Une tribune d’Anne Trewby et Iseul Turan parue sur le site internet de Valeurs Actuelles le 19 juin 2019, à retrouver ici.
Cette année, l’équipe de France de football féminin a fait la une avant même sa victoire contre la Corée du Sud. Pourquoi un tel battage médiatique autour d’une équipe avant même qu’elle ne fasse ses preuves ? Devons-nous soutenir nous aussi les joueuses ou nous en désolidariser avec Finkielkraut au risque d’être taxées de sexistes ?
Les sportifs ont toujours été des soldats sans arme, matérialisant aux yeux de tous la force, le contrôle, la maîtrise – en un mot la supériorité – qu’une société est en mesure de fournir. Aujourd’hui encore, les équipes incarnent l’unité d’une communauté, généralement régionale ou nationale, et à travers le visage qu’elles offrent, véhiculent un idéal social, un mode de vie, les espoirs d’un pays tout entier.
En 1998, l’équipe de France de football masculine avait son heure de gloire. Cette victoire en coupe du monde fut un évènement décisif pour la politique immigrationniste française de l’époque : la victoire de la France, c’était la victoire du modèle assimilationniste par opposition au modèle anglo-saxon.
C’est désormais le football féminin qui fait la une des journaux. Pourquoi financiers, sponsors et politiques font front commun derrière cette équipe hier encore dans l’ombre malgré sa qualité et ses victoires ? C’est évidemment à cause du modèle de société qu’il est sommé d’incarner : la société de l’égalité intégrée, de la stricte représentativité des sexes malgré leur prétendue indifférenciation. La nouvelle frontière que matérialise cette équipe, c’est celle de la différence homme – femme qui reste à abattre pour atteindre enfin l’objectif d’une société parfaitement « fraternelle ».
Après avoir mobilisé la France entière derrière la France « Black Blanc Beur », il faudra que la population fasse corps derrière une équipe de femmes. Le football était pour ce faire le sport idéal, à la fois sport national très largement apprécié, et sport à forte prédominance masculine, tant sur le terrain que parmi ses amateurs. Cette foule à dominante masculine est aujourd’hui priée d’acclamer une équipe féminine. Quelle que soit l’issue de la compétition, les records d’audimat seront la preuve de la victoire de l’égalité en marche.
Le football, autrefois matérialisation des frontières et des rivalités régionales ou nationales, servira cette fois de catharsis à la question de l’égalité des salaires, de la politique des quotas, et plus généralement de l’image des femmes dans notre société. Les gros titres en témoignent, qui focalisent sur les écarts de salaire entre les joueuses et les joueurs, la représentativité des femmes dans les instances directrices de ce sport, parmi ses commentateurs ou encore son public.
La polémique autour des propos d’Alain Finkielkraut sur CNews à la veille du match France – Corée du Sud, « ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des femmes », relève de la même dynamique. Invité le lendemain sur France 5 à revenir sur ses propos, le philosophe explique n’avoir aucune réticence à l’existence de sportives quelle que soit leur discipline, mais qu’il refuse qu’on en fasse l’incarnation « d’une conquête de l’égalité ».
Comme dans toutes les compétitions, l’enjeu n’est pas ici le score final de l’équipe, et la victoire ne se dispute pas seulement sur le terrain. Le refus de Finkielkraut d’adhérer à l’ensemble du projet idéologique que porte l’équipe féminine de football bien malgré elle, a définitivement fait de lui l’ennemi de la France et des femmes. Le philosophe a eu l’outrecuidance – maladroitement certes, mais tout de même – de dévoiler la supercherie : ce dont on parle, ce n’est pas de sport féminin, mais d’une vision du monde qu’on oppose à une autre, d’une image des femmes qu’on cherche à imposer aux esprits. « Le football féminin n’est pas un spectacle sportif, c’est un spectacle vertueux ». Le messe est dite. Alors dans cette lutte sans merci sur et hors du terrain, nous nous contenterons de souhaiter qu’en toute justice, les meilleurs gagnent !