François-Xavier Bellamy était invité chez les Antigones de Lyon le jeudi 19 février 2015 pour débattre de la question de la transmission, à laquelle nous avons consacré notre année 2014.
Voici son intervention :
C’est une joie d’être parmi vous ce soir pour parler de cette belle question autour de la transmission et de la féminité dans la société contemporaine. Il est assez commun en effet de constater que nous vivons une crise de la transmission. C’est cette question que j’ai essayé de traiter dans mon ouvrage, Les Déshérités. Mais ce n’est pas notre propos ce soir.
Nous vivons une crise de l’autorité : de l’auctoritas, ce qui transmet, ce qui fait grandir en nous quelque chose. Cette crise de l’autorité constitue une crise globale. L’idée d’autorité est au cœur du problème, car on voit à quel point il y a un manque d’autorité dans la société, comment cela provoque une forme de désagrégation générale de la société mais aussi une forme de regain de l’aspiration à l’autorité. Ce n’est pas pour rien que les politiques, qui sont habitués à suivre le vent comme la feuille morte, plutôt que comme le navigateur, se sont remis à dire qu’il fallait de l’autorité, ce qui est une forme de retour assez étonnant vis à vis du discours que nous avons connu pendant bien longtemps.
Une crise de l’identité masculine ? « Je ne le crois pas… une crise de l’altérité plutôt »
On pourrait facilement considérer que cette crise de l’autorité est une crise de l’identité masculine dans la société. Et je rencontre beaucoup de jeunes hommes et notamment dans des conférences sur la question du genre, qui sont très inquiets de voir leur place remise en cause dans la société qu’on a souvent tendance à considérer comme féminisée et même comme étant massivement polarisée par des valeurs féminines plutôt que par des valeurs masculines – l’identité masculine étant considérée comme une forme de stéréotype du danger, de la menace, de l’inquiétude. La force paraîtrait pour de la violence, l’affirmation pour de l’intolérance, et nous serions en train de construire une société de stéréotype féminin. Cela m’a frappé de rencontrer vraiment souvent des hommes très inquiets : « Les femmes font la même chose que les hommes avant, et elles font des choses que les hommes ne pourront jamais faire, si les femmes peuvent avoir des enfants sans nous, nous ne servirons décidément plus à rien à du tout, parce qu’elles peuvent tout faire sans nous, même pour donner la vie, notre place est définitivement perdue dans la société ! » On voit ce discours faire un peu florès dans beaucoup de milieux, un discours qui consisterait à dire que l’on assisterait à une sorte de prise de pouvoir des femmes, comme si la société actuelle était celui du triomphe des femmes et de la défaite des hommes, qui seraient en permanence obligés de s’excuser et de se ranger.
Mais ce n’est pas vraiment mon analyse. Je pense qu’effectivement nous vivons dans un monde où ces valeurs dites féminines ont peut-être plus d’importance, mais si nous assistons à une crise, c’est plutôt une crise de l’altérité, une crise entre l’homme et la femme en tant qu’ils sont différents. Cette crise de l’altérité est étroitement liée à la crise de la transmission. Je voudrais tenter de montrer pourquoi en détruisant la transmission, on a aussi déconstruit l’altérité entre les sexes, et c’est surtout l’identité de la femme, l’identité féminité qui se trouve fragilisée.
« La crise de la transmission a déconstruit l’altérité entre les sexes »
La clé de compréhension de la société contemporaine, c’est le fait que nous avons collectivement considéré depuis quelques décennies que notre héritage culturel était un fardeau que nous laissions aux générations suivantes et un fardeau qui allait empêcher nos enfants d’être libres. C’est ce que nous avons vécu dans tous les lieux de la transmission. Nous l’avons vécu dans la famille. La famille est – par nature – un lieu de transmission, c’est à dire où l’on transmet la représentation du monde, une certaine idée du bien et du mal, une certaine représentation de la relation entre les hommes … La famille est un lieu où se transmet un héritage familial. C’est pourquoi la famille est regardée avec soupçon, elle est regardée même avec un regard culpabilisant. C’est la clé d’interprétation de cette petite phrase de notre précèdent ministre de l’Education nationale « il faut arracher l’enfant au déterminisme familial ». Cela veut dire que la famille est un lieu de déterminisme, un lieu où l’enfant se trouve enfermé par les représentations de ses parents, de ses grands-parents. Nous avons tous intégré cette idée. Beaucoup de parents ont intégré cette idée que tout ce qu’ils transmettaient à leurs enfants était une façon de les aliéner, d’enfermer leur liberté, une façon de les empêcher d’écrire eux-mêmes leur propre histoire de manière originaire. Beaucoup de parents ont intégré qu’il fallait transmettre le moins possible à leurs enfants pour ne pas les priver de leur liberté, pour ne pas les piéger par des représentations qui ont été forgées avant eux. Il faudrait délivrer l’enfant de cet héritage, de tout ce qui le détermine pour le délivrer.
C’est vrai de tous les lieux de transmission. Et ce qui explique la crise actuelle de l’autorité, ce n’est pas la résistance des enfants, ce n’est pas que les élèves sont soudainement devenus réticents à recevoir l’enseignement qui leur est donné, ou qu’ils aient refusé tout à coup de recevoir un héritage ; ce qui explique la crise de la transmission, c’est que les adultes se soient sentis soudainement coupables de transmettre cet héritage. C’est, je crois, le cas de beaucoup de parents et de grands-parents, qui avec beaucoup de générosité se sont dit « Je ne dois pas transmettre à mon enfant, ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est vrai ou faux : je dois le laisser inventer par lui-même ses propres représentations. »
C’est vrai aussi à l’école. A l’école, le refus de la transmission explique la situation actuelle de l’Education nationale, qui n’est pas un échec, ni un raté, ni un accident, mais la réussite absolue d’un projet, un projet pédagogique tout à fait explicite et qui a pour unique principe qu’il ne faut pas transmettre un savoir.
J’ai commencé à réfléchir à cette question, quand en tant qu’enseignant, nous étions formés à ne pas transmettre un savoir. L’élève devait produire lui-même son propre savoir et l’enseignant créer les conditions dans lesquelles les élèves allaient créer leur propre savoir. Cela peut paraître surprenant, mais c’est comme cela que l’école s’est structurée. A l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), on nous apprenait qu’il ne devait pas y avoir, dans l’espace de la classe, un sachant et des apprenants. L’enseignement ne doit pas avoir quelque chose à transmettre : quand on entend un discours comme ça, on n’est plus du tout étonné de la situation de l’enseignement, qui n’est pas du tout un échec, mais le résultat d’un projet abouti.
« Le concept de genre est le prolongement de la crise de la transmission »
Il faut dire cela pour comprendre la logique de la crise de l’identité féminine et masculine que nous connaissons aujourd’hui. Cette crise que l’on a coutume de désigner sous le concept de genre. Le concept de genre n’est rien d’autre que le prolongement de cette perspective que je viens de vous développer. Cette perspective dit que tout ce qui est transmis à un enfant le prive d’être lui-même, le prive de sa spontanéité. Tout ce qui est donné à un enfant l’empêche de se construire par lui-même et l’empêche d’être l’auteur de sa propre vie. Le concept de genre nous dit que la différence entre les sexes est tout entière saturée de références culturelles. Autour de la différence organique des sexes vient s’interposer des constructions culturelles, des schémas de pensées, qui sont autant d’artifices dans lesquels notre liberté se trouve piégée et enfermée. La différence entre l’homme et la femme est tout entière traversée par la culture ou la culture est tout entière traversée par les différences hommes/femmes. L’intérêt pour ceux qui ont forgé le concept de genre, c’était de distinguer deux dimensions : une dimension naturelle « le sexe » et une dimension culturelle, qui est toute la construction intellectuelle qui se greffe sur la réalité biologique et organique qui distingue nos deux sexes. On dira que la réalité biologique n’est rien, qu’elle n’a aucun sens, aucune conséquence en elle-même, mais sur ces différences organiques, nous construisons des représentations qui viennent nous assigner dans une identité qui nous confine à des stéréotypes. Pour être libres, nous devons nous délivrer de ces stéréotypes. Le concept de genre ne nie pas qu’il y ait une différence biologique entre l’homme et la femme, mais il dit que cette différence, n’a aucune espèce de signification.
Le concept de genre n’est rien d’autre que le dernier mal de cette déconstruction de la transmission et de cette condamnation de la culture au nom d’une liberté fantasmée et immédiate. D’une liberté qui serait celle de la spontanéité créatrice de chaque individu, séparément, pris isolément du reste de la société. Nous concevons la liberté comme étant l’effet de la spontanéité de chaque personne et il faudrait rendre à chacun cette spontanéité initiale. Il faudrait donc le débarrasser de ce fardeau. Le genre est le dernier mot de la révocation de l’héritage. Nous avons reçu une culture, mais nous la recevons comme une forme d’aliénation de la liberté.
« Révoquer la transmission, c’est révoquer la médiation »
Révoquer la transmission, c’est encore une fois révoquer la famille et condamner ce qu’on peut appeler la médiation. L’idée que nous nous faisons de la liberté aujourd’hui, c’est notre conception de l’immédiateté. Nous concevons la liberté comme étant immédiateté. Etre libre, c’est être immédiatement soi-même, c’est à dire rester naturel, rester pur de toute influence culturelle, se débarrasser de toutes les médiations que nous avons rencontrées.
Le numérique, c’est précisément le règne de l’immédiateté. Si j’ai une question, mon téléphone me donne immédiatement la réponse ; j’ai envie d’acheter quelque chose, je peux l’acheter immédiatement et le plus rapidement possible. C’est toujours raccourcir la distance entre vous et l’objet de vos désirs. Tout ce qui touche l’intermédiaire, nous l’avons révoqué. Tout ce qui s’appelle distance, intermédiaire, voilà ce que nous voulons condamner. C’est aussi pourquoi nous avons écarté le livre. Le livre est en crise. Le livre est tout entier distance. C’est la logique inverse de l’immédiateté. Lire un livre c’est un itinéraire, cela prend du temps. Le texte est la logique opposée à l’image. L’image se donne immédiatement, mais un texte nécessite d’aller du premier au dernier mot. Un livre est un chemin. Nous vivons dans une logique de l’image. Les médias sont devenus l’immédiat. Ce monde de l’immédiateté s’oppose à toute distance.
« Notre monde s’oppose à la différence »
Et la deuxième chose à laquelle nous nous opposons après la distance, c’est la différence. Cela peut paraître étrange pour une génération qui a grandit dans l’incantation de la différence et de la tolérance. L’intolérance, c’est le mal, et au moins on est tous d’accord là-dessus. Il faut être tolérant et respectueux. Mais quand on parle beaucoup de quelque chose, c’est souvent significatif. Et je crois que c’est parce nous sommes dans l’incapacité absolue à assumer la différence. C’est tout à fait frappant. Parce qu’elles signifient justement une distance, les différences sont devenues impensables. Par exemple, celle de la distance éducative : la différence entre l’adulte et l’enfant. Combien d’enseignants, de parents n’arrivent même pas à assumer la distance entre eux et leurs élèves, le fait qu’ils ne puissent pas tout partager avec lui, l’idée que la parole d’un enfant et d’un adulte dans une famille n’est pas tout à fait la même portée, etc… : cela nous avons de la peine à l’assumer. Toutes les différences nous sont difficilement pensables. L’idée de la différence nous est insupportable : affirmer une différence est une inégalité et affirmer une inégalité est toujours perçue comme une injustice. Dans le concept de genre, l’homme et la femme sont différents à cette différence près que les hommes sont des salauds et que les femmes sont des victimes. Nous recevons toujours la différence comme un signe de mépris, comme une forme de condescendance, comme l’affirmation d’un rapport de force dans lequel il y aurait un vainqueur et une victime, quelqu’un qui entretient une domination et quelqu’un qui la subit.
« La culture est ce dans quoi apparaît la différence »
Ceci s’explique de la même façon que notre rejet de l’héritage. La culture est ce dans quoi apparaît la différence. La culture est la médiation qui fait apparaître à nos yeux, la différence qu’il y a entre les choses. Sans la culture tout semble uniforme et dans la culture, tout apparaît dans sa singularité. C’est vrai de toutes les connaissances. A celui qui ignore, tout paraît uniforme. Vous pouvez essayer avec tous vos champs de connaissances : via les spécialités que vous avez acquises, vous avez acquis une capacité de distinguer ce que l’ignorant ne voit pas.
L’homme a besoin de cette médiation de la culture pour voir le monde. Sans culture, nous ne verrions simplement rien. Nous voyons le monde dans la culture qui nous a été transmise.
L’animal est un être d’immédiateté par exemple. Il accomplit toutes les facultés qui sont le propre de sa nature sans avoir besoin de rien recevoir de l’autre, sans avoir besoin d’être éduqué ou de recevoir un héritage qui lui viendrait de l’extérieur, d’une altérité ou d’une autorité. Les abeilles n’ont pas besoin de faire une école d’architecture pour construire des ruches et les araignées n’ont pas besoin de faire une école d’ingénieur pour tisser leur toile. Et c’est fabuleux quand vous regardez une toile d’araignée, vous pourriez y passer des heures : l’araignée sait faire ça immédiatement. Les oiseaux migrateurs n’ont pas eu besoin d’apprendre la topographie pour savoir où et quand ils doivent partir.
Contrairement à l’animal, nous ne sommes pas capables de cette immédiateté. Le bébé humain à côté semble parfaitement ridicule : ce qu’il sait faire par sa nature, ce dont il est naturellement capable, il est encore incapable de l’accomplir. Il peut penser, parler, entrer en relation avec autrui, imaginer, créer, aimer, mais pour accomplir toutes ces qualités qui sont le propre de son espèce, il a besoin de recevoir un héritage, de recevoir la transmission d’une culture. Par exemple, les langues. Elles sont le produit d’une histoire, elles ne sont pas naturelles, nous avons besoin d’une langue non pas pour exprimer notre pensée mais pour penser. Penseriez-vous vraiment si vous n’aviez pas reçu l’héritage de votre langue ? Bien sûr la langue est traversée par la culture, mais elle n’enferme pas cette langue, ni votre liberté, elle en est la condition. Si on ne vous avez pas transmis une langue, nous n’aurions pas pu penser, nous n’aurions même pas voir le monde. Quand vous vous spécialisez, vous recevez une langue. Le médecin reçoit la langue de la médecine, le financier reçoit la langue de la finance, le technicien reçoit la langue de sa technique. Prenons l’exemple de la climatologie. Si vous voulez faire climatologue, vous allez apprendre les noms des nuages. Jusque là, dans le ciel, quand vous leviez la tête, vous voyiez des nuages, mais en fait ils sont tous différents. Vous allez reconnaître les cumulus, les cirrus… C’est ça ce qu’il y a de magique dans une langue, c’est qu’elle fait apparaître la différence qui est dans le réel. Elle n’est pas cette différence construite. Le cumulus est objectivement différent du stratus. Ce n’est pas une invention de la culture, mais par la culture qui vous est transmise, par cet héritage construit par vous, par les générations qui vous précèdent, vous allez soudainement voir dans le monde une infinité de nuances que vous ne saisissiez pas auparavant.
C’est ici que tout se rejoint. Notre société pense que la liberté se trouve dans l’immédiateté, qu’être libre, c’est être spontané, que la liberté c’est se libérer de tout l’héritage qui nous a été transmis par la critique permanente, pour retrouver quelque chose de spontané et d’inédit en nous, qui vienne vraiment de nous-même et dont nous serions vraiment les auteurs. Notre société est persuadée que l’homme vraiment libre, c’est le self-made man, l’homme qui s’est fait tout seul, l’homme qui ne doit rien à ce qui le précède. C’est pourquoi, nous détestons tout ce qui peut être le signe de la culture : le temps de la médiation, le temps de l’apprentissage, le temps qui consiste à devenir lentement soi-même, à construire progressivement sa liberté. C’est pourquoi nous condamnons tout ce qui nous apparaît comme le signe de cette médiation, et notamment la distance et la différence. Condamner la culture, c’est condamner la différence.
« Nous n’avons rien à gagner à déconstruire les stéréotypes de genre »
Et la différence fondamentale, contre laquelle nous sommes en guerre, c’est la différence entre l’homme et la femme. Toute l’école, de façon étonnante s’est mise au service de déconstruction de la culture, de cette déconstruction des stéréotypes de genre. On nous dit « Regardez, la différence entre l’homme et la femme est tout entière dans la culture ». Et c’est vrai ! Bien sûr que la différence entre l’homme et la femme, nous la voyions tout entière dans la culture et la culture tout entière est saturée de la différence entre l’homme et la femme. Ça ne veut pas dire encore une fois que cette différence n’existe pas objectivement. Quand vous apprenez la différence avec les nuages, vous n’apprenez quelque chose qui est produit par la culture, qui vous formate et vous empêche de voir le monde tel qu’il est, au contraire : en recevant ce vocabulaire vous apprenez à distinguer objectivement ces différences autour de vous. La culture qui nous parle à chaque instant de la différence entre l’homme et la femme, n’est pas synonyme d’enfermement et nous n’avons rien à gagner à déconstruire les stéréotypes de genre. Nous sommes exactement dans la position de quelqu’un qui dirait « Pour réapprendre à voir le vin tel qu’il est, déconstruisons l’œnologie, déconstruisons le vocabulaire pour revoir le monde tel qu’il est. » Déconstruisons la langue pour voir les choses naturellement. Et donc nous avons décidé de déconstruire les stéréotypes de genre. Il faut s’en défaire comme d’une aliénation.
Aujourd’hui, il faut considérer que c’est de la culture que vient notre liberté. La culture nous parle de l’homme et la femme. Et si on veut déconstruire les stéréotypes de genre, il ne va pas falloir s’arrêter là. Parce que dans toute la langue, il y a des stéréotypes de genre. Ce n’est pas pour rien que le mot genre vient de la grammaire, dans toute la langue il y a du genre. Les mots sont masculins et féminins. Si on veut déconstruire, la syntaxe, la grammaire, on va finir pas ne même plus pouvoir se parler. Toute la langue est habitée par la différence entre l’homme et la femme.
La question est de savoir comment regarder cette culture qui nous précède. Devons nous la regarder comme quelque chose qui nous empêche de rester nous-mêmes ou devons- nous la recevoir comme ce dans quoi nous allons pouvoir trouver l’occasion d’apprivoiser notre propre nature ?
« Tous les corps de tous les hommes viennent des femmes »
Par exemple, l’année dernière, je travaillais avec mes étudiants sur le thème de la matière. La matière a un rapport avec le latin mater, la mère. Pourquoi la matière a-t-elle un rapport étymologique avec la mère ? Et bien, parce que fondamentalement, la différence essentielle entre le père et la mère dans l’acte de procréation, c’est que la mère donne corps à l’enfant. La mère donne à l’enfant sa chair, c’est là la différence fondamentale entre la responsabilité du père et la responsabilité de la mère dans la faculté de donner naissance à la vie. Voilà quelque chose de mystérieux. Voilà quelque chose qui traverse fondamentalement notre humanité, une chose avec laquelle il est difficile de se réconcilier, difficile à apprivoiser. Une différence qui demeure le signe du mystère, d’une distance irrévocable que nous ne franchirons jamais. Nous, les hommes, nous ne saurons jamais ce que veut dire, donner à un enfant sa chair. Et nous devons reconnaître, nous les hommes, que la mère a un lien essentiel avec la matière même en effet de notre humanité. Toute la matière humaine pourrait-on dire, tous les corps de tous les hommes viennent des femmes. Toute la chairedes hommes vient du corps des femmes, voilà ce que nous dit ce mot de mère. Ce mot porte dans son étymologie son ascendance et vient nous éclairer sur la différence biologique, naturelle, organique, entre le corps de l’homme et le corps de la femme. Cette différence là qui pourra la nier ? Personne. Elle n’est pas le produit de la culture, elle nous aide à mettre des mots sur les différences. Voilà notre responsabilité dans l’acte éducatif, comme ce qui peut nous donner l’occasion d’apprivoiser notre propre nature, de conquérir notre propre singularité de nous émerveiller à nouveau de la différence qui est réellement présente dans le monde. La culture est la médiation pour aller vers ce que nous sommes.
Voilà ce qui est en danger dans la société d’aujourd’hui. Cette société qui veut déconstruire les stéréotypes en vient nécessairement à nier les différences et construire un monde d’uniformité et révoquer tout ce qu’il y a de distance entre les hommes et les femmes, et affirmer une égalité qui serait une négation de l’altérité. Nier la culture, c’est se retirer à soi-même la possibilité même de discerner.
Penser que lorsqu’un enfant dit « maman », il utilise une racine qui vient de l’indo-européen, une racine qui a des dizaines de milliers d’années. Ce sont des dizaines de milliers d’année de maturation, de travail de générations pour l’aider à mettre de mots sur ce qui l’entoure. Voilà ce qu’il a y a de merveilleux et ce avec quoi nous devons nous réconcilier.
La déconstruction des stéréotypes de genre est l’idéal le plus coercitif qui soi. Il ne produit aucune liberté mais nous enlève la possibilité d’être nous-même, d’être singulier, d’être unique, d’être différent. C’est nous qui sommes menacés dans notre capacité d’être différent. Et qu’est-ce qui est menacé dans ce rapport entre l’homme et la femme ?
« La véritable différence qui est menacée c’est la différence de la femme. »
La véritable différence qui est menacée c’est la différence de la femme. Paradoxalement, le concept de genre est pour moi une victoire absolue du machisme le plus inégalitaire et le plus absurde. Derrière, le concept de genre, on formule un féminisme qui commence avec la négation de la femme et de la mère. La femme ne doit pas être différente de l’homme. On ne dit pas que les hommes doivent ressembler aux femmes, on dit que les femmes ne seront considérées comme vraiment égales et libres que lorsqu’elles auront accepté de se plier aux stéréotypes masculins.
On pourrait s’arrêter à une question. Le rapport aujourd’hui envisagé dans la relation au travail. On affirme que l’homme et la femme sont identiques, et qu’il n’y a aucune raison que l’homme et la femme n’aient pas le même rapport au travail. Pour qu’une femme soit considérée comme vraiment libre, pour qu’elle soit reconnue comme affranchie, il faut qu’elle travaille bien sûr mais qu’elle réponde aux stéréotypes les plus machistes : qu’elle ait le même travail, qu’elle veuille gagner beaucoup d’argent, faire une grande carrière, dominer les autres, prendre des places de pouvoir, et à cette condition seulement, nous lui vouerons une vraie admiration, nous la reconnaîtrons comme étant vraiment estimable. Pour qu’une femme soit vraiment libre, il faut qu’elle assure elle-même le stéréotype masculin dans ce qu’il a de plus caricatural, dans ce qu’il a de plus éculé. La liberté de la femme semble consister uniquement dans le fait de nier qu’elle puisse être différente des hommes.
Et c’est ce que nous voyons dans toutes les réformes politiques qui sont menées aujourd’hui. Ce que nous voyons se déployer, ce n’est pas plus de liberté de choix pour les couples, ce n’est pas une possibilité pour les familles de s’organiser comme elles l’entendent… comme par exemple via la réforme du congé parentale : c’est l’obligation pour les couples de se plier à cette uniformité de l’homme et de la femme au monde du travail. L’obligation d’adopter cette standardisation.
« Ce qui est en jeu, ce n’est pas la responsabilité des femmes, mais la responsabilité que collectivement nous entretenons avec notre culture »
Ce qui est en jeu, ce n’est pas la responsabilité des femmes, mais la responsabilité que collectivement nous entretenons avec notre culture, la différence entre l’homme et la femme et à cette grande et mystérieuse différence dans l’univers qui s’appelle la féminité. Affirmer que les hommes et les femmes sont différents, c’est renoncer à une forme de toute puissance. C’est affirmer en tant qu’homme, qu’il y a la moitié de l’humanité dont je ne partage pas l’expérience. C’est dire, pour nous les hommes, qu’il y a la moitié de l’humanité que nous n’aurons jamais comprise, que nous ne comprendrons jamais vraiment, et c’est affirmer que je ne suis pas à moi tout seul, le tout de l’humanité, que je ne comprend pas tout de l’humanité et que je ne peux tout maîtriser. C’est se donner aussi l’occasion d’un émerveillement devant l’autre : comment respecter l’autre, si on affirme pas d’abord qu’il est autre ? Si son altérité même vient à disparaître de notre regard ? Si je déconstruis tout ce qui me permet de le considérer comme un autre ? Le monde dans lequel on apprend aux élèves à déconstruire les stéréotypes sexistes est le monde le plus violent qui soit et même le plus sexiste qui soit. J’entends par là, la violence quotidienne qu’il y a entre les garçons et les filles. Il suffit d’écouter les productions du rap contemporain…
« Que l’école réapprenne aux enfants la vie de grands personnages historiques féminins »
Contre cela, l’école, la famille peuvent recommencer à transmettre à tous les enfants un héritage culturel. Que l’école réapprenne aux enfants la vie de grands personnages historiques féminins ! Si vous avez fait lire à des collégiens quelques pages du procès de Jeanne d’Arc, comment voulez-vous qu’un seul garçon puisse penser que les femmes soient inférieures aux hommes ? C’est impossible ! Et si on apprenait à nos élèves, quelques vers de poésies par cœur, comment voulez-vous lorsque vous avez appris un peu de Verlaine, de Claudel, de Rimbaud, comment voulez-vous mal parler à une femme ? Impossible ! Ça ne vous empêchera pas d’être méchant, violent, lâche, c’est vrai malheureusement, et d’être capable de tous les défauts dont les hommes peuvent être capables, mais ça retire des hommes cette espèce de violence absurde qui naît de l’incapacité à reconnaître l’autre et de l’incapacité de s’émerveiller gratuitement de l’autre comme un autre.
Voilà pas seulement la responsabilité des mères – même si elles ont une responsabilité décisive – mais des pères tout autant, de tout ceux qui ont reçu un héritage culturel. C’est à cette condition que nous pourront sauver dans le monde la possibilité même de la poésie, de l’amour, et de la femme.
Merci infiniment.