L’éducation dite « positive » ou « bienveillante » est à la mode. Au programme, une meilleure compréhension de l’enfant et des outils éducatifs qui seraient enfin respectueux de son intégrité en tant que personne. Sur les réseaux sociaux, les conseils éducatifs fleurissent, et l’éducation positive semble être LA réponse, pour ne plus crier sur ses enfants, et éviter les conflits[1]. Sauf que, si certaines de ces propositions pratiques peuvent s’avérer intéressantes et/ou utiles, elles sont adossées à une vision du monde problématique à plusieurs titres. Examinons pour commencer la place qu’elle propose pour l’enfant au sein de la société et de la famille.
L’enfant est un être profondément dépendant. Livré à lui-même, un enfant ne pourra jamais devenir une personne adaptée aux exigences de la vie en société, comme le prouvent les enfants sauvages tels Victor de l’Aveyron. Le monde qui entoure l’enfant est culturel, composé de codes qui permettent de vivre ensemble. Le décryptage de ces codes n’est pas inné. Le tourbillon émotionnel et sensoriel dans lequel vit le petit enfant doit être structuré par la parole des parents, qui de fait ne sont pas seulement des accompagnateurs bienveillants, mais des guides, des référents, les incarnations d’une autorité légitime qui s’exerce sur l’enfant. Chantal Delsol développe ce rôle de l’adulte dans l’éducation, qui consiste à sortir l’enfant du néant (par l’amour inconditionnel), et du chaos (par le langage qui nomme et organise, et les règles qui enseignent l’ordre des choses).
De ce point de vue, les partisans de l’éducation positive opèrent trop souvent un déplacement de souveraineté de l’adulte vers l’enfant. Lorsque certains de ses adeptes préconisent de ne pas contraindre le petit enfant à respecter les règles de la vie en société pour attendre qu’il les comprenne pleinement et y adhère, ils privent l’enfant de repères nécessaires à son développement et retombent dans le travers bien connu de l’enfant-roi. Etre à l’écoute des besoins et des envies de l’enfant, d’accord, mais les choix éducatifs des plus mineurs aux plus lourds doivent nécessairement revenir à l’adulte en ce qu’il est le détenteur de l’autorité légitime, et le guide de l’enfant vers la socialisation.
L’égalité se conçoit en droit, face à la loi, pas en nature. Des places sociales existent, selon le degré de savoir, de pouvoir, de richesses, mais aussi en fonction de l’âge et de l’état de vie. Il ne s’agit pas de voir l’enfant comme une sous-personne, mais comme un être dépendant, en devenir, ayant besoin d’un tuteur pour bien grandir.
Ce qui est problématique dans l’éducation positive, ce n’est donc pas cette écoute de l’enfant, que préconisaient déjà nombre de pédagogues dans l’Histoire, c’est cette mise à égalité de l’enfant et de l’adulte, et le refus de l’autorité qui l’accompagne. Chez de nombreux auteurs, les introductions de manuels d’éducation positive sont à ce titre édifiants. Ils positionnent d’emblée cette tendance éducative du côté des constructivistes, qui considèrent l’homme comme une page blanche et pensent pouvoir donner naissance à un homme nouveau, meilleur qu’hier, à travers des pratiques éducatives nouvelles. Ils se basent également sur une vision faussée de l’Histoire, conçue comme une lente marche vers le Progrès lorsqu’ils dénigrent d’un bloc toutes les pratiques éducatives passées. C’est d’ailleurs le même type de croyance qui prévaut dans les manuels éducatifs féministes, comme le fameux Tu seras un homme – féministe – mon fils d’Aurélia Blanc. Il s’agit chez ces auteurs non pas de construire une société meilleure, plus juste, à travers une éducation visant à élever l’enfant et lui permettre de donner le meilleur de lui-même, mais à construire une société nouvelle, un monde parfait sans guerres et sans inégalités.
Ce déplacement de la souveraineté de l’adulte à l’enfant fait des ravages, notamment dans le contexte de toutes les idéologies déconstructivistes qui font flores aujourd’hui. Les exemples se multiplient d’enfants incités à faire fi de leur sexe biologique, alors qu’ils sont ne sont pas aptes à mesurer les conséquences gravissimes d’un tel bouleversement. De la même manière, en voulant faire de l’enfant un être capable de se gouverner seul, on attaque la notion de consentement, jusqu’ici protégée. En effet, si l’enfant peut décider de son orientation sexuelle (avant même qu’il ne soit concerné par la sexualité, voir à ce sujet l’ouvrage du Dr Brunod), il serait donc assez mûr pour consentir librement à une relation sexuelle. Dans le contexte d’un affaiblissement grave de la liberté éducative et de la responsabilité parentale, cette croyance amène des dangers nouveaux pour les enfants. C’est parce que l’enfant serait un être pleinement autonome et souverain que la possibilité pour les mineures de se faire avorter ou d’accéder sans consentement parental à des contraceptifs ne choque plus nos contemporains.
Au-delà du débat qu’une société peut mener sur les pratiques éducatives, ce qui pose problème dans cette nouvelle école de pensée que représente l’éducation positive, c’est donc cette vision de la société comme d’un monde sans repères et sans ordre fixes, et de l’enfant comme un « bon sauvage » dont nous n’aurions qu’à respecter les penchants naturels pour établir sur Terre la paix et le bonheur universels. Ces croyances sont déstructurantes pour l’enfant et pour la société entière.
Adélaïde
Chantal Delsol. Un personnage d’aventure: petite philosophie de l’enfance, Cerf
Dr Régis Brunod. Préserver l’innocence des enfants . 153 pages. Ed. du Bien commun, 2021