Le devoir plutôt que les droits, ou Antigone face au féminisme

L’actualité donne un aperçu de la bataille juridico-morale que se livrent les différents féminismes, qui oppose « interdiction de la drague lourde » au « droit d’importuner ». Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, est l’occasion pour Antigones de s’arrêter sur cette notion.

Les droits des femmes étaient dans les premiers temps du féminisme entendus comme une accession des femmes aux mêmes prérogatives que les hommes. Aujourd’hui, ce sont de nouveaux droits spécifiquement féminins que les courants qui ont suivi réclament. Le droit à l’avortement et le droit à la PMA – auxquels les hommes ne peuvent prétendre – en sont deux exemples emblématiques. Ce qui se joue là dépasse les problématiques du féminisme : c’est un passage d’une conception du droit héritée de la Révolution française et de ses désormais célèbres Droits de l’Homme, à des « droits à » spécifiques aux femmes ou aux hommes.

Les droits des femmes s’accumulent aujourd’hui comme s’alignaient hier sur les étagères des cabinets de curiosités bizarreries et beaux objets. Les doléances toujours plus grandes de femmes laissées à leurs difficultés quotidiennes montrent pourtant que ces droits n’ont pas permis de leur rendre justice. Quel soutien concret propose le droit à l’avortement à une femme seule face à une grossesse non désirée ? Quel droit à la PMA apaisera la douleur d’une femme qui se découvre stérile ?

Les débats autour du phénomène #balancetonporc est emblématique de la confusion entre ce qui relève de la légalité et ce qui relève des mœurs et du bon sens. Le débat s’est limité à opposer interdiction de la drague lourde et liberté d’importuner. Laquelle de ces revendications permettra aux femmes de la Chapelle Pajol de circuler librement dans leur quartier ?

A vouloir ainsi règlementer tous les domaines de la vie, on opère une véritable transformation de la conception du droit. On passe d’un régime d’exception – tout ce qui n’est pas interdit est permis – à un régime d’autorisation, dans lequel n’est permis que ce qui est légalement considéré. Qui sera alors le juge ultime du permis et du défendu ? C’est l’Etat. De la même façon qu’elles ont refusé le joug de la Nature pour mieux baisser la tête devant le Marché et ses pourvoyeurs de pilules, les féministes conventionnelles s’en remettent à l’Etat pour lutter contre le patriarcat.

C’est la société entière avec les féministes qui arrogent à l’Etat le statut de grand censeur moral, au détriment de nos libertés et de toute légitimité. Ceux qui s’opposent à certains de ces nouveaux droits eux-mêmes se jettent tête baissée dans cette impasse, opposant aux droits qu’ils refusent d’autres qu’ils jugent supérieurs : le droit à la vie contre le droit à l’avortement, le droit à un père et une mère contre le droit à la PMA. L’efficacité rhétorique d’un argument n’en fait pas une réalité pour autant. Le corps politique tout entier n’a plus que le « droit à » à la bouche. Dans ces conditions, comment arbitrer entre deux droits qui s’opposent ?

On touche ici du doigt la différence fondamentale entre le droit positif, qui conçoit la loi comme une construction purement humaine, expression de la volonté générale ; et le droit naturel, pour lequel la loi est une tentative de transcrire le Juste dans la société. Dans ce débat, qui mieux qu’Antigone peut nous sortir de l’impasse du surinvestissement de l’espace juridique au détriment du bon sens, de la légitimité et des libertés ?

Antigone, qui incarne le légitime face au légal, ne revendique pas un « droit à » enterrer son frère. Elle enterre son frère. Elle est légitime à le faire et n’entre pas dans un débat légaliste. La légitimité de son action étant définie par les lois des dieux et des hommes, elle n’est pas fictivement découverte puis inscrite dans un texte. L’acte d’Antigone prend par ailleurs tout son sens à la lumière de son appartenance à un réseau de relations, dont la première est sa famille. C’est au nom des liens fraternels qui l’unissent à Polynice qu’elle assume la responsabilité de l’enterrer. A nous à sa suite d’assumer les responsabilités qu’impliquent nos liens familiaux et communautaires plutôt que de réclamer individuellement des droits nouveaux pour nous-mêmes.

À l’image d’Antigone, refusons les débats stériles opposant un droit à un autre, et remettons du bon sens, de la common decency dans les relations hommes / femmes abimées par une lutte des « droits à » devenue folle. Ce ne sont pas aux lois d’éduquer les mœurs. C’est aux communautés naturelles de transmettre ces lois non écrites qui structurent la vie en société et assurent le bon fonctionnement de la cité : familles, localités, paroisses, corporations assuraient auparavant cette transmission. L’État ne peut, ni ne doit palier seul leurs déstructurations. Charge à nous, Antigones, mais pas seulement, de transmettre ces lois non-écrites en réinvestissant ces communautés naturelles, légitimes et enracinées, et en leur redonnant un sens.

Article publié sur le site de Valeurs Actuelles le 8 mars 2018

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