Anne Brassié et Stéphanie Bignon ont co-écrit Cessez de nous libérer, petit traité pour les femmes actuelles, publié le 15 février dernier. Cet ouvrage part d’un constat historique et philosophique, portant sur les fondements de la société contemporaine, pour aboutir à une analyse de la situation actuelle des femmes, et notamment des mères de famille. Les deux auteurs sont catholiques et le disent : leur ouvrage adopte un point de vue explicitement confessionnel.
L’ouvrage est un « cri de guerre », car nous vivons une période charnière. Le fil rouge de ce livre est un constat : au début du XXe siècle, on a relégué Dieu dans la sphère privée, et parallèlement, on a sorti la femme du foyer. Un jour, je me suis aperçue de l’absurdité qu’il y avait à vouloir expulser Dieu de la vie publique : s’il y a un bon Dieu, il est partout, pas seulement dans la sphère privée. Nous avons architecturé le livre autour de ce double constat.
Ce livre ne donne pas de leçon ou de modèle à suivre. Vous voyez à la lumière de nos deux profils que nous n’avons aucun modèle féminin. Nous ne sommes pas là pour vous dire que vous devez rentrer à la maison. Chaque femme a son génie propre, elle choisit son destin. Ce pour quoi nous nous battons, c’est le droit de décider de ce que nous voulons faire. C’est très différent de la vulgate féministe actuelle.
« Libérer » la femme – de quoi parle-t-on ?
Il est important de savoir décrypter les non-dits et les motivations souterraines de la propagande diffusée sous le masque du féminisme.
La journée de la femme, par exemple, est une invention communiste – c’est déjà un signal d’alerte. Par ailleurs, quelles sont les intentions de ceux qui veulent à tout prix faire travailler les femmes ? Derrière le prétexte de la libération des femmes et de la lutte pour l’égalité se cachent des arguments économiques bien moins désintéressés. Sarkozy lui-même avait expliqué qu’il n’était pas question que les femmes puissent ne pas travailler, car cela ne profiterait pas au PIB – c’est à notre avis un propos douteux.
Un regard sur la situation en Chine est révélateur à cet égard : à l’heure actuelle, 700 millions de paysans se font déporter de leurs terres pour être installés dans des tours en ville. Les paysans sont des gens qui vivent eu autarcie, et donc qui n’achètent rien. On va donc les déporter en ville et leur accorder un petit salaire. Ils pourront enfin aller acheter des produits dont ils n’ont pas besoin. D’une façon similaire, cette volonté de mettre les femmes au travail relève d’une considération économique.
La volonté de sortir à tout prix la femme de son foyer fait partie d’une logique d’ensemble qui est en réalité liberticide, parce qu’elle détruit les liens sociaux intermédiaires. La famille est un « corps intermédiaire » selon les termes de la doctrine sociale de l’Eglise, au même titre que la corporation ou la nation. Or la famille traditionnelle aujourd’hui est en danger. Sous prétexte de libérer l’enfant de ses déterminismes, de libérer la femme de son foyer, on nous en arrache. C’est une liberté qui sonne de manière étrange et finit par aboutir à un amoindrissement de la liberté.
On fait sortir la femme du foyer pour des raisons économiques, mais aussi idéologiques. La femme est le pivot, le centre, l’instrument de la transmission sans laquelle rien n’existe. Dans un état totalitaire, si la femme sort de son foyer, elle ne peut plus régner dans son foyer, l’éducation de ses enfants passe dans des mains étrangères. C’est la disparition d’une fonction qui nous semble essentielle dans la société, la fonction féminine.
La fonction féminine est en effet centrale à la société. L’Etat a détruit ce corps intermédiaire qu’était la famille et se l’est accaparé. Il s’est accaparé tout le social pour deux raisons : d’un côté, il s’accapare le social, donc idéologiquement il transforme l’homme en profondeur, et de l’autre, il transforme ce lien social en bien économique. On va créer des remplacements sociaux à tous ces liens cassés qu’on va transformer en valeur marchande. On a laissé entre les mains de l’Etat ces liens sociaux, ces corps intermédiaires qui structurent les individus, aujourd’hui menacés de n’être plus rien. Une analogie avec l’évolution du monde paysan permet de mieux comprendre cette transformation en profondeur.
Nous sommes tous, sans exception, issus de paysans, qui eux aussi ont été sortis de leur campagne pour être entassés dans des barres d’immeuble en ville à toucher le RSA au lieu de vivre de leur travail. Par ailleurs, la Terre comme la femme aujourd’hui sont pollués en profondeur à force d’ingérer des substances chimiques qui les tuent. Dans les deux cas, c’est la fertilité, la fécondité qui est atteinte, et donc la vie. Une mère qui fait des enfants, des parents qui sont prêts à tout donner pour leurs enfants, c’est même avec ses failles une force extraordinaire, un contre-pouvoir énorme et inquiétant pour un pouvoir qui n’est pas sûr de sa légitimité. Quand Monsanto attaque la terre, il attaque l’autonomie ; quand ils créent des semences stériles, c’est pour rendre les gens dépendants d’eux. Cette cassure veut nous faire entrer dans un système globalisant où l’individu disparaît.
On peut encore ajouter quelques remarques, sur la notion de liberté. On nous parle de liberté de conscience, de liberté individuelle, avec par exemple le mariage pour tous. C’est là où notre livre devient confessionnel. Pour nous, si la liberté n’est pas le résultat d’une fécondité spirituelle, elle n’est pas possible.
Quant à la caricature qui alimente la rhétorique de la libération de la femme, caricature qui consiste à dire que jadis la femme était esclave est qu’aujourd’hui elle est libre, c’est tout simplement un mensonge. Des femmes de tout temps ont dirigé des abbayes, des entreprises. Ces femmes n’ont pas attendu Le Figaro Madame pour être libérées.
Egalité ou indifférenciation ?
L’égalité est quant à elle une notion inadéquate. Les entreprises d’égalité qui ont déjà été mises en place n’ont pas fonctionné. En 1920, dans un kibboutz, on avait imaginé qu’hommes et femmes seraient absolument égaux. Tous les hommes et les femmes ont été mis aux mêmes fonctions, leurs enfants leur ont été retirés et ont été élevés à part. Ces enfants ont grandi et très vite, les femmes ont quitté les travaux de la terre pour revenir aux fonctions de soin. La fonction paternelle et la fonction maternelle sont différentes. La fonction de l’homme est d’aller chercher la nourriture, et la fonction maternelle est de prendre soin (au moins jusqu’aux trois ans de l’enfant) jusqu’à preuve du contraire. Toutes les expériences d’enfants arrachés à leurs mères ont été des expériences catastrophiques. Nier ces fonctions, c’est entrer dans l’idéologie. Il faut au contraire s’accrocher au réel.
On retrouve ces fonctions à l’extérieur de la famille. Je travaille avec de jeunes ingénieurs et je ne m’en occupe pas de la même manière que s’en occuperait un homme. J’ai été seule femme sur des navires : j’ai toujours été respectée et j’ai toujours été très féminine. Etant la seule femme j’étais dans ma fonction sans même m’en rendre compte. Aujourd’hui je travaille dans un bureau, et je constate que les femmes qui ont des postes de direction ont l’impression d’exister davantage lorsqu’elles se comportent en hommes alors que c’est au contraire là qu’elles perdent leur importance. Aujourd’hui on demande aux femmes d’occuper des postes élevés, mais surtout de ne pas le faire en femmes. On dit que les entreprises se féminisent, mais c’est faux ! Si les femmes veulent exister à l’intérieur, elles ne peuvent être femmes.
Or nous avons besoin de féminité dans les entreprises. Aujourd’hui on travaille moins bien parce qu’on se concentre sur le profit. Or la projection, la gratuité et le don sont inhérents au fait d’être une femme. C’est cela qui manque à des entreprises comme la mienne. Les entreprises aujourd’hui se perdent par manque de féminité, de raccrochement au réel, de vision de long terme.
Qui veut « libérer » la femme ?
Dans la catégorie des mensonges, il faut aussi savoir qui promeut une soi-disant libération des femmes. On a eu les soviétiques, et à leur suite, tous les organismes internationaux qui existent actuellement. Quand on analyse leur travail, ce qui en sort c’est d’abord le malthusianisme, avec cette idée que l’avortement se justifie parce que les hommes sont trop nombreux. Ensuite, il y a des organismes très avancés dans la libération de la femme pour en fait pouvoir en jouir plus librement. Il y a une volonté que la licence soit permanente, et ce dès le plus jeune âge. L’ONU accrédite des organismes qui prônent cette sexualisation précoce, alors même qu’il fait des leçons de morale au Vatican. Le planning familial lui aussi n’a qu’une fonction, que vous sortiez avec un billet pour l’avortement. Les Etats subventionnent cette association alors même que celles qui travaillent à offrir d’autres options aux femmes vont bientôt risquer l’interdiction.
Neutralisation des fonctions sexuées et refus de la transcendance
En détruisant la fonction maternelle, on attaque également le rôle du père. S’il n’y a plus de mère, il n’y a forcément plus de père. C’est une neutralisation. Le rôle du père disparait, et avec lui tout ce qui fait appel aux notions d’autorité et de souveraineté : les nations n’existent plus, on n’a plus le droit de se défendre, on nous retire l’autorité sur nos propres enfants. On peut penser ici aux actualités judiciaires en Allemagne, à ces pères qui sont condamnés pour avoir retiré leurs enfants de l’école.
Mais revenons à la femme. Pourquoi la femme nous préoccupe-t-elle beaucoup ? Parce que la femme a toujours eu un rapport particulier à la religion. A travers la négation de la féminité, c’est Dieu que l’on attaque. Or qu’est-ce que fait Antigone ? Elle obéit à une loi non-écrite, à quelque chose qui nous dépasse, qui est à l’extérieur de nous et au-dessus de nous. Cette liberté dont on nous parle s’est galvaudée : la liberté n’a de sens que si elle est précédée d’une transcendance, que si elle mène à la vie.
La femme et le bien commun
Le pouvoir doit vouloir le bien commun, or la femme est au centre du bien commun. Si vous manipulez la femme, il n’y a plus de bien commun. Un site américain, Salary, a calculé le travail d’une femme dite au foyer. En fait, elle travaille 94h par semaine. Elle gagnerait 7 000 Euros si on la salariait. Il est évident que quand un enfant de 14 ans est ingérable, c’est souvent qu’il n’a jamais eu une femme à la maison pour l’éduquer. Il y a une litanie des propos tenus par une mère qui font qu’un enfant grandit pour devenir un adulte.
Transmission et spiritualité
Je voulais simplement ajouter un commentaire sur le rôle spirituel de la femme. Dans le thème de la transmission, l’une des choses que transmet la mère, c’est la foi. Tout se transmet par la mère, le comportement comme la foi. Jean-Paul II avait dit que la femme était faite pour recevoir et donner en retour. Cette fonction est la transmission. Aujourd’hui, cette fonction de transmission de la foi est une des raisons pour lesquelles la femme est attaquée aujourd’hui.
Approfondissements par les Antigones
– Vous parlez dans votre texte de « la femme ». Comment alors envisagez-vous la nature féminine ?
Est-ce que le sens précède l’existence ? Pour moi oui, sinon exister ne voudrait plus rien dire. Cette idée d’essence est très dérangeante pour un système qui veut tout régenter. C’est bien cela qui est attaqué aujourd’hui, c’est l’essence.
On peut aussi nuancer et dire qu’il y a une nature féminine, une nature masculine mais ajouter qu’une personnalité épanouie est celle qui développe à la fois sa part féminine et sa part masculine. Une femme qui serait soumise n’aurait pas accompli son destin de femme et ne remplirait pas sa fonction.
– A qui est destiné ce livre et qu’en attendez-vous ?
Nous en avons autant assez d’entendre taper sur les femmes que sur les Catholiques. Nous pensons que la France se porte mieux quand elle est catholique que républicaine et franc-maçonne. Nous avons fait cet extraordinaire constat du lien entre la femme et la religion.
Nous destinons ce livre à tout un chacun, autant aux hommes qu’aux femmes. Nous avons repris une citation intéressante qui dit que « les hommes sont faits pour faire le monde, et les femmes pour faire les hommes ». Une autre dit « la main qui met en mouvement le berceau, met en mouvement le monde ».
Une autre chose qui me choque est l’ingratitude. Or c’est l’Eglise catholique qui a bâti la France, à qui la France doit tout. Notre livre se termine sur un chapitre sur la restauration car nous pensons que nous sommes, chacun d’entre nous, de petites apocalypses, de petits chantiers de restauration du monde.
Jamais on n’aurait imaginé il y a quelques années ce qui se passe aujourd’hui. C’est bien qu’il y a un changement en profondeur. Ce n’est pas Monsieur Hollande le responsable de cette situation. C’est un cheminement progressif.
Nous aurions pu ne pas être aussi directes, mais nous ne sommes pas des commerciaux. Nous écrivons cela parce que ça nous prend aux tripes. Les temps sont venus pour nous pour prendre clairement position.
Débat avec le public
– Vous parliez d’études sur le genre. Avez-vous des sources sur la nécessité de la présence de la mère auprès de l’enfant ?
Notre livre n’est pas scientifique en effet. C’est l’accumulation de sources qui nous fait dire cela. Mon père était pédiatre et me disait que même si la mère a des problèmes, il ne faut pas lui retirer son jeune enfant car cela arrête son développement. Vous ne devez pas non plus parler de sexe à un enfant trop jeune : c’est un monde secret pour lui, qu’il ne connait pas et ne veut pas connaitre. Lui faire une démonstration trop crue de ce qu’est le sexe, c’est le violer. L’avancement des études de genre en Norvège a permis de démontrer que dans ces pays où ils ont été très en pointe sur l’égalité, au bout de dix ans, les séparations habituelles des métiers entre hommes et femmes se sont reformées. En majorité, les femmes ont rejoint des travaux d’assistanat social. Pourquoi est-ce que les sages-femmes sont justement des femmes ? On ne devrait pas avoir à poser ces questions ! C’est ça qui est scandaleux aujourd’hui. Il y a une nature des choses sur laquelle il est scandaleux qu’on s’interroge aujourd’hui.
Il en est du genre comme de la méthode globale. La méthode globale a été élaborée pour des enfants qui avaient des difficultés à l’école et pour lesquels il fallait une autre méthode. Elle a ensuite été généralisée à ceux qui apprenaient très bien avec la méthode alphabétique. C’est la même chose pour le genre. On est parti d’interrogations et de conclusions basées sur des gens qui avaient effectivement des problèmes avec leur sexe biologique.
– Sur le féminisme, je souhaiterais savoir ce que vous pensez de la nécessité d’une notion comme le féminisme, et ce qu’il pourrait vouloir dire aujourd’hui ?
Cela rejoint la question sur l’essentialisme. Je suis un marin paysan, je ne me revendique de rien. Le féminisme, c’est un peu comme la théorie du genre, ça ne devrait pas exister. Il y a urgence à retrouver nos natures profondes, à redevenir nous-mêmes.
Je ne suis pas intéressée par la politique mais par la vraie action politique au sens d’Antigone. Quand je monte une exploitation agricole, c’est une action politique : tu ne veux pas que j’existe en tant que femme et en tant qu’agricultrice, et bien j’existerai en tant que femme et en tant qu’agricultrice. C’est cette simplicité qu’il est impératif de retrouver.
Il faut montrer qu’il n’y a pas lutte. La lutte est une notion marxiste. Nous ne sommes pas en lutte, nous sommes complémentaires, de la même façon que riches et pauvres sont complémentaires : le riche emploie les pauvres autour.
S’il fallait libérer la femme, ce serait la libérer de cette idée qu’être mère au foyer n’est pas une bonne chose. Il faut lui dire « sois femme ». Le comportement féministe est absolument monstrueux. Longtemps des femmes ont été abandonnées par des hommes après s’être faites engrossées. Maintenant, elles se permettent d’avorter sans prévenir le géniteur.
– Que pensez-vous d’une action politique pour la cause des femmes qui ne serait pas motivée par la foi catholique ? Aujourd’hui comme dans notre passé, il existe d’autres sociétés que la société catholique dans lesquelles la femme a un rôle.
Toute action est bénéfique. Toute action est positive. Il se trouve que nous sommes dans un pays catholique et c’est le catholicisme qui est attaqué en France. Or c’est le rôle traditionnel de la femme catholique qui est attaqué, mais toute action politique est éminemment souhaitable. Le christianisme fait naitre la notion de conscience individuelle par rapport au poids de la famille, de la tribu dans d’autres sociétés. Il y a dans cette notion à la fois une très grande fragilité et une très grande force.
– Ne croyez-vous pas que le problème n’est pas de sortir Dieu du foyer ou d’en faire sortir la femme, mais plutôt d’établir une séparation entre sphère privée et sphère publique ? Abolir cette distinction ne permettrait-il pas déjà de mieux considérer des femmes qui choisissent un statut comme celui de mère au foyer, qui est une vraie fonction sociale ?
C’est très vrai et c’est le même problème pour le paysan. Aujourd’hui, on ne peut plus vivre en tant que paysan parce qu’il y a une exclusion du rural qui n’existait pas avant. La vie sociale qui existait avant a disparu. De la même façon, la femme au foyer aujourd’hui est dans une cage à lapin dans laquelle elle ne peut pas rester.
Il manque un chapitre à notre livre ! A l’époque médiévale, il n’y avait pas cette rupture intérieur / extérieur. C’est une distinction qui est née avec la Révolution.
Le mot de la fin
La situation économique aujourd’hui s’est considérablement dégradée et il y a besoin de deux salaires pour payer les loyers. Soyons donc réalistes. Aujourd’hui pour libérer les femmes, il faut se remettre en position de force, exiger la libération du mercredi, des crèches dans toutes les multinationales, des congés quand la famille est malade, etc. Il y là un combat politique à mener qui n’a rien de religieux.