Aujourd’hui, la loi Veil a 40 ans et Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales vient fièrement d’annoncer que les sages femmes vont pouvoir pratiquer l’avortement… l’occasion pour les Antigones de se pencher sur cette épineuse question de l’avortement. Le 26 novembre 2014, l’Assemblée nationale votait, par une résolution adoptée par 143 sur 150 présents, la « réaffirmation de l’avortement comme droit fondamental ». Cette décision consacre une série de mythes qui voudraient faire de l’avortement le symbole de la libération des femmes, de leur conquête de l’égalité.
Non, l’avortement n’a rien d’égalitaire ! Les conséquences de l’acte sexuel, qui pourtant se fait à deux, est devenu un problème purement féminin. « Libre de disposer de son corps », seule à pouvoir décider de ce qu’elle en fera, la femme qui avorte est également seule responsable de son acte. Cette liberté exclusive fait des hommes qui ne souhaitent pas que leur compagne avorte des machistes, vestiges du patriarcat de la pire espèce ! Et pourtant, disons-le, l’avortement est la loi du Don Juan, qui se lave les mains de l’issue de ses actes. La promotion de l’avortement contribue à dissocier sexe et procréation : il la normalise. L’acte sexuel n’est alors plus qu’une pratique de plaisir maitrisé, et la grossesse un choix détaché de cette pratique. Si la femme qui tombe enceinte veut garder l’enfant alors que son partenaire préfèrerait qu’elle avorte, qu’elle se débrouille seule ! Il n’était pas là pour ça, lui !
L’avortement n’est pas une « chance » ! Il est une situation limite qui n’est souhaitable à personne. Pour une femme qui a pris sa décision, l’avortement – légal ou non – représente l’unique moyen d’empêcher la venue d’un enfant qu’elle ne veut pas. Pour prendre sa décision, cette femme se sera projetée : l’annonce aux parents, l’angoisse, les cris, les larmes, l’accouchement, le père, la galère, les rêves qui s’effondrent… Qu’elle considère ou non que ce qu’elle porte en elle est déjà un être humain, la femme qui avorte sait qu’il aurait potentiellement pu naître et grandir, elle met fin à cette possibilité. Cette seule pensée, parfois des années plus tard, représente pour de nombreuses femmes un traumatisme profond. Quelles que soient les circonstances, avorter est une souffrance, il va falloir se convaincre que « ce n’était rien ». Cette souffrance n’est pas traitée ni dans la loi, ni même dans ses limites. La notion de détresse supprimée, le statut de droit fondamental consacré : l’Etat s’est définitivement dédouané des situations post-traumatiques qui suivent souvent l’avortement. L’État ne cherche pas à proposer d’autres solutions – plus coûteuses. Une intervention remboursable coûtera toujours moins cher qu’une allocation pour mère célibataire sans diplôme. L’avortement généralisé n’est pas une solution éthique ni égalitaire, mais bel et bien économique.
L’avortement n’est pas non plus une liberté fraîchement conquise ! La question s’est posée à toutes les sociétés à toutes les époques. Elle n’est pas résumable à « pour ou contre l’avortement ? ». Ce n’est pas un simple choix entre deux options monolithiques – la légalisation ou l’interdiction légale plus ou moins forte. En effet, quelle que soit l’option légale choisie, il est absolument nécessaire que des alternatives crédibles soient proposées aux femmes. Comment parler de « liberté de choix » quand la seule possibilité qu’on offre à celle qui ne peut assumer la naissance d’un enfant, c’est d’avorter ? Comment parler de « liberté » quand cette femme est déjà au pied du mur ?
Ni égalitaire ni providentiel, ni gage de liberté, comment l’avortement peut-il être consacré « droit fondamental* » ? Le mot d’« avortement », ou « IVG », désigne dans un sens restrictif un ensemble de techniques visant à provoquer artificiellement une fausse couche : des décoctions de plantes aux pilules et curetages des hôpitaux modernes, en passant par les aiguilles à tricoter des histoires du passé. Dans les faits, les discussions juridiques autour de l’avortement consistent simplement à discuter les applications et les limites d’une série de propositions techniques. Qu’ont fait nos députés par leur vote ? Ils ont consacré la liberté d’usage d’une technique. Or faire d’une offre technique un « droit fondamental » n’a aucun sens. Les droits fondamentaux sont les droits attachés à tout être humain en tant que tel : faire de l’avortement médicalisé un droit fondamental, c’est dire qu’un être humain n’est pas pleinement homme s’il ne peut en faire usage. Cette déclaration de principes maladroite en dit long sur notre société technicienne.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur les limites et performances d’une technique, ne pouvons-nous pas nous préoccuper des réalités ? Prenons enfin en compte de façon réaliste ce qu’est un avortement : une intervention « médicale » aux conséquences post-traumatiques sérieuses. Assurons une véritable protection des femmes en situation de grossesse non désirée, et proposons-leur des alternatives praticables. Et surtout, sensibilisons les hommes et les femmes à la responsabilité de l’acte sexuel et de ses conséquences.
* La proclamation d’un droit fondamental féminin est une contradiction flagrante : en vertu du principe d’égalité, la loi française n’est censée tenir compte ni de la race ni du sexe dans la définition des droits. Si l’on reconnaît des droits fondamentaux propres aux femmes, pourquoi ne pas aller plus loin et inscrire dans la loi des « droits fondamentaux » par groupe d’appartenance ? Toutes les personnes humaines n’auraient-elles pas les mêmes droits ? Cela signifierait que chacun, homme ou femme, aurait un droit à l’IVG…
Monsieur peut-il contraindre sa femme à avorter, puisque, après tout, il s’agit aussi de ses gamètes, donc de son corps ? N’a-t-il pas droit, lui aussi, à en disposer comme il l’entend ? Pourrait-il refuser un test de paternité au nom de son droit à l’avortement, non respecté par Madame ? Une grand-mère pourrait-elle refuser le rattachement au foyer fiscal de sa fille mineure et de son bébé, au nom de son droit à l’avortement ? Va-t-on relancer la jurisprudence Perruche sur le préjudice d’être né ? Et si nous proclamions un droit à ne pas naître ? Il pourrait être exercé a posteriori par l’embryon devenu adulte…