Hildegarde de Bingen, biographie

La vie d’Hildegarde de Bingen

Née en 1098, dans une famille de la petite noblesse du Palatinat, Hildegarde est une petite fille à la naissance sans éclat, à la santé fragile, une petite fille comme les autres – mais pas totalement : très jeune, elle commence à parler à son entourage de ses visions, une sorte de don de « double vue » et de prophétie, qui laisse perplexe son entourage. Confiée, à l’âge du 8 ans, à l’abbesse Jutta de Spanheim, du monastère de Saint-Disibod, elle y est éduquée selon les coutumes de l’époque : elle apprend à lire le latin dans le Psautier et la Bible, à chanter et jouer de la musique.

Hildegarde prend le voile à l’âge de quatorze ou quinze ans – la majorité étant alors fixée à douze ans pour les filles –, pour vivre une adolescence cachée, celle de toute moniale suivant la règle bénédictine. Elle mène une vie très ordinaire, faite de prière, de méditation et de travail, jusqu’à la mort de Jutta en 1136. Hildegarde, qui a bientôt 40 ans, est aussitôt élue comme abbesse.

En l’année 1141, Hildegarde, d’après ses écrits, reçoit ordre du Ciel de transcrire ses visions et révélations. De 1141 à 1151 env., elle s’attache à la rédaction du Scivias, son premier grand écrit mystique, et entreprend également nombre d’autres travaux commençant à déployer l’activité débordante qui la caractérise. L’essentiel de sa vie se passe désormais à recevoir et à transmettre ce que lui dit la « Lumière vivante ». Le moine Volmar, son confesseur et premier confident, sera son secrétaire jusqu’à sa mort en 1165 : c’est lui qui met par écrit l’essentiel des œuvres d’Hildegarde.

L’abbé du monastère, Cunon, informe l’archevêque de Mayence, Henri, des visions de la moniale. Perplexes, ils font part du cas Hildegarde au pape Eugène III, lors d’un synode qui se tient à Trêves en 1147. Le pape envoie des prélats enquêter sur la conduite d’Hildegarde ; l’enquête et satisfaisante, et les deux prélats rapportent à Trêves la partie déjà rédigée du Scivias. Le pape lui-même, au cours du synode, lit en public les écrits d’Hildegarde, devant une assemblée immense à laquelle participe Bernard de Clairvaux, principale autorité spirituelle du XIIe siècle. Tous sont dans l’admiration, reconnaissent l’inspiration divine d’Hildegarde, et rendent grâces à Dieu. Eugène III lui-même écrit une lettre personnelle à Hildegarde : c’est le début d’une longue correspondance avec les grands de ce monde, qui va occuper une grande part de l’activité de l’abbesse.

C’est à ce moment-là, vers 1148-1150, que la communauté de moniales, devenue trop importante, est déplacée au monastère du Rupertsberg, près de Bingen – d’où le nom d’Hildegarde de Bingen. Elle y écrit la biographie de Saint Disbod et de saint Robert (ou Rupert), ainsi que sa propre vie. C’est au Rupertsberg qu’elle écrit le second de ses grands ouvrages, le Livre des mérites de vie, une histoire du salut qui met en scène l’affrontement des vertus et des vices, et le triomphe final de la divinité. Elle compose en parallèle, à une date inconnue, des œuvres musicales, des ouvrages de médecine et de sciences naturelles. En 1163, elle entreprend la rédaction de son troisième grand ouvrage visionnaire, le Livre des œuvres divines.

Elle fonde encore en 1165 le monastère d’Eibingen, où se trouve encore aujourd’hui sa tombe.

Elle accomplit dans ces années-là plusieurs grands voyages de prédication : la clôture des moniales est alors moins sévère et moins stricte qu’elle l’est devenue par la suite, et l’abbesse de Bingen jouit d’une réelle liberté de mouvement, et d’une extraordinaire reconnaissance sociale. Ce n’est qu’en 1298, avec la constitution Periculoso du pape Boniface VIII, que les moniales seront contraintes à une existence uniquement confinée.

Son premier voyage de prédication la mène à Trêves où, en 1160, Hildegarde prend la parole dans la cathédrale même. Sa prédication remporte un grand succès : les prélats locaux lui demanderont, peu de temps après, de lui envoyer une version écrite de sa prédication, dans une lettre pleine de respect et même d’affection. Après Trêves, elle se dirige vers Metz, où elle prêche probablement aussi dans la cathédrale locale.

En 1163, Hildegarde prêche cette fois-ci dans la cathédrale de Cologne, dans un sermon où elle dénonce l’hérésie des cathares, défendant l’unité de l’homme, corps et esprit, contre le dualisme des « purs ». Ses sermons sont souvent en grande partie des prophéties, en particulier celui prononcé à Cologne cette année-là.

Durant l’année 1170, alors qu’Hildegarde a plus de 70 ans, elle effectue ses deux derniers voyages de prédication, moins bien connus, l’un à Mayence, l’autre dans la province de Souabe.

L’activité de prédication étant un privilège sacerdotal, donc réservé aux hommes, on mesure le caractère exceptionnel de l’activité d’Hildegarde, et la force d’une personnalité qui a profondément marqué son temps. Elle meurt en l’année 1179, dans son monastère du Rupertsberg.

Hildegarde fut béatifiée en 1244 par le pape Innocent IV, et inscrite au Martyrologe romain à la fin du XVIe siècle. Son culte a été étendu à l’Eglise universelle (canonisation équipollente) par le pape Benoît XVI le 11 mai 2012. Le même Benoît XVI la proclame Docteur de l’Eglise le 7 octobre 2012, en même temps que le théologien et mystique espagnol Jean d’Avila. Cette reconnaissance est la plus haute que puisse décerner l’Eglise catholique. Elle est la quatrième femme docteur de l’Eglise, après Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux.


L’ œuvre d’Hildegarde de Bingen

Œuvre scientifique et médicale

Hildegarde de Bingen fait preuve d’une curiosité insatiable pour les phénomènes naturels, et rédige des ouvrages d’une grande importance pour la pensée scientifique de son temps. On ne connaît que deux ouvrages médicaux composés en Occident au XIIe siècle, et tous deux sont d’Hildegarde. Le premier est la Physica, ouvrage en neuf livres également intitulé Livre des subtilités des créatures divines, ou encore Livre de médecine simple. Le second, plus étudié, est le Causae et curae (« Causes et remèdes »), également intitulé Livre de médecine composée. C’est une véritable encyclopédie des connaissances du temps en Allemagne qu’elle nous livre, en matière de sciences naturelles et de médecine. L’ensemble est impressionnant par la connaissance de la nature que de tels ouvrages impliquent, connaissance qui provient en partie de son observation personnelle, en partie de sources variées, analysées dans les éditions récentes de son œuvre[1].

Ses ouvrages médicaux se caractérisent essentiellement par une approche holiste de l’univers et du corps humain : au milieu de considérations purement physiologiques, on y trouve des leçons de vie de toute sorte qui soulignent importance de la dimension morale et psychologique de la santé humaine. L’interaction est incessante entre le corporel et le spirituel, entre l’humain et le théologique. Œuvre scientifique, la médecine d’Hildegarde est également une méditation, souvent très poétique, devant la nature et l’homme en son sein. Laurence Moulinier a souligné l’une des originalités les plus marquantes de l’œuvre de sainte Hildegarde dans sa manière d’aborder la typologie des tempéraments masculins et féminins : « par l’accent qui y est mis sur l’aspect psycho-sexuel, et par la présentation des types masculins et féminins dans des cadres séparés, cette galerie de portraits reste sans équivalent dans la réflexion du Moyen Age sur le comportement amoureux. »

On peut comparer l’œuvre d’Hildegarde avec celle d’Herrade de Landsberg, abbesse de Sainte-Odile au Mont-Sion en Alsace : contemporaine d’Hildegarde, elle compose vers 1175-1185 la première encyclopédie de notre littérature, l’Hortus deliciarum. C’était un énorme manuscrit, destiné à l’instruction des religieuses de Sainte-Odile, qui ne comportait pas moins de 336 miniatures, presque une par feuillet.

Hildegarde se livre également à des activités plus marginales, qui témoignent d’un esprit d’invention hors normes, gratuit, mais aussi d’un goût de la recherche et du travail intellectuels qui appartient pleinement au XIIe siècle – qui est aussi celui de Pierre Abélard. Elle a ainsi tenté d’élaborer une lingua ignota, langue et alphabet nouveaux qu’elle a voulu forger, peut-être avec la contribution de ses moniales.

Hildegarde 2

Œuvre musicale et poétique

Hildegarde est également l’auteur de nombreux poèmes et compositions musicales : on lui connaît soixante-dix symphonies, qui ont fait l’objet de nombreuses tentatives de restitutions. La musique a une importance centrale dans sa pensée : on trouve dans ses écrits l’idée que « l’âme est une symphonie », d’où son insistance sur l’importance de la musique et des harmonies dans la liturgie et la vie spirituelle dans son ensemble.

Œuvre mystique

Les trois grands ouvrages mystiques d’Hildegarde sont le Scivias (« Connais les voies »), le Liber vitae meritorum (« Livre des mérites de vie »), et le Liber operum divinorum (« Livre des œuvres divines »). Ce sont des récits de visions mystiques, cosmologiques et prophétiques, qui s’apparentent, dans leur style et leur symbolique à certains textes sacrés comme l’Apocalypse de Jean. Les visions d’Hildegarde sont très imagées, allégoriques la plupart du temps ; leur symbolique complexe n’est déchiffrable qu’à l’aide des interprétations données par Hildegarde elle-même. On a beaucoup souligné l’anthropocentrisme très fort de l’œuvre mystique d’Hildegarde, mais il serait plus juste de parler d’un christocentrisme, union du divin et de l’humain qui résume selon Hildegarde l’œuvre de la Création et de la Rédemption : la place de l’homme dans le monde, et l’importance centrale du Christ, sont des thèmes récurrents chez elle. L’une des illustrations de ses visions mystiques représente un homme, bras et jambes étendus, inscrit dans un cercle symbolisant le monde – à nos yeux modernes, il évoque irrésistiblement l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, la mathématique en moins, et le divin en plus.

 

Correspondance

La correspondance entretenue par Hildegarde de Bingen est d’une ampleur et d’une variété déconcertante : papes et évêques, autorités politiques, à commencer par les empereurs – Conrad III de Hohenstaufen, Frédéric Barberousse –, hauts personnages de la vie séculière comme le comte de Flandre Philippe d’Alsace, abbés de monastères, prévôts, prêtres, simples moines, et même un certain nombre de correspondants non titrés, simples gens qui lui demandent conseils ou prières – Hildegarde a correspondu avec tous les échelons de la société de son temps, prodiguant conseils spirituels, visions, prophéties, conseils médicaux ou simples échanges d’amitié.

Autoritaire, voire menaçante, envers les empereurs, Hildegarde est pleine d’affection et de respect pour Bernard de Clairvaux qu’elle compare à l’aigle, capable de regarder en face le soleil, et adresse des lettres pleines d’encouragements à Philippe de Flandre, dont les angoisses spirituelles sont comme « l’aurore qui se lève le matin », aurore qui deviendra soleil brûlant si Philippe se laisse mener par l’action de l’Esprit… Elle se fait soutien et affection toute compréhensive pour l’une de ses contemporaines, mystique comme elle, Elisabeth de Schönau, avec laquelle elle se lie d’amitié.

On retrouve dans sa correspondance, sous des formes variées, les caractéristiques les plus marquantes de la pensée et de la vie spirituelle d’Hildegarde.

Isabelle, membre du Bureau des Antigones

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[1] Voir l’introduction de Laurence Moulinier, Beate Hildegardis Causae et Curae, ed. Laurence Moulinier, éd. Akademie Verlag, coll. « Rarissima mediaevalia, Opera latina », Berlin 2003, p. LXIII-CI.

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