langue et en transmettre la richesse à nos enfants si nous ne sommes pas nous-mêmes capables d’en apprécier les subtiles nuances ?
[1] Raphaël Haddad est le fondateur de Mots-clefs, agence de conseil en communication d’influence, et le directeur de la publication d’un Manuel d’écriture inclusive, 2017
Juliette Chevalier
Pour aller plus loin :
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