Les Poils de Telerama ou le comble de l’hypocrisie

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Une tribune d’Antigones, parue sur le site internet de Valeurs Actuelles le 11 juin 2021.

Le numéro de juin de Telerama affichait en couverture un mannequin tout ce qu’il y a de plus classique, si ce n’était… ses jambes excessivement poilues. Les réactions ne se sont pas fait attendre : la couverture a choqué. Rangez ce poil féminin que je ne saurais voir ! La dynamique était lancée, les féministes ont pu ensuite crier à la censure du patriarcat. Entre puritanisme mal placé et non-combats hypocrites, il s’agirait peut être enfin de recentrer le débat sur de vrais sujets, comme l’articulation entre corps et politique.

Il est au mieux naïf, au pire hypocrite, de la part des militantes du poil à l’air de se dire choquées du dégoût que suscitent leurs images de jambes de femmes poilues, de sang menstruel ou de bourrelets et de cellulite. D’abord parce que le poil comme ces autres éléments du corps appartiennent dans l’imaginaire collectif occidental au domaine de l’intime et n’ont donc guère leur place en « une » d’un magazine ou sur les réseaux sociaux, et ensuite parce que dans une société dont la norme esthétique en vigueur, c’est l’épilation des jambes et des aisselles féminines. On est en droit de discuter cette norme; c’est hypocrite de s’attendre à ce que le grand public applaudisse à ce type d’images.

Nous leur accordons aisément le droit au mauvais goût et à la vulgarité ; il n’est pas du ressort du politique de juger de la qualité esthétique des images qui circulent sur les réseaux sociaux ou dans les média quels qu’ils soient. Il n’est pas non plus du ressort du politique d’aller gérer l’intimité de chacun.

Pour autant, nous ne pouvons souscrire à leur objectif déclaré de « dé-politiser » le corps féminin et de le libérer des soi-disant carcans oppressifs du patriarcat. Le corps a toujours été un objet et un enjeu politique, des canons esthétiques aux peines et châtiments. Nos aïeux ont eu aussi eu à composer avec des injonctions, et des jugements d’autrui sur leur apparence. D’abord parce que notre corps est notre premier rapport au monde et qu’il est ce par quoi nous perçoit autrui. Il est non seulement légitime mais naturel de juger l’autre sur son apparence. C’est parce que je tire des conclusions de ma perception que je peux savoir que celui que j’ai en face de moi est un enfant, un homme, une femme, une personne avec un handicap, un client, un supérieur… et ainsi adapter mon comportement en fonction de la situation.

Ensuite parce que la société produit immanquablement des normes : ce sont autant de repères pour le groupe lui permettant d’une part de se constituer en tant que groupe, et d’autre part de se différencier d’autres groupes. La question c’est l’objectif politique que servent ces normes. A ce titre, ce qu’il faudrait avant tout critiquer dans les dictats esthétiques modernes qui pèsent sur les femmes, c’est qu’ils ne sont plus le reflet des valeurs et des idéaux d’une société, mais qu’ils sont devenus un instrument au service des mécanismes de consommation de la société libérale. Ce sont désormais les industries de la mode, de la publicité ou encore du porno qui imposent à la société entière des idéaux esthétiques irréalistes et malsains. Aux yeux de ces industries qui cherchent à cultiver chez leurs destinataires un manque qui les poussera à consommer, l’idéal féminin moderne est celui d’une éternelle jeune fille toute prête à consommer et à être consommer.

Or les féministes body positive ne critiquent que timidement cette emprise du marché sur les canons esthétiques en vigueur. Lorsque c’est le cas, elles entrent finalement dans la même logique en exaltant à leur tour un nouvel idéal – celui d’une société indifférenciée, métissée et sans hiérarchie aucune. Pire encore, leur idéal féminin déraciné et indifférencié représente pour les mêmes industries qu’elles osent occasionnellement critiquer le consommateur parfait : seul, et en manque de liens et de marqueurs identitaires. C’est cette incohérence et cette dynamique délétères qu’il s’agit pour nous de dénoncer, pas quelques poils à l’air exhibés au détour d’une « une » de magazine.

Lorsque des autorités religieuses, artistiques ou même politiques proposent un idéal esthétique, c’est évidemment pour orienter les comportements personnels de chacun en vue d’atteindre cet idéal. Cette dynamique peut être délétère lorsqu’il s’agit de créer un homme nouveau, un surhomme parfait et idéal, comme elle peut être bonne quand il s’agit de proposer un modèle d’homme accompli, corps et esprit en harmonie, à la manière du kalon kagaton de nos anciens. Face aux critiques des féministes « body positive » sur les dictats esthétiques en vigueur et aux réponses erronées qu’elles proposent, à nous de nous mettre au travail pour inspirer nos contemporains par de belles images de corps sains reflets d’esprits sains, d’une féminité assumée dans toute sa profondeur, et de réclamer du réalisme dans la représentation des corps masculins et féminins là où il a sa place par ailleurs, dans des contenus qui ont effectivement vocation à évoquer l’intimité du corps humain, quels qu’ils soient.

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